Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
22 septembre 2020

Lonsdale est mort, sale histoire

lonsdale21

Par Anne Diatkine — Libération

L’acteur au phrasé suave est mort lundi, à 89 ans. Arrivé par hasard dans le métier, l’inclassable était multicasquettes, passant de Duras à James Bond, de Claude Régy à Spielberg.

Il disait qu’il avait été un enfant qui jouait tout le temps et ne supportait pas qu’on le ramène à des réalités prosaïques comme se nourrir. Et qu’il était devenu comédien pour continuer à jouer sans qu’on lui demande des comptes. Il disait aussi que longtemps, il avait été muet, prisonnier d’une timidité maladive, avec une voix qui ne sortait pas malgré sa puissance. Et cependant, pour beaucoup, Michael Lonsdale était avant tout une voix, reconnaissable entre toutes, parfois aiguë, souvent inquiétante, rapide, semblant dissociée de ce corps massif aux mouvements si lents, légèrement encombré.

Comme tous les grands timides, Michael Lonsdale impressionnait. Etait-ce la crainte que ce géant doux et aimable, drôle et sans aucune prétention, cache une violence incontrôlable ? Probablement, tant il était, sur les écrans et les planches, l’acteur qui le premier savait découvrir et faire voir l’envers du décor, les gouffres de ceux qu’il incarnait, les gouffres banals de monsieur Tout-le-Monde, alors même que le masculin était rarement, au cinéma et dans la société, synonyme de vulnérabilité avouée. On dit Michael Lonsdale et on l’entend prononcer dans un cabinet de détective cette réplique géniale : «Personne ne m’aime, faites une enquête», dans Baisers volés de François Truffaut, où il joue M. Tabard, le marchand de chaussures jaloux, marié à Delphine Seyrig. On répète Michael Lonsdale, et c’est son cri de désespoir dans India Song, cette fois-ci, qui résonne. Orson Welles, Buñuel, Losey, Resnais, on en oublie tant ils sont nombreux, mais aussi l’avant-garde de l’avant-garde, les cinéastes les plus expérimentaux, tels Rivette, Eustache et surtout Marguerite Duras : sa filmographie est exceptionnelle et on ne peut que constater que presque tous les grands cinéastes du XXe siècle ont eu un jour envie ou besoin de filmer Michael Lonsdale, lui qui ne savait pas ce que le mot vedette signifiait. Mais il suffisait qu’on lui fasse remarquer qu’il ne tournait jamais dans des films «commerciaux» pour qu’immédiatement il embarque dans un James Bond ou chez Spielberg. Cet homme était imprévisible et il aimait l’imprévu.

La honte au bout du monde

Michael Lonsdale avait été un enfant caché, l’enfant du secret et de l’amour fou. Un soir de match de foot, le premier mari de sa mère avait proposé à un inconnu de continuer à soutenir l’équipe en buvant un verre à la maison. Le coup de foudre est immédiat, sa mère quitte quelques semaines plus tard son mari pour l’inconnu, un militaire de l’armée des Indes. La jeune femme n’ose pas annoncer la naissance du petit Michael, le 24 mai 1931, à sa famille. Qui lorsqu’elle est mise au courant lui demande de cacher sa «honte», le plus loin possible, en Australie. « La honte», qu’il fallait envoyer au bout du monde, «c’était donc moi», a raconté Michael Lonsdale dans un A voix nue, sur France Culture. Finalement, le couple et le bébé émigrent à Jersey, où ils sont propriétaire d’un grand hôtel - la famille maternelle est riche - puis à Londres. En 1939, quand il a 8 ans, à la veille de la déclaration de guerre, la famille embarque pour le Maroc «théoriquement pour six mois» qui dureront dix ans. Michael Lonsdale expérimente son premier rôle - Atchoum - et à Rabat, découvre le cinéma - Citizen Kane et la Splendeur des Amberson - quand les Américains débarquent en 1942.

Quand la famille revient à Paris, vivre aux Invalides, c’est le choc. Il ne connaît rien à l’orthographe, ne parle pas très bien le français, n’a jamais été au théâtre. S’essaie à la peinture vers 17 ans. Auditionne par hasard au théâtre des Mathurins dans une pièce mise en scène par Raymond Rouleau. Ne parvient pas à se faire entendre. Il n’empêche, il est pris, et c’est après cette première expérience qu’il entre au cours de Tania Balachova, qui l’oblige à extérioriser la violence qu’il porte en lui et lui apprend à prêter attention aux tons, aux sons, plus qu’aux paroles. En tout cas, il découvre son élément. A l’époque, on lui donne un conseil qu’il suit à la lettre : «Ne faites pas le difficile, apprenez votre métier en jouant.» D’emblée, ce sont les auteurs contemporains qui lui ouvrent leurs portes : Romain Weingarten, François Billetdoux, Eugène Ionesco. Une expérience décisive entre toutes néanmoins : en 1964, Comédie de Beckett où il est enterré dans des jarres, avec Eléonore Hirt et Delphine Seyrig, la femme aimée, et où il s’agit de parler comme des mitraillettes, dans une mise en scène de Jean-Marie Serreau.

«Un monde postverbal»

La fidélité frappe chez Michael Lonsdale, qui toujours entame un long compagnonnage lorsqu’il découvre un auteur, un metteur en scène. Ainsi en va-t-il avec Claude Régy, avec qui il travaille une douzaine de fois et qui est le premier à lui offrir un grand rôle au théâtre, dans la mythique Chevauchée sur le lac de Constance de Peter Handke avec une distribution fracassante - Jeanne Moreau, Delphine Seyrig, Gérard Depardieu (jeune et inconnu), Bernard Fresson. «On ne comprenait rien, et ça n’avait aucune espèce d’importance. Peter Handke lui-même disait qu’il avait eu besoin de l’écrire mais qu’il ne savait pas ce qu’elle signifiait.»

Et puis il y a l’amitié Duras. «Ce qu’on faisait avec Duras, ce n’était pas vraiment du cinéma, c’était une telle ambiance de confiance totale. Elle arrivait et disait : "Je ne sais pas très bien où mettre la caméra." "Eh bien mets-la là", je lui disais, "elle sera très bien." C’était en dehors de tout métier habituel.» Ainsi expliquait-il que pour India Song, film en voix off, un dialogue était au départ prévu et appris par les acteurs. Mais que finalement la musique avait pris le dessus, de manière inopinée, le premier jour du tournage. Ensemble, a-t-il relaté à Libération, ils riaient comme des fous.

Michael Lonsdale avait refusé plusieurs fois d’entrer à la Comédie-Française, car il se sentait incapable d’assumer un répertoire. Dès le début des années 70, il disait combien il était content que le théâtre vienne du corps, ne privilégie plus le texte, permette d’explorer «un monde postverbal, et même d’aboyer» s’il le faut. Il rêvait d’un langage au-delà des langues. Et bien sûr, cette recherche pourrait être reliée à son mysticisme, lui qui s’était converti au catholicisme dès l’âge de 22 ans. Il faudrait rappeler que le cinéma l’a redécouvert - mais l’avait-il vraiment perdu ? - avec Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois en 2010, où il jouait frère Luc. Et dès lors, ce sont de kilos de scénarios où on lui soumettait des rôles de prêtre qui lui tombèrent dessus. Impossible de dessiner ne serait-ce qu’une esquisse de la carrière de Michael Lonsdale, qui s’échappe, qui s’est échappé. Cette fois-ci pour toujours, ce lundi 21 septembre.

Publicité
Commentaires
Publicité