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Jours tranquilles à Paris
12 octobre 2020

Emmanuel Macron et Nicolas Sarkozy, partenaires particuliers

Par Olivier Faye, Alexandre Lemarié, Sarah Belouezzane, Solenn de Royer - Le Monde

Depuis le début du quinquennat, l’actuel et l’ancien chef de l’Etat n’hésitent pas à afficher une certaine complicité, non dénuée d’arrière-pensées. Mais depuis l’été, les relations se tendent, alors qu’approche l’élection présidentielle.

En façade, rien n’a changé. Emmanuel Macron et Nicolas Sarkozy, qui se ménagent ou se flattent, continuent d’entretenir les relations les plus cordiales. Le second, qui a dédicacé tout l’été son nouveau livre, Le Temps des tempêtes (éditions de l’Observatoire, 522 pages, 23 euros), se montre publiquement tout miel avec son successeur, « l’actuel, pas l’autre, le normal », ironisait-il encore, le 16 septembre, devant les professionnels de l’immobilier réunis pour un salon, en région parisienne. Entre eux, l’acrimonie envers François Hollande a toujours été un solide ciment. Mais plus l’élection présidentielle de 2022 approche, plus leur jeu devient trouble. Plein d’arrière-pensées et de chausse-trappes. En politique, il est aisé de passer du statut d’allié ou de complice à celui de concurrent. Dans leurs entourages respectifs, on s’interroge : les deux hommes se préparent-ils à une alliance ou bien à un affrontement ?

Depuis la rentrée, Nicolas Sarkozy se montre en effet plus sévère en privé sur la gestion de crise d’Emmanuel Macron, qu’il juge erratique. Pourtant, il y a encore quelques mois, le même évoquait devant un visiteur l’hypothèse d’une coalition entre La République en marche (LRM) et le parti Les Républicains (LR) en 2022. « Si Macron veut être réélu, il devra s’appuyer sur la droite, sinon il sera battu, analysait alors l’ancien président, qui recevait son interlocuteur dans ses bureaux de la rue de Miromesnil, à Paris. Il m’a demandé de l’aider mais je ne bougerai pas davantage. Il doit clarifier sa position. Et faire des gestes en direction de la droite. »

Etrange pas de deux

Ce que M. Sarkozy glisse en privé, son ami Christian Estrosi l’a clamé tout haut après l’été, en appelant la droite, dans Le Figaro, à « passer un accord » avec Emmanuel Macron. Un appel qui a trouvé un écho. Chez LR, des cadres sont en effet persuadés que le maire de Nice a dit tout haut ce que l’ancien président dit en « off ». Et certains sont même persuadés que l’ex-président préférera en dernier ressort soutenir l’actuel locataire de l’Elysée dès le premier tour de la présidentielle, plutôt qu’un candidat issu de sa propre famille politique. François Baroin, illusoire homme providentiel de la droite, aurait d’ailleurs fait part à ses proches de ses doutes quant au soutien de M. Sarkozy, pour justifier son renoncement.

Voilà trois ans et demi qu’Emmanuel Macron trouve en l’ancien chef de l’Etat son meilleur allié pour siphonner les voix de la droite. Les yeux rivés sur les sondages, la plupart des stratèges du pouvoir jugent les électeurs de centre gauche perdus pour la cause, car déçus par l’orientation du quinquennat. S’il veut espérer reproduire le « casse du siècle » de 2017, c’est donc à droite que l’ancien ministre de François Hollande devrait faire le plein. Certains conseillers de l’exécutif prédisent que le premier tour de l’élection présidentielle sera très serré et que le président sortant aura besoin du soutien de M. Sarkozy pour bloquer LR. Au sommet de l’Etat, un proche du couple exécutif s’aventure même à imaginer un « pacte » entre les deux hommes, lequel pourrait se traduire par des circonscriptions et des postes ministériels dévolus à la droite sarkozyste en 2022, « comme sous la IVe République ».

L’hypothèse d’un accord entre M. Macron et la droite suscite pourtant l’hostilité d’éminents membres du gouvernement. « Il ne faut pas se laisser attraire dans cette espèce de manipulation qu’on voit bien en ce moment à l’œuvre, où finalement Emmanuel Macron pourrait être accaparé par la droite pour être son candidat. Ah non, nous n’avons pas à laisser faire ça ! », a mis en garde, le 19 septembre, la ministre de la défense, Florence Parly, elle-même issue de la gauche, lors de la rentrée politique du parti Territoires de progrès. Parrainé par les ministres ex-socialistes Jean-Yves Le Drian et Olivier Dussopt, ce mouvement veut incarner « l’aile gauche de la Macronie ». « On n’a pas envie que la droite prenne notre président en otage et en fasse son candidat », tranche un de ses promoteurs.

Sur le fond, pourtant, les quinquennats des deux hommes se « ressemblent de plus en plus », juge l’ancienne directrice du cabinet de Nicolas Sarkozy à l’Elysée Emmanuelle Mignon. « Ils ont tous les deux été entravés par la crise et cherchent à reprendre la main par le régalien », observe-t-elle. M. Sarkozy en lançant un débat sur l’« identité nationale » ; M. Macron en s’attaquant au « séparatisme islamiste ». Pour endiguer la crise des « gilets jaunes », en décembre 2018, le chef de l’Etat a même tenté de réhabiliter le « travailler plus pour gagner plus » de son prédécesseur en exonérant d’impôts et de cotisations sociales les heures supplémentaires. Une annonce faite trois jours à peine après un déjeuner avec M. Sarkozy.

Rebelote en novembre 2019, quand M. Macron envisage d’instaurer des « quotas » pour l’immigration, reprenant là une vieille idée de la droite. « Nicolas Sarkozy en a rêvé, Emmanuel Macron le fait ! », s’indigne alors le Parti socialiste. Même si ce projet est finalement resté dans les cartons. Pour Nicolas Sarkozy, qui se permet de répéter à qui veut l’entendre qu’Emmanuel Macron « ne suit jamais » ses conseils, cet étrange pas de deux présente un bénéfice évident. Sans efforts, il demeure ainsi au centre du jeu politique.

Selon certains macronistes, « l’ex » utiliserait également sa proximité avec le pouvoir comme une sorte de protection vis-à-vis de ses affaires judiciaires. Mardi 6, mercredi 7 et jeudi 8 octobre, M. Sarkozy a été à nouveau entendu par les juges dans l’enquête sur le présumé financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007. Le 23 novembre s’ouvrira son procès pour corruption dans l’affaire des écoutes. Puis un nouveau rendez-vous l’attendra, en mars 2021, avec le procès Bygmalion sur le financement de sa campagne présidentielle de 2012.

Théâtre d’ombres

Dans ce théâtre d’ombres, chacun a le sentiment de manipuler l’autre. « Leur relation affichée a bénéficié aux deux, souligne un ministre. Nous avons fracturé à droite et Sarkozy s’est attaché notre électorat. » Il n’empêche, l’omniprésence médiatique de l’ancien président depuis la sortie de son livre, accompagné d’une tournée de dédicaces dans toute la France, a installé l’idée au sommet de l’Etat que « l’ex » caresserait toujours l’espoir d’un vrai retour. Une petite musique accréditée par les propos de ses anciens soutiens. Nicolas Sarkozy « peut être une hypothèse » à droite pour la présidentielle de 2022, a ainsi déclaré le député LR Guillaume Larrivé, le 9 septembre, sur Sud Radio. « Il incarne une référence et une espérance », a abondé, quelques jours plus tard, son collègue Eric Ciotti. « Sarkozy est un animal politique, s’il a la moindre chance d’aller à la présidentielle, il ira, observe un ministre. Il répète dans tout Paris que “si c’est le chaos, c’est Sarko”. »

Les relations entre Emmanuel Macron et son prédécesseur se font d’ailleurs moins fluides depuis l’été : moins d’appels qu’avant, moins de dîners avec leurs épouses. Contrairement à ce qui avait été annoncé, les deux hommes ne se sont finalement pas vus cet été au fort de Brégançon, lieu de villégiature du chef de l’Etat. L’actuel président observe attentivement les agissements de Nicolas Sarkozy. Emmanuel Macron, raconte l’un de ses proches, regarde notamment avec méfiance l’appétit affiché par l’industriel Vincent Bolloré sur le groupe Lagardère et ses médias – Europe 1, Le Journal du dimanche, Paris Match –, dont il craint une mise au pas au service de son prédécesseur (M. Sarkozy est membre du conseil d’administration du groupe). « Entre eux, c’est un peu “je t’aime, moi non plus” », résume un poids lourd du gouvernement.

« Intérêt commun »

L’actuel locataire de l’Elysée ne veut pas entretenir l’idée que l’ancien président de la République lui imposerait certains choix, contrairement à ce qu’a pu laisser penser la promotion au sein de l’exécutif de plusieurs anciens lieutenants de M. Sarkozy. Que ce soit son ancien secrétaire général adjoint à l’Elysée Jean Castex à Matignon ; son ancien porte-parole Gérald Darmanin à l’intérieur ; ou encore Camille Pascal, désormais « plume » de Jean Castex, après avoir été celle de M. Sarkozy à l’Elysée. L’entourage de M. Macron assure que l’ancien président n’a aucune influence dans ces choix. Le loup semble pourtant chez lui dans la bergerie : Jean Castex et Nicolas Sarkozy ont ainsi dîné ensemble à Matignon la semaine dernière. « Pour l’instant, Macron et Sarkozy ont un intérêt commun. Mais jusqu’à quand ça durera ? », interroge un proche du chef de l’Etat.

Au printemps dernier, l’ancien directeur général de la police nationale Frédéric Péchenard, ami et ex-conseiller de Nicolas Sarkozy, a reçu l’essayiste libéral Mathieu Laine, soutien de M. Macron, dans le vaste bureau qu’il a aménagé dans sa maison du 17e arrondissement de Paris, plein de souvenirs – médailles et menottes – d’une vie entière au service de la police. M. Laine, qui ne précise pas être officiellement missionné par l’Elysée, évoque devant lui l’hypothèse d’une nomination comme ministre de l’intérieur. « Imaginons qu’on vous le propose… », commence-t-il devant celui qui avait déjà été pressenti place Beauvau lors d’un précédent remaniement.

Puis l’intermédiaire lui demande dans la foulée s’il soutiendrait dans ce cas Emmanuel Macron en 2022. « Bien évidemment », répond Frédéric Péchenard. « Et si Sarkozy est candidat ? », poursuit son interlocuteur. « Dans ce cas, je démissionnerais de mon poste et je lui apporterais tout mon soutien », répond du tac au tac l’ancien policier. Depuis, Frédéric Péchenard n’a plus eu de nouvelles de Mathieu Laine. Encore moins d’Emmanuel Macron.

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