Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
24 octobre 2020

Couples LGBT : les catholiques prêts à l’union autour du pape ?

pape62

Par Eric Jozsef, correspondant à Rome — Libération

La diffusion, mercredi, d’un enregistrement du pape François se disant en faveur d’un partenariat civil et d’un «droit à une famille» pour les homos a fait grincer la frange conservatrice de l’Eglise. En interne, le Saint-Siège craint des divisions.

Le Vatican, combien de divisions ? A l’intérieur des palais apostoliques, la règle est la prudence et les propos feutrés, mais les déclarations du pape François, qui s’est dit publiquement favorable, mercredi, à l’union civile pour les homosexuels, font resurgir le spectre de violentes fractures et d’affrontements au sein de l’Eglise. «Pour le moment, c’est un sentiment de jour d’après. Les bouches sont cousues mais la tension est palpable, résume le vaticaniste du quotidien La Stampa, Domenico Agasso. Les médias du Vatican n’ont pas émis le moindre commentaire et presque personne ne parle, même en off. On préfère se concentrer sur le renouvellement de l’accord préliminaire entre la Chine et le Saint-Siège sur la nomination des évêques.»

Depuis le début de son pontificat, le pape François n’a cessé de faire des ouvertures en direction des personnes homosexuelles. Dès 2013, de retour des Journées mondiales de la jeunesse au Brésil, il avait fait sensation en déclarant : «Si une personne est gay et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour la juger ?»

«Coup de massue»

Mais jamais, Jorge Mario Bergoglio n’avait été aussi loin en déclarant, dans le cadre d’un documentaire d’Evgeny Afineevsky qui lui est consacré : «Les personnes homosexuelles ont le droit d’être en famille. Ce sont des enfants de Dieu, elles ont droit à une famille. […] Ce qu’il faut, c’est une loi d’union civile, elles ont le droit d’être couvertes légalement. J’ai défendu cela.» «Avec cette déclaration, du point de vue de l’influence sociale et politique de l’Eglise, le Saint-Père change le cours de l’histoire», glisse un prélat. Non seulement, il réaffirme la nécessité de la miséricorde et de l’accueil envers les homosexuels (même si du point de vue doctrinal, l’homosexualité reste un péché), mais il confirme que l’Eglise est prête à accepter que les couples LGBT aient des droits civils (lire ci-contre). Ce que plusieurs responsables ecclésiastiques, dont le cardinal Walter Kasper, avaient déjà publiquement soutenu.

En tant qu’archevêque de Buenos Aires, Bergoglio s’était lui-même déclaré en 2010, lors d’un débat sur le mariage pour tous, favorable à une protection juridique pour les couples homos. Mais cette prise de position revêtu de la robe pontificale prend une tout autre dimension. «C’est un coup de massue pour les conservateurs, qui depuis des décennies mènent les batailles pro-vie», observe un vaticaniste qui rappelle que le prédécesseur de François, Joseph Ratzinger, futur Benoît XVI, avait réaffirmé en 2003 la position de l’Eglise : «Reconnaître légalement les unions homosexuelles ou les assimiler au mariage signifierait approuver un comportement déviant.»

La galaxie ultra-catholique s’est donc indignée jeudi de la rupture consommée. «Ce sont des phrases déconcertantes, a lancé le site catholique La Nuova Bussola Quotidiana. Le droit naturel et divin est écrasé, la loi morale et naturelle est sapée.» Pour le cardinal Leo Burke, ces déclarations «sont privées de toute importance en ce qui concerne le magistère. Ce sont les opinions personnelles de celui qui les a prononcées, mais le fait qu’elles ne correspondent pas à l’enseignement constant de l’Eglise est source d’une profonde amertume et d’une préoccupation pastorale urgente». Et le conservateur américain d’enfoncer le clou : «Le scandale causé donne la fausse impression que l’Eglise catholique a changé de route sur des questions d’une importance cruciale». Les adversaires de Bergoglio, qui le traitent mezza voce de «pape communiste», lui reprochent d’ailleurs régulièrement de parler à tort et à travers avec des journalistes ou des documentaristes.

«Ambiguë»

Dans l’entourage du souverain pontife, on s’emploie en tout cas à rappeler qu’avaliser les unions civiles ne signifie pas ouvrir la voie aux mariages homosexuels, au contraire. Une position réitérée par le théologien Bruno Forte, qui a indiqué que «les droits des personnes doivent être respectés. Si deux individus, y compris du même sexe, décident de vivre ensemble, elles ont le droit à ce que leur choix ait une forme de protection». En ajoutant : «Le pape François a toujours répété qu’il ne peut y avoir de confusion entre la famille voulue par Dieu, qui est l’union entre un homme et une femme ouverte à la procréation, et tout autre type d’union.»

Mais, tels que rapportés par le documentaire, le pape va en fait plus loin en affirmant que les couples homosexuels «ont droit à une famille». «L’expression utilisée apparaît ambiguë», souligne dans les colonnes de La Stampa Lucetta Scaraffia, historienne et professeure à la Sapienza, car «elle est habituellement utilisée pour demander la reconnaissance au droit à la parentalité, c’est-à-dire obtenir par des moyens divers [FIV, GPA, ndlr] des enfants».

Au Vatican, on laisse entendre que les propos du pape auraient été enregistrés dans des contextes différents et qu’il n’y aurait pas d’ambiguïté sur la constance de la morale catholique. Reste que les propos pontificaux ont fait l’effet d’un chiffon rouge. «C’est une chose de ne pas discriminer les gays, c’en est une autre de dire qu’ils ont droit à une famille», insiste le quotidien de droite La Verità, qui rappelle que le catéchisme de l’Eglise catholique affirme toujours que «les Saintes Ecritures présentent les relations homosexuelles comme de graves dépravations». «Au sommet de l’Eglise, la prise de position de François a le soutien de nombreux prélats, assure Domenico Agasso, mais il y a de l’embarras car on craint les divisions.» A savoir une sorte de schisme des conservateurs. D’autant que, si les unions civiles voire les mariages homos sont de plus en plus banalisés dans beaucoup de pays, hors d’Europe, l’homosexualité est encore souvent taboue et réprimée.

Publicité
Commentaires
Publicité