Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
8 septembre 2020

Tout est rouge, un enchevêtrement de corps : au procès des attentats de janvier 2015, le cheminement vers l’horreur

Récit - Par Pascale Robert-Diard

Des images de la tuerie de « Charlie Hebdo », le 7 janvier 2015, ont été projetées, lundi, lors de la deuxième semaine d’audience à la cour d’assises spéciale de Paris.

« Je vous propose qu’on clique sur le plan pour suivre la flèche, énonce d’une voix calme Christian Deau, enquêteur de la section antiterroriste de la brigade criminelle, qui dépose à la barre de la cour d’assises spéciale de Paris, lundi 7 septembre. Quand on entre, la première scène de crime est celle-ci. » Du sang, une longue flaque de sang sous une chaise à roulettes. Ici était assis Simon Fieschi, le 7 janvier 2015 à 11 h 33 minutes et 50 secondes. Grièvement blessé, il a déjà été évacué des locaux de Charlie Hebdo.

« Le principe du panoramique, c’est qu’on peut tourner », poursuit Christian Deau. L’image tourne, la flèche avance. De la même voix calme, l’enquêteur donne une autre indication : « Si on clique sur un petit cavalier [les repères jaunes installés par la police sur les scènes de crime], il apparaît en gros. » Il clique, pour l’exemple. Une douille apparaît en gros plan. « Ce qui est vrai pour une douille le sera pour un corps. » On s’accroche à cette voix qui guide vers l’horreur.

« On va donc cheminer pour comprendre. On arrive dans le couloir. » La voix précise : « En tout, 36 étuis seront trouvés. Ils proviennent en majorité de l’arme de Chérif Kouachi. » Au vol, on saisit l’image de rangées d’archives cartonnées sur des étagères. Au sol, une longue flaque de sang, un premier corps. Celui de Mustapha Ourrad, correcteur du journal. On avance. Un deuxième corps. Celui de Franck Brinsolaro, le garde du corps de Stéphane Charbonnier, dit Charb. « Son arme est sous lui, dit la voix. Et là, nous arrivons dans la salle principale… »

Tout est rouge. Un enchevêtrement de corps. La voix égrène, on note, on note, on se cramponne à sa régularité, à sa technicité. « Le premier corps que nous voyons est celui de Monsieur Verlhac. » Bernard Verlhac, dit Tignous. Ses cheveux noirs frisés, son éternel jean. « La balistique estime que la distance de tir est inférieure à 10 centimètres. Le cavalier F correspond au corps de Monsieur Maris. Le corps marqué D est celui de Madame Cayat. Un seul tir au niveau de l’œil droit. » On note encore. H, le corps de Cabu. C, le corps de Wolinski. E, celui d’Honoré.

Nuage de fumée

Tourne l’image. « L’autre partie de la scène de crime. Le cavalier B indique le corps de M. Charbonnier. Trois tirs de kalachnikov au niveau du crâne. A une distance inférieure à 10 centimètres. En zoomant, là, on voit que le sang a atteint le plafond. » On obéit à la voix et on voit. « Et là, le cavalier A correspond à Monsieur Renaud », coincé derrière un bureau dans un coin. Au-dessus d’eux, un drapeau du Kurdistan, des photos accrochées au mur, un grand tableau avec le « chemin de fer » du numéro de Charlie Hebdo en cours de préparation. Ce qui reste de la vie d’un journal.

Le président de la cour annonce une courte suspension d’audience. Dix minutes plus tard, l’écran se rallume. Une première vidéo muette enregistrée par la caméra de surveillance est diffusée. « Là, on est juste avant l’attaque », annonce Christian Deau. La porte s’ouvre, Corinne Rey, dite Coco, apparaît à l’écran, la kalachnikov de Chérif Kouachi pointée dans son dos. Elle vient de composer le code d’entrée des bureaux de Charlie Hebdo. Juste derrière entre Saïd Kouachi.

Un nuage de fumée. Chérif Kouachi vient de tirer sur Simon Fieschi qui s’effondre lentement vers la droite. La fumée s’épaissit. « Elle est provoquée par les tirs dans la salle principale », dit la voix. A l’écran, on ne distingue plus que le sommet de la tête de Saïd Kouachi qui monte la garde pendant que son frère massacre dans la pièce d’à côté. Passent les secondes. Chérif Kouachi revient de la salle principale, lève le poing vers le ciel.

Deuxième vidéo, autre plan. Retour en arrière. Mustapha Ourrad est assis à son bureau, les yeux rivés à son écran, la souris dans la main. Nouveau tir. Chérif Kouachi se penche au-dessus d’un muret, aperçoit Sigolène Vinson, l’invective, index pointé. On n’entend pas mais on sait qu’il lui dit à cet instant qu’il ne tue pas les femmes et lui intime l’ordre de lire le Coran. Elle glisse lentement vers le sol. Quelques secondes plus tard, elle se relève. Les deux terroristes sont partis. Ses yeux s’écarquillent, sa bouche s’ouvre. L’image fige l’effroi.

Publicité
Commentaires
Publicité