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Jours tranquilles à Paris
20 septembre 2020

Vu des États-Unis - L’inéluctable transformation de Paris après l’épidemie

THE ATLANTIC (WASHINGTON)

La crise provoquée par le Covid-19 pousse plus que jamais la capitale française à se réinventer, écrit ce magazine américain. Pour enfin remédier aux inégalités criantes et devenir la ville du XXIe siècle qu’elle aspire à être.

La pandémie a durement touché Paris. Et plus encore ses banlieues. La capitale avait déjà misé son avenir sur le regroupement avec un ensemble de communes limitrophes pour former la métropole du Grand Paris, la ville durable du XXIe siècle. Mais le coronavirus a montré à quel point cette transformation était urgente.

En 2019, Paris a reçu plus de 38 millions de visiteurs. Cet été, les restrictions des déplacements internationaux ont fait chuter de 86 % le taux d’occupation des hôtels. Pendant la pandémie, l’activité économique du Grand Paris a baissé de 37 % par rapport à l’année précédente. En Île-de-France, 100 000 emplois ont été détruits depuis la mi-mars.

Le strict confinement mis en place de la mi-mars à la mi-mai à l’échelle nationale a eu pour effet de réduire le nombre de contaminations, d’hospitalisations et de morts. Mais, après son assouplissement, le virus a recommencé à circuler. Bien que le taux d’hospitalisation demeure gérable et la mortalité relativement basse, le nombre de nouveaux cas a enregistré une hausse préoccupante ces dernières semaines, en particulier dans la métropole parisienne.

Comme aux États-Unis, l’impact de l’épidémie n’est pas le même partout. Prenons par exemple le cas de la Seine-Saint-Denis, le département le plus pauvre de France, qui abrite la deuxième communauté de migrants. Dans ce département, qui constitue le plus gros réservoir de “travailleurs essentiels” d’Île-de-France, de nombreux habitants ont continué, pendant les deux mois de confinement, à prendre les transports en commun pour se rendre au travail. Et comme la Seine-Saint-Denis souffre par ailleurs d’un manque de médecins, du 1er mars au 1er avril dernier elle a enregistré une surmortalité de 134 % par rapport à l’année précédente – contre seulement 99 % à Paris.

Pas tous égaux devant le virus

Les habitants des banlieues sont parfaitement conscients qu’ils ont beaucoup plus souffert du confinement que leurs riches voisins de la capitale et qu’ils ont été bien plus maltraités par la police quand ils s’aventuraient dans la sphère publique que, par exemple, les Parisiens qui faisaient leur jogging près de l’Arc de Triomphe. Et ils en ont conçu de la frustration et de la colère. En juin, malgré l’interdiction des grands rassemblements, la mort de George Floyd aux États-Unis a fait descendre dans la rue des milliers de Français adhérant au mouvement Black Lives Matter et souhaitant dénoncer les violences et le racisme de la police française.

Malgré ces effets délétères de l’épidémie, nul n’évoque la disparition de Paris comme certains ont pu le faire pour New York. Au cours de ses deux mille ans d’histoire, la ville a survécu à d’innombrables fléaux. Rien que ces dernières années, elle a été victime d’attentats, d’inondations, de manifestations violentes et d’un incendie qui a failli détruire Notre-Dame. Conformément à sa devise – Fluctuat nec mergitur (“Il est battu par les flots, mais ne sombre pas”) –, Paris, capitale financière, culturelle et politique d’un pays très centralisé, est une ville éternelle.

Pourtant – et cela peut paraître surprenant pour les Américains –, les autorités françaises considèrent qu’elles doivent tirer parti de la pandémie. Elles sont prêtes à agir. Après le confinement, quand les Parisiens sont sortis de leur appartement ou sont rentrés de leur résidence secondaire, ils ont découvert 50 kilomètres de pistes cyclables temporaires, les “coronapistes”, délimitées en jaune vif et aménagées au-dessus des lignes surchargées du métro. Et les cafés et restaurants ont installé des tables dans des rues fermées aux automobiles, occupant d’anciennes places de parking pour pouvoir rouvrir avec un risque de contamination minimum.

Tirer parti de la pandémie

La maire de Paris, Anne Hidalgo, s’est engagée depuis un certain temps à débarrasser la ville de ses véhicules et à réduire la pollution atmosphérique, qui chaque année tue 6 600 habitants, la majorité dans les banlieues. En juin, elle a été réélue haut la main sur un programme visant à accélérer la transition écologique de la ville. Elle a notamment promis de pérenniser certaines des mesures prises pendant le confinement et de reverdir Paris en créant des forêts urbaines. Tous les véhicules diesel seront interdits d’ici à 2024. Il est également prévu de transformer le périphérique en un boulevard végétalisé sur lequel la circulation sera réduite et des voies réservées aux véhicules propres, pour permettre aux cyclistes et aux piétons de le traverser. L’idée n’est pas seulement d’éliminer une voie rapide disgracieuse et source de pollution de la métropole postcarbone de demain, mais aussi de faire tomber une importante barrière matérielle et psychologique au regroupement de la capitale et de ses banlieues au sein de la métropole du Grand Paris. Une barrière qui doit disparaître le plus tôt possible.

Le concept de métropole est né des violentes émeutes qui ont éclaté en 2005, après l’électrocution accidentelle de deux jeunes issus des minorités qui fuyaient la police dans leur banlieue de Clichy-sous-Bois. En 2009, Nicolas Sarkozy, alors président, a chargé des équipes d’architectes de concevoir un projet de “Grand Paris” pour améliorer la qualité de la vie dans les banlieues, mettre la métropole en conformité avec les exigences du protocole de Kyoto en matière d’émissions de CO2 et faire de la capitale française une ville de classe mondiale. Le projet de la métropole du Grand Paris a été officiellement signé en janvier 2016, quelques mois après les attentats de 2015. Le nouveau réseau de transports en commun de la métropole, le Grand Paris Express, dont l’entrée en service est prévue pour 2030, est en cours de construction. Ce sera le plus grand réseau d’Europe, avec 200 kilomètres de lignes automatiques où les trains se succéderont toutes les 2 ou 3 minutes pour relier 68 gares conçues par des cabinets d’architecture. Ces gares seront décorées d’œuvres commandées à de grands artistes contemporains et entourées de nouveaux ensembles immobiliers, d’espaces verts, de campus universitaires et de complexes de bureaux et de loisirs. En 2017, le président Emmanuel Macron a déclaré que l’absence d’accès aux transports publics “assign[ait] à résidence” les habitants des banlieues. Le Grand Paris Express est supposé les libérer.

Un autre projet visant à améliorer la vie dans les banlieues est celui des Jeux olympiques de 2024. La plupart des infrastructures sportives seront construites à Saint-Denis. Lorsque j’ai visité le futur site olympique au mois d’août, l’échelle des changements à venir était manifeste, mais la manière dont ces changements allaient profiter aux habitants dont les logements et les commerces étaient sur le point d’être rasés l’était beaucoup moins. La municipalité de Paris a assuré que les Jeux apporteraient des logements, des emplois et une gare flambant neuve sur le Grand Paris Express. Un grand nombre d’habitants, qui n’ont pas eu leur mot à dire sur ce projet et dont les problèmes ont été ignorés pendant des décennies, sont sceptiques.

Paris mythique

Le Paris mythique que l’on connaît est le fruit d’une métamorphose radicale de la capitale après l’épidémie de choléra qui l’a frappé en 1832 et a tué 19 000 habitants en six mois. À l’époque comme aujourd’hui, les Parisiens les plus riches s’étaient réfugiés dans leurs résidences secondaires. Les pauvres, eux, mouraient dans les rues souillées par les eaux usées. La rumeur a circulé que la maladie était un complot contre le peuple, qui, comme Victor Hugo l’a immortalisé dans Les Misérables, s’est révolté en dressant des barricades pour empêcher les soldats d’accéder aux quartiers insurgés. Napoléon III a réagi en chargeant le baron Haussmann de faire de Paris une capitale moderne, à l’abri des épidémies et des rébellions. Les quartiers pauvres, souvent embouteillés, ont été démolis pour aménager de larges avenues par lesquelles l’air et les soldats pourraient circuler librement à travers la ville. Un réseau d’égouts souterrain a été créé et les pauvres ont été refoulés à la périphérie de la ville. Près de cent soixante-dix ans après l’expulsion de ces derniers, la métropole du Grand Paris est censé les ramener dans son giron.

En tant qu’Américain vivant dans cette métropole du Grand Paris – à Pantin, plus exactement –, j’ai du mal à comprendre le chaos qui règne aujourd’hui aux États-Unis. La France est loin d’être un pays parfait et égalitaire, mais je me sens chanceux d’habiter un endroit où les autorités politiques et les citoyens auxquels ils doivent rendre des comptes profitent de la terrible pandémie en cours pour mettre en place les changements radicaux qui seront nécessaires pour faire face aux bouleversements à venir.

Mira Kamdar

Source

The Atlantic

WASHINGTON http://www.theatlantic.com

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