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Jours tranquilles à Paris
8 octobre 2020

Reportage - Comment Moïse a sauvé Venise des eaux

venise barrage

LA STAMPA (TURIN)

Le samedi 3 octobre, pour la première fois depuis le lancement du projet en 2003, la digue artificielle nommée “Mose” (“Moïse” en italien) est entrée en action dans la lagune, pour éviter qu’une marée haute ne submerge Venise. Un événement historique pour une cité des Doges meurtrie et en quête d’espoir, raconte La Stampa.

Le conducteur du vaporetto 31, qui navigue en direction de la place Saint-Marc, a vite compris qu’il s’agissait là d’une journée historique. “Regarde le Grand Canal, tu as vu comme il est calme ?” “Et même derrière le Rialto, à l’Erbaria, qui finit toujours sous l’eau, la zone du marché est sèche. Tout va bien se passer, j’en suis sûr !” Oui, après dix-sept années de travaux et d’interruptions, 7 milliards d’euros qui ont servi à réparer cette construction qui n’avait toujours pas été inaugurée, une enquête pour corruption, l’arrestation de trente personnes et la découverte de l’un des pots-de-vin les plus abyssaux jamais versés pour un ouvrage public, le Mose fonctionne enfin.

Hier, le samedi 3 octobre 2020, pour la première fois, le “module expérimental électromécanique” a fait ce pour quoi il a été conçu : il a protégé Venise. Sa beauté. Son histoire. Il nous a tous protégés.

Après des journées et des journées de pluie et de sirocco, le centre maritime annonçait un pic de 135 voire de 140 centimètres aux alentours de 12 h 20. Une hauteur suffisante pour submerger toute la partie centrale de la ville. La décision de redresser la digue est définitivement arrivée à l’aube. C’est alors que les 78 vannes qui la composent se sont soulevées en une heure et dix-sept minutes. D’un côté de la barrière jaune, la crue poussait et crachait des éclaboussures, de l’autre, le niveau de la marée ne dépassait pas 70 centimètres. Il y avait comme deux niveaux dans la mer.

“On n’a jamais rien vu de pareil”, commente, presque ému, Mario Rossetti, un vigile privé employé par la ville, tandis qu’il parcourt de long en large les passerelles installées sur la place Saint-Marc. Hier, ces passerelles surélevées étaient vides. Elles n’ont pas servi. L’eau n’est pas venue. Le musée permanent, ouvert à tous, qu’est Venise, est resté sec et intact. Pour le plus grand émerveillement de tous, y compris de Carlo Alberto Tesserin, procurateur de la basilique Saint-Marc : “Pas une goutte d’eau n’est entrée dans l’église. Ce n’est jamais arrivé. C’est un très grand jour.” C’est la première fois que les digues ont été déployées en urgence, après les derniers essais de cet été.

Ainsi, ce samedi 3 octobre a été une journée morose pour les vendeurs de bottes en caoutchouc. Mais aussi pour les touristes, toujours en quête de sensations, qui n’ont pas pu assister au spectacle de la montée des eaux, qui provoque l’inquiétude des gens, cette impression de voir la ville sombrer.

À 14 heures, les passerelles sur lesquelles Vénitiens et touristes s’étaient habitués à marcher ont même été démontées. Pas un millimètre d’eau dans les boutiques, les ascenseurs des hôtels, les entrées des bars. Un miracle ? Non. “C’est un scandale d’avoir mis si longtemps [à concrétiser ce projet]”, s’indigne Francesco Guarnieri. Il fait partie des rares Vénitiens à être restés vivre dans le quartier le plus touristique du monde. Il habite place Saint-Marc :

Ce qui se passe aujourd’hui est extraordinaire. On attendait ça avec impatience. Même les caves n’ont pas été touchées. Mais il faut demander à ceux qui dirigent la ville depuis toutes ces années pourquoi ils n’ont pas veillé à la bonne avancée d’un ouvrage si crucial.”

“Le pire visage de l’Italie”

Le Mose restera pour toujours associé au pire visage de l’Italie : lenteur et corruption, travail bâclé et escroquerie, augmentation vertigineuse des coûts. Mais, hier, ce fut le jour de la revanche. Enfin.

Le président de la République, Sergio Mattarella, a même appelé le maire de Venise, Luigi Brugnaro, qui s’était rendu au milieu de la lagune pour contrôler les opérations de déploiement de la digue mobile. “Nous sommes extrêmement satisfaits. Après avoir regardé pendant des dizaines d’années, impuissants, l’eau envahir le centre historique et causer des dommages considérables, nous avons montré aujourd’hui que le système Mose fonctionne.”

“Une ville quasiment vide et enfin au sec”

Non par scepticisme mais par prudence, rappelons qu’hier le sirocco soufflait à une vitesse de 19 nœuds, mais que des tempêtes bien plus fortes se sont déjà abattues sur la ville. Rappelons également que la marée haute record est celle de 1966, avec 194 centimètres, et qu’elle est suivie par l’épouvantable crue de novembre 2019, qui a atteint 187 centimètres. Hier, l’eau est montée beaucoup moins haut. C’est dire que d’autres épreuves attendent les digues jaunes du Mose.

Des épreuves déterminantes pour cette ville qui souffre déjà beaucoup. “C’est un grand jour, pourtant je n’arrive pas à oublier que pendant tous ces mois de pandémie, comme beaucoup d’autres Vénitiens, j’ai perdu 80 % de mes recettes”, souffle Mario Gasparini, conducteur de bateau-taxi, sur son embarcation en bois foncé. Il y a tant de choses étranges à Venise. C’est une ville quasiment vide. Une ville enfin au sec.

Niccolò Zancan

Source

La Stampa

TURIN http://www.lastampa.it

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