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Jours tranquilles à Paris
24 octobre 2020

Eoliennes : dans la baie de Saint-Brieuc, de l’électricité dans l’air

eoliennes flo

Par Pierre-Henri Allain, envoyé spécial dans la baie de Saint-Brieuc - Libération

Les éoliennes, hautes de 210 mètres, doivent être déployées sur 75 km2 dans la baie, classée Grand Site de France. 

Un projet de parc de 62 éoliennes en mer, dont les travaux doivent débuter l’année prochaine, suscite une vague de protestations. Pêcheurs, habitants et élus craignent pour l’économie locale et la préservation d’un site protégé.

Crispations, tensions, protestations : une nouvelle levée de boucliers s’est dressée ces dernières semaines contre le projet d’éoliennes en mer de la baie de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), un des sept projets offshore programmés au large des côtes françaises entre 2022 et 2027. Comme une flambée soudaine ayant mobilisé pêcheurs et élus, jusqu’alors plutôt discrets, face à un projet qui fait couler de l’encre depuis déjà une bonne dizaine d’années. Sur le port d’Erquy, où les petits bateaux de pêche artisanale viennent un à un, deux jours par semaine, décharger leurs sacs remplis de coquilles Saint-Jacques, après avoir dragué les fonds marins de la baie durant quarante-cinq minutes - pas une de moins, pas une de plus -, une grande banderole déployée non loin de la criée annonce la couleur : «Non, les éoliennes ne doivent pas remplacer les pêcheurs».

«Alors qu’on nous annonce le démarrage des travaux pour 2021, les gens prennent conscience de ce que ce projet représente, estime Henri Labbé, le nouveau maire d’Erquy. Jusqu’à présent, il y a eu beaucoup d’enfumage, mais on commence à y voir plus clair.» Henri Labbé est lui-même monté au créneau au printemps en s’opposant aux travaux que devait engager RTE, l’entreprise publique de transport de l’électricité, pour le raccordement des câbles de 220 000 volts devant acheminer l’énergie des éoliennes au continent sur la plage de Caroual, une des plus belles de la commune, avant de repartir vers le transformateur d’Hénansal, près de Lamballe. Une aberration selon l’édile, alors que le premier forage en mer n’a pas encore eu lieu. «On nous a mis une pression énorme et je sais que la commune risque une amende, relève Henri Labbé. Mais Erquy, entre la pêche et le tourisme, ne vit que de la mer et j’ai toujours dit que je ne voulais pas d’éoliennes au large.»

Une position partagée par les municipalités environnantes qui, du cap d’Erquy au cap Fréhel, classé Grand Site de France, ne sont qu’à seize kilomètres de l’emplacement retenu pour le projet et craignent qu’un parc de 62 éoliennes (de 8 MW chacune), hautes de 210 mètres pales comprises, déployées sur une surface de 75 km2, ne vienne gâcher la vue. Sans compter les menaces que font peser les travaux sur la ressource halieutique. A l’origine, ce site avait été choisi par les pouvoirs publics pour des raisons géologiques : les fonds marins y permettent l’implantation d’éoliennes.

Alors qu’il voyait il y a quelques années d’un œil plutôt favorable la perspective d’un parc éolien au large de la cité briochine, le député des Côtes-d’Armor et conseiller régional (LR), Marc Le Fur, s’est insurgé fin septembre contre un projet jugé «funeste» et «extrêmement dangereux». Qui plus est, porté par une société pas forcément claire à ses yeux, le géant de l’électricité espagnol Iberdrola, dont la filiale à 100 % Ailes Marines pilote le dossier. Allusion aux différentes accusations de fraudes et de corruption survenues à l’encontre de la société espagnole ces dernières années.

Opacité

Dans sa circonscription de Loudéac, le député continue de dénoncer une catastrophe «économique, écologique et financière» et les menaces qui pèsent sur un «écosystème exceptionnel». «La baie de Saint-Brieuc représente une des plus belles réserves ornithologiques d’Europe et abrite avec la baie de Saint-Malo et du Mont-Saint-Michel une des plus importantes populations de dauphins et de marsouins. Pour ce parc d’éoliennes, entouré de zones Natura 2000, on déroge à toute la réglementation sur la protection des oiseaux et des mammifères marins», assène-t-il. Dans le collimateur du député, on trouve également le coût du projet, jugé exorbitant pour le contribuable. Afin de compenser de lourds investissements, l’Etat et EDF se sont en effet engagés à racheter l’électricité 155 euros le MWh à Iberdrola, alors que son coût moyen en France se situe autour de 40 à 50 euros. Soit une aide de 4,7 milliards d’euros sur vingt ans pour la société espagnole.

Autant d’arguments que défend bec et ongles Katherine Pujol, présidente de l’association Gardez les caps, qui se bat depuis dix ans contre ce parc offshore et stigmatise une «privatisation du domaine public maritime» autant que l’opacité du dossier. «Comment se fait-il qu’après l’appel d’offres, le projet ait été attribué à la société qui arrivait en second ?» s’interroge-t-elle. Katherine Pujol ne digère pas davantage qu’il ait été fait si peu de cas des richesses naturelles de la baie de Saint-Brieuc. Une vaste zone qui, outre la coquille Saint-Jacques, sa ressource principale, abrite toutes sortes de poissons, de zones de reproduction et d’habitats marins. A commencer par les coraux qui recouvrent ses rochers. «Il s’agit d’eaux de très bonne qualité, très peu polluées, alors que les systèmes prévus pour empêcher la corrosion des éoliennes, les "anodes sacrificielles", lâcheront quotidiennement 160 kilos d’aluminium dans la mer !» pointe-t-elle. Après avoir engagé, en vain, plusieurs procédures administratives, la présidente de Gardez les caps espère qu’un ultime recours, engagé par des associations de pêcheurs devant la Cour de justice de l’Union européenne, fera barrage aux éoliennes. Une procédure mettant notamment en cause les largesses financières publiques accordées à Iberdrola et Ailes marines, qui auraient pour conséquence de chasser une activité, la pêche, pour en favoriser une autre, l’exploitation de l’énergie éolienne.

En attendant et en l’absence d’études d’impact finalisées sur la ressource halieutique, qu’il s’agisse des effets potentiellement délétères des travaux, programmés sur deux ans, ou de la phase d’exploitation, les pêcheurs s’alarment de cette épée de Damoclès. «Il y a dix ans, on ne connaissait rien aux éoliennes et on a simplement demandé qu’il y ait des études qui nous garantissent de ne pas perdre notre ressource. Dix ans après, il n’y a toujours aucun résultat validé sur l’impact du bruit pendant les travaux ou la turbidité des eaux. On a l’impression qu’on s’est fait mener en bateau et on n’a plus confiance», résume le président du Comité des pêches (CDP) des Côtes-d’Armor, Alain Coudray, bras tatoués et bagues à têtes de mort aux doigts. Dans son bureau de Pordic, il rappelle que ce sont près de 300 bateaux, soit quelque 800 familles et environ 3 000 emplois liés à la pêche qui pourraient être affectés. «Entre le Brexit qui risque d’exacerber la concurrence dans le sud de la Manche et les éoliennes, on est pris entre deux feux», s’alarme-t-il.

Les expériences menées en laboratoire par des chercheurs du CNRS sur les décibels qui seront diffusés en Manche laissent Alain Coudray sur sa faim. Nul doute que les bruits générés par les forages sous-marins (près de 200 trous de 3 mètres de diamètre sur plusieurs dizaines de mètres de profondeur) et les sédiments dégagés feront fuir une grande partie de la faune. Sans garantie de retour. «Alors qu’on a fait d’énormes efforts pour préserver le gisement de coquilles Saint-Jacques, on a des craintes pour les juvéniles et la reproduction des coquilles, mais aussi pour la seiche et les autres crustacés, homards ou araignées», souligne Alain Coudray qui réclame une «suspension» du projet, tandis qu’Ailes marines a promis des premiers résultats d’études en milieu naturel pour le 4 novembre.

«Autonomie énergétique»

Adepte convaincu de la «filière» des énergies marines renouvelables, Loïg Chesnais-Girard, président PS du conseil régional de Bretagne, plaide de son côté pour un dialogue renoué entre élus, pêcheurs et Ailes marines, jurant ses grands dieux qu’il est «hors de question de sacrifier la pêche», partie intégrante de «l’identité des Bretons». «Nous voulons et la pêche et les énergies marines renouvelables, martèle-t-il. L’autonomie énergétique de notre région est un vrai sujet et nous devons assumer nos responsabilités par rapport à la transition énergétique. Il faut terminer toutes les études en cours et mettre en place les solutions pour répondre à d’éventuelles difficultés.» Le président de région, qui relève le retard pris par la France sur l’éolien offshore par rapport à d’autres pays d’Europe, rappelle également les accords conclus il y a une dizaine d’années entre représentants des pêcheurs, associations environnementales et promoteurs du projet sur l’emplacement et les caractéristiques du parc. Enfin, si le projet de la baie de Saint-Brieuc ne générera pas les 1 000 emplois promis en Bretagne, il se félicite des 250 salariés qui seront embauchés à terme sur la structure récemment inaugurée à Brest pour fabriquer les fondations des éoliennes (les « jackets »).

Depuis 2012, sept projets de parcs posés en mer ont été attribués au large des côtes françaises dans le cadre des appels d’offres lancés par l’Etat, qui affiche l’ambition d’atteindre 40 % d’électricité renouvelable à l’horizon 2030. Au Havre, l’usine Siemens-Gamesa où seront fabriquées les pales et les nacelles des éoliennes de cinq de ces sept projets, dont celui de Saint-Brieuc, est sur les rails, avec 750 emplois à la clé. Selon Ailes marines, les éoliennes briochines seraient capables d’alimenter à elles seules 835 000 habitants en électricité. Un chiffre très surestimé selon les associations. Pas sûr, dans tous les cas, qu’il suffise à calmer la grogne.

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