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Jours tranquilles à Paris
2 septembre 2020

A Hongkong, l’art à l’état purge

Par Anne-Sophie Labadie, Correspondante à Hongkong 

La nouvelle loi imposée par Pékin fait craindre une censure et une autocensure généralisées, et affecte les relations commerciales internationales spéciales qui ont favorisé le succès de l’archipel comme carrefour mondial de l’art.

«Il y a deux mois, nous étions à Hongkong, nous sommes aujourd’hui en Chine, la différence est assez considérable», résume l’artiste français Maurice Benayoun, basé dans l’archipel. La loi sur la sécurité nationale a balayé la liberté d’expression exceptionnelle dont bénéficiait l’ex-colonie britannique revenue dans le giron chinois en 1997. Censée ne viser officiellement qu’une poignée d’«émeutiers», le texte criminalisant la sécession ébranle en réalité tout l’espace créatif de la région administrative spéciale ainsi que sa stature de plaque tournante de l’art en Asie.

«Jusqu’à présent le contrôle était plus ou moins furtif», explique Maurice Benayoun. Les artistes pouvaient être exposés librement sans être soumis à la censure comme sur le continent. «Maintenant, ce contrôle est institutionnalisé et on se trouve dans la même situation qu’en Chine continentale. C’est un énorme changement : les artistes à Hongkong ne sont pas habitués, c’est un peu comme si on demandait à des oiseaux de nager. Jusqu’à présent, nous gardons des réflexes de liberté d’expression qui ne s’appliquent plus avec cette loi aux contours suffisamment flous pour être source de multiples interprétations», explique celui qui est aussi professeur à la School of Creative Media de la City University de Hongkong.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi, le 30 juin, il n’y a pas eu d’autodafé dans les rues mais les implications du texte se révèlent au fil de l’eau, des arrestations et des livres expurgés de leurs contenus dans les écoles et bibliothèques. «C’est très inquiétant et la situation est encore très confuse», confie la peintre Cheng Yin-ngan. «J’essaie de naviguer dans la nouvelle réalité où nous ne savons pas si nous devons subitement utiliser un autre langage pour aborder les sujets politiques, comme le font les artistes sur le continent, ou s’il faut éliminer tout sujet politique ou perçu comme une opposition à Pékin», explique l’artiste de 25 ans. Le performeur contestataire Kacey Wong prédit quant à lui que «tout le milieu va sombrer plus encore dans l’autocensure», déjà rampante dans les institutions et l’espace public, et plus diffuse encore depuis la contestation anti-régime qui a débuté en 2019.

Plus-values

Les institutions vont-elles faire le ménage dans leurs collections ? L’ambitieux musée M+ dédié à la culture visuelle des XXe et XXIe siècles et qui doit ouvrir l’an prochain, évoquant l’autonomie et l’indépendance de ses curateurs, se dit «convaincu de continuer à maintenir le plus haut niveau d’intégrité professionnelle» et estime qu’«une ville ne peut être un pôle artistique mondial que si elle offre un environnement accueillant pour l’art qui reflète un large éventail de perspectives et de points de vue». Le musée, à qui le collectionneur suisse Uli Sigg a fait don de plus de 1 400 œuvres - avec la garantie que les artistes contestataires comme Ai WeiWei puissent y être exposés -, assure qu’il lui appartient «de s’assurer que [ses] collections et expositions seront présentées correctement, de façon à stimuler la discussion, le débat et l’apprentissage».

La loi nourrit aussi des inquiétudes concernant le rayonnement économique du port franc. Si Hongkong s’est taillé la part du lion dans le dynamique marché de l’art asiatique, attirant les galeries de renommée internationale telles que Gagosian ou White Cube et les maisons d’enchères Sotheby’s et Christie’s, c’est entre autres parce qu’elle offre aux collectionneurs et investisseurs des politiques fiscales, douanières et d’exportation plus souples et avantageuses, sans impôt sur la fortune, les cadeaux ou les plus-values, alors qu’en Chine continentale les importations d’œuvres d’art sont taxées à 34 %.

Or, l’administration Trump a annoncé mi-juillet la fin du régime économique et commercial préférentiel accordé par les Etats-Unis au territoire qu’elle ne considère plus semi-autonome du fait de la nouvelle législation. De quoi affecter la renaissance culturelle de Hongkong incarnée par le nouveau quartier dédié de West Kowloon et le musée-centre commercial géant K11, voisin du mécène Adrian Cheng, ou la pépinière de galeries à Aberdeen.

Sanctions

Sur le plan fiscal, rien n’a changé et aucun droit douanier ne devrait être appliqué aux Etats-Unis sur les œuvres d’art d’origine hongkongaise, contrairement aux œuvres de Chine continentale, selon l’entreprise de logistique Integrated Fine Arts Solutions. Mais le bras de fer entre Pékin et Washington pourrait rebuter les collectionneurs de même qu’il hypothèque l’avenir de l’industrie du luxe déjà affaiblie par la pandémie et les manifestations. Quatre entreprises américaines sur dix songent déjà à quitter Hongkong pour éviter les sanctions, selon la Chambre de commerce américaine. «Nous croyons fermement que Hongkong à long terme est le meilleur endroit pour notre foire», assure toutefois Adeline Ooi, directrice Asie d’Art Basel, la foire d’art contemporain implantée depuis 2013 dans l’archipel, où de nombreux membres de son équipe sont basés.

«Hongkong est un hub international avec des liens étroits avec de nombreux autres pays en dehors des Etats-Unis», relève pour sa part Fabio Rossi, de la galerie Rossi & Rossi et coprésident de la Hong Kong Art Gallery Association, et l’expérience montre «que lorsque qu’un marché est moins actif, un autre intervient». Jonathan Crockett, de la maison d’enchères Phillips, affiche le même optimisme : «Les Chinois continuent de lever des fonds à Hongkong. Or, quand la situation du centre financier est bonne, celle du marché de l’art l’est aussi et il sera plus florissant encore avec l’ouverture de M+.» En cultivant la subtilité et une certaine dose d’ambiguïté, les galeries vont continuer d’œuvrer entre les lignes, estime aussi Maurice Benayoun. Selon lui, «c’est le grand avantage de l’art, nous gardons une liberté dans la pratique qui va au-delà des régulations et qui joue avec les règles et les cadres».

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