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Jours tranquilles à Paris
20 septembre 2020

Tribune - « La panthéonisation de Rimbaud et Verlaine relève d’une idéologie bien pensante et communautariste »

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Par Collectif

Dans une tribune au « Monde », des artistes, écrivains, poètes et rimbaldiens, tous « fous du poète », donnent cinq arguments au président de la République pour refuser ce qu’ils considèrent comme « une démarche sociétale, et non mémoriale ».

Permettez à quelques écrivains, poètes, rimbaldiens, artistes et intellectuels, permettez à tout passant de vous exhorter, Monsieur le président de la République, à ne pas faire entrer au Panthéon les cendres d’Arthur Rimbaud et de Paul Verlaine, comme vous le suggèrent, en une pétition récemment diffusée, quelques signatures illustres – qui n’ont pas, il est vrai, forcément, toujours clarté de tout.

Pour notre part, également « fous du poète », comme disait Verlaine à propos d’Arthur Rimbaud, et dans une égale ouverture d’esprit aux questions sociétales, nous tenons à vous aviser de l’erreur que constituerait, à notre avis, l’entrée forcée au Panthéon d’Arthur Rimbaud (si jamais ces termes ne sonnaient pas immédiatement comme un oxymoron) et de Paul Verlaine, pour peu que vous voudrez bien examiner ces cinq raisons de bon sens.

Rimbaud le « patrouillote »

Faut-il rappeler quelles provocations retentissantes de l’adolescent rebelle s’entendraient au fronton de « la patrie reconnaissante » ? « Ma patrie se lève ! Moi, j’aime mieux la voir assise ; ne remuez pas les bottes, c’est mon principe. » Pourquoi ne pas respecter les vociférations grandioses d’Une saison en enfer, refuser d’entendre à quel point elles ne se destinent pas aux cryptes de notre Panthéon : « Je suis de race inférieure », « Je ne suis pas de ce peuple-ci… »

Telles sont quelques-unes des citations que rappelaient déjà, en 1927, André Breton et Louis Aragon, dans le tract intitulé « Permettez ! », qu’ils distribuèrent à Charleville (Ardennes) lors de l’inauguration d’un buste de Rimbaud, avec les signatures de Robert Desnos, Paul Eluard, Max Ernst, Michel Leiris, Jacques Prévert, Raymond Queneau, beaucoup d’autres encore, tous indignés par cette ridicule tentative de récupération bien-pensante, celle-là même qui prendrait aujourd’hui une dimension nationale et irréversible !

Comment expliquer à la nation que le Panthéon abriterait, aux côtés de Pierre Brossolette et de René Cassin, un jeune Rimbaud sarcastique qui, pendant l’occupation prussienne [de 1870 à 1873], ironisait : « Je souhaite fort que l’Ardenne soit occupée et pressurée de plus en plus immodérément » ? Son « patrouillotisme » serait-il dans la manière de Jean Moulin ? N’entre pas au Panthéon qui veut. Mais quand on ne veut pas ?

Faites entrer à reculons, s’il vous plaît, le cercueil de Paul Verlaine, qui demandait à ses amis communards de retourner leurs canons contre le Panthéon.

« COMMENT EXPLIQUEREZ-VOUS QUE RIMBAUD, À SON CORPS OU À SES CENDRES DÉFENDANT, SOIT ADMIS À CET HONNEUR QU’IL AURAIT DÉTESTÉ ? »

Comment réprimerez-vous les inscriptions « sauvages » qui ne manqueront pas de dégrader régulièrement les murs du Panthéon, quand celui qui serait honoré à l’intérieur parmi les grandes figures aux actes édifiants écrivait jadis « merde à Dieu » sur les bancs des promenades ? Comment expliquerez-vous que Rimbaud, à son corps ou à ses cendres défendant, soit admis à cet honneur qu’il aurait détesté et dont ne sont toujours pas jugés dignes, par exemple, Charles Péguy, bouleversant écrivain et patriote mort au champ d’honneur ? Ou Guillaume Apollinaire, blessé dans les tranchées, et qui terminait ses soupers avec le douanier Rousseau en chantant La Marseillaise ? Ou encore Missak Manouchian, poète, immigré arménien mort pour la France ?

Les premiers signataires ci-dessous réagissent comme les intellectuels et artistes de 1927, mais en considérant que la situation est infiniment plus grave parce qu’il s’agit de la France tout entière, notre pays, qui présenterait, dans la confusion des valeurs, une significative image d’elle-même.

Hugo et les autres

Un seul poète, immense, repose au Panthéon, jusqu’à présent, sur 78 personnalités… Si l’Etat songe enfin à réparer cet oubli, il importerait de faire entrer préalablement et d’urgence aux côtés de Victor Hugo, Baudelaire, Racine, Molière, La Fontaine, Marceline Desbordes-Valmore, Léopold Sédar Senghor, Saint-John Perse, tant d’autres poètes et écrivains ! Et n’oubliez pas Poussin ! Debussy !

Fonction du Panthéon

Dans l’histoire prestigieuse du Panthéon survient une nouveauté remarquable, qui tient au projet de faire entrer non pas exactement un « poète », mais, tacitement, un couple « homosexuel ». Une internaute le comprend bien : « Leur panthéonisation, c’est pour leur œuvre ou bien pour leur relation ? »

Associer les deux noms de Rimbaud et Verlaine – ce qui est une simplification biographique et une erreur littéraire, car ils ne sont pas de la même taille – et forcer publiquement, en une sorte de pacs morbide, des retrouvailles, auxquelles d’ailleurs Rimbaud se refusait absolument, une telle opération constitue en effet une démarche sociétale, et non mémoriale, qui n’est pas dans la vocation du Panthéon. Il ne s’agit que de faire passer pour une transgression (admettre un rebelle) ce qui est fondamentalement une démarche politiquement correcte.

En cela nous voyons un acte supplémentaire de l’américanisation, par ce communautarisme (qui peut mener loin dans les admissions au Panthéon), qui envahit la culture française et qui la compromet chaque jour jusque dans notre langue française. Et l’on passe ainsi de la culture (lire la poésie, qui nous interroge, nous éclaire) au culturel, du livre au spectacle, de l’œuvre à l’instrumentalisation du poète en un acte de communication.

« Drôle de ménage »

Un tel changement de registre intellectuel oblige à faire le point sur les aspects intimes de la relation de ces deux poètes : en l’état actuel de la recherche rimbaldienne, il est impossible d’affirmer que Rimbaud fut homosexuel toute sa vie ; tout porte à croire que sa relation amoureuse avec Verlaine (« des amours de tigre », « un mauvais rêve », dira Verlaine) participe de la provocation antibourgeoise, si l’on veut bien se placer dans le contexte moral de son époque, et de ce qu’il nomme « l’encrapulement » nécessaire à son entreprise poétique.

Plusieurs jeunes femmes sont attestées dans sa vie et ses poèmes à cette même époque ; Rimbaud vécut six mois avec une femme abyssine à Aden [dans l’actuel Yémen] en 1884 ; il envisage, en 1890, d’épouser une femme qui consentirait à le suivre dans ses errances (laquelle restait introuvable, et il en allait de même pour ses compagnons d’infortune).

Le couple Verlaine et la jeune Mathilde, de son côté, fut l’un des premiers à bénéficier de la nouvelle loi favorisant le divorce, après s’être séparé en 1873 ; et le poète de Sagesse, qui vécut avec deux femmes à la fin de sa vie, est l’auteur de deux recueils, sommets de la poésie érotique française, symboliquement intitulés Femmes et Hombres…

Un dépassement de la séparation

Une toute petite coterie est en fait à l’origine de la pétition militante qui demande la panthéonisation de Rimbaud et Verlaine ; elle relève d’une idéologie bien pensante et communautariste ; elle promeut une biographie de Rimbaud, en vente à cette occasion, très documentée, mais dont la particularité consiste à ne développer que l’infinie platitude des faits, c’est-à-dire à se débarrasser enfin de la poésie et des remises en question qu’elle porte depuis cent cinquante ans. Or ce qui caractérise les problématiques de l’amour chez Rimbaud ne se comprend que par la poésie – dans sa recherche désespérée, au-delà même des qualifications sexuelles, d’un nouveau corps amoureux.

Monsieur le président de la République, vous qui êtes attentif aux symboles, ne commettez pas cette erreur, pire : cette gaffe ! N’arrachez pas Rimbaud à sa terre natale ! Laissez Rimbaud reposer parmi les siens, comme le réclament le maire de Charleville et tous les Ardennais, avec nous et tant d’autres amoureux des poètes ! Respectons Césaire dans son île, Chateaubriand en son Grand Bé, solitaires face à l’océan ! Laissons libres les poètes, tels qu’ils ont vécu et, par-dessus tout, respectez Arthur Rimbaud qui, pour avoir abandonné la Poésie, n’a jamais cessé d’adorer ce qu’il appelait la « liberté libre ! »

Signataires : en cours

Poètes, écrivains, artistes : Adonis, Muriel Barbery, Stéphane Barsacq,Tahar Ben Jelloun, Claudine Bertrand, Zéno Bianu, Jean-Marie Blas de Roblès, Alain Blottière, Alain Borer, Denise Boucher, Frédéric Boyer, Bernard Cerquiglini, Jean Clair (Académie française), Francis Combes, Antoine Compagnon, Michel Deguy, Florence Delay (Académie française), Guy Goffette, Anouk Grinberg, Stéphanie Hochet, Mark Irwin, Pierre Jourde, François Jullien, Abdellatif Laabi, Jean-Marie Laclavetine, Michel LeBris, Erri de Luca, François L’Yvonnet, Gérard Macé, Eric Marty, Gérard Mordillat, Sophie Nauleau, Nimrod, Bernard Noël, Xavier North, Valère Novarina, Gabriel Okoundji, Christian Olivier, Jean-Baptiste Para, Jean-Noël Pancrazi, Serge Pey, Ernest Pignon-Ernest, Denis Podalydès, Bernard Pozier, Jacques Réda, Robin Renucci, Olivier Rolin, Jean Rouaud, Jacques Roubaud, Rodney Saint-Eloi, David St. John, Christian Schiaretti, Gilles Sebhan, Jean-Pierre Siméon, Sylvain Tesson, André Velter, Marci Vogel.

Rimbaldiens : Jacques Bienvenu, Olivier Bivort, Pierre Brunel, André Guyaux, Yanny Hureaux, Boris Ravignon (maire de Charleville-Mézières), Henri Scepi, Jean-Luc Steinmetz, Jacqueline Teissier Rimbaud, Alain Tourneux, et les cent dix-neuf adhérents des Amis de Rimbaud-Association internationale.

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