Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
8 octobre 2020

Bientôt un grand débat sur l’esthétique de Paris

Par Denis Cosnard - Le Monde

La Mairie veut lancer une concertation sur les principes à appliquer au futur mobilier urbain et aux projets d’aménagement. Un sujet explosif.

Vous avez aimé le grand débat lancé par Emmanuel Macron après les « gilets jaunes », ses discussions à n’en plus finir, ses polémiques ? Vous adorerez celui à venir sur la beauté de Paris. Un sujet qui, sous des dehors anodins, pourrait se révéler explosif.

A l’orée de son nouveau mandat, la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo, souhaite, avant de lancer de grands travaux d’urbanisme, mettre à jour les règles en vigueur en matière d’esthétique. Comment végétaliser les rues ? Faut-il toujours s’inspirer des immeubles haussmanniens ? A quoi le mobilier urbain doit-il ressembler ? Quels matériaux choisir pour le revêtement de la voirie ? Comment éviter la prolifération d’écrans numériques dans les vitrines ? Au fond, qu’est-ce qu’un paysage parisien ? Mille questions sont sur la table.

L’objectif est d’aboutir à un « manifeste pour une nouvelle esthétique parisienne ». Les principes qui y seront retenus « s’appliqueront à tous les futurs projets d’aménagement ainsi qu’aux nouveaux mobiliers urbains à partir de septembre 2021 », indique la feuille de route du premier adjoint, Emmanuel Grégoire, examinée à partir de mardi 6 octobre au Conseil de Paris.

« Dieu, comme c’est crade »

La première étape consiste à consulter les architectes, urbanistes et autres experts. Un grand « appel à idées » sur « le paysage et la végétalisation des quartiers en devenir » est ainsi prévu à destination des paysagistes. Mais Anne Hidalgo entend aussi associer les Parisiens à cette concertation. C’est le fameux débat.

Il s’annonce volcanique, tant les choix esthétiques de la Mairie ont suscité des critiques ces dernières années, notamment sur les réseaux sociaux. Les nouveaux kiosques à journaux ? « Des boîtes en plastique vaguement haussmanniennes », fustige l’un. Les abris à vélos en cours de déploiement dans les rues ? « Immondes », peste l’autre. Les urinoirs écologiques posés entre La Chapelle et Stalingrad ? « Dieu, comme c’est crade et comme ça pue », s’énerve un internaute – ils ont, depuis, été déplacés.

Beaucoup dénoncent des équipements séduisants sur le papier, mais qui résistent mal à l’usage, surtout dans les quartiers les plus denses, qui sont aussi les plus populaires. Les nouvelles poubelles débordent. Les fleurs dépérissent dans des bacs jonchés de canettes de bière. Les vendeurs à la sauvette envahissent la « promenade urbaine » censée transformer l’axe Barbès-Stalingrad. Les murs sont tagués sitôt repeints…

Les installations temporaires mises en place depuis l’épidémie de Covid-19 ont encore alimenté le mécontentement. Les plots jaunes qui protègent les pistes cyclables créées en urgence sont ainsi accusés de « fracasser la magnifique avenue de l’Opéra ». Même type de reproches à l’égard des terrasses éphémères, du bricolage qui s’installe dans la durée.

Pour certains, ce « massacre » découlerait d’une posture idéologique. « L’équipe municipale (…) conserve une vieille méfiance pour l’architecture bourgeoise comme pour les détails de son mobilier urbain trop soigné : ses bancs publics, ses colonnes Morris, ses kiosques et ses squares », affirme l’écrivain Benoît Duteurtre dans Les Dents de la maire. Souffrances d’un piéton de Paris (Fayard, 192 p., 18 euros). Les socialistes et les écologistes au pouvoir seraient ainsi tentés de « dégrader systématiquement » le « merveilleux décor urbain » légué par le préfet Haussmann, son grand jardinier Adolphe Alphand et l’architecte Hector Guimard.

Une vision fantasmée de la capitale

Ce discours nostalgique s’appuie sur une vision en partie fantasmée du Paris du XXe siècle. Tout en critiquant « la déstructuration et le chaos » signés Anne Hidalgo, Alexandre Gady, professeur d’histoire de l’art à Sorbonne, reconnaît que « l’enlaidissement » supposé a commencé avant, en accordant trop de place à la voiture.

Georges Pompidou entendait « adapter Paris à l’automobile ». Ce « triste mantra » est « une des erreurs qui a défait la ville moderne », écrit M. Gady dans une tribune publiée le 29 septembre par Le Figaro. « La combattre était une nécessité politique. »

Surtout, « si on enferme la ville dans le référentiel haussmannien, c’est un Paris de touristes que l’on bâtit », estime Emmanuel Grégoire. Un Paris pour Instagram. Or, dit-on à l’Hôtel de ville, il faut aussi que la capitale vive, que ses habitants ne soient pas que des figurants dans un décor. Qu’ils puissent trouver des logements neufs, travailler dans des bureaux modernes, rouler à vélo en toute sécurité… Et que la ville résiste aux épidémies comme aux canicules de plus en plus fréquentes. La priorité serait alors de créer une cité plus aérée, moins minérale, plus verte. Beau débat en perspective.

Publicité
Commentaires
Publicité