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Jours tranquilles à Paris
1 novembre 2020

L’ATTENTAT DE NICE - Estrosi : « Aucun droit pour les ennemis du droit »

Propos Recueillis Par Christophe Ayad et Marie-Béatrice Baudet

Au lendemain de l’attentat, le maire de Nice plaide pour des mesures fortes, quitte à modifier la Constitution

ENTRETIEN

NICE - envoyés spéciaux

Depuis l’attentat de la basilique Notre-Dame, jeudi 29 octobre à Nice, dans lequel trois personnes, deux femmes et un homme, ont été tuées par un terroriste tunisien de 21 ans, Christian Estrosi, le maire Les Républicains de la ville, est omniprésent. Pour rassurer ses administrés, frappés une nouvelle fois après l’attentat au camion du 14 juillet 2016 (86 morts et 458 blessés), et la communauté chrétienne en particulier, mais aussi pour éviter que les tensions ne dégénèrent en violences contre les musulmans. Afin de combattre ce qu’il nomme « l’islamo-fascisme » et la « cinquième colonne », M. Estrosi plaide pour une laïcité intransigeante, ainsi qu’une législation et des mesures d’exception.

Quel est votre état d’esprit après l’attentat qui a, de nouveau, endeuillé votre ville ?

Tout le monde est fatigué. J’ai le devoir d’être solide, lucide, de garder mon sang-froid et ne pas me laisser emporter par la colère. Je gère encore les soubresauts du 14 juillet 2016 : il ne se passe pas une semaine sans que je n’aie à m’occuper du suivi des familles. La résilience remarquable des Niçois avait permis à la ville de se redresser plus forte encore. Et voilà que nous tombe dessus cette nouvelle tragédie. Ma responsabilité est d’être attentif à ce qu’elle ne monte pas des citoyens les uns contre les autres. Il faut que nous restions unis, comme après le 14 juillet 2016, où les 86 victimes et les 458 blessés étaient de toutes les origines et de toutes les confessions. Tout le monde s’attendait à des ratonnades. Il n’en a rien été.

Qu’attendez-vous après la visite du président Macron ?

Je souhaite que ce qui s’est passé à Nice et à Conflans-Sainte-Honorine [Yvelines] ne se reproduise pas dans les prochains jours. J’ai gardé beaucoup de souffrance morale des suites du 14 juillet 2016, lorsque le gouvernement de l’époque avait fait preuve de peu d’empathie et cherché par tous les moyens à justifier l’injustifiable.

Vous pensez à François Hollande ?

Non, il m’a d’ailleurs envoyé un message très gentil hier. Je pense à Bernard Cazeneuve [alors ministre de l’intérieur] et à son préfet. Je note aujourd’hui un évident changement d’attitude de la part du chef de l’Etat dont j’ai pu mesurer la réactivité et la volonté de mettre à notre disposition des moyens pour rassurer la population niçoise et les chrétiens attaqués.

Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a repris votre expression sur « l’islamo-fascisme »…

Emmanuel Macron a été le premier à nommer l’ennemi : l’islamisme radical. Personne ne l’avait fait avant lui. Dès lors, je ne veux pas donner l’image d’un maire qui polémiquerait avec le gouvernement. Il est important de ne pas faire preuve d’arrogance et de reconnaître ses faiblesses. Le président les admet lui-même. Elles remontent à quarante ans en arrière. A l’époque où nous avons eu tant de mansuétude à l’égard de l’ayatollah Khomeyni. Depuis lors, on voit ce qu’il en a coûté à la France et à bien d’autres. Il serait tellement plus simple de tirer à boulets rouges comme le font certains. Les appareils politiques qui se livrent à ce petit jeu ne se grandissent pas.

Vous pensez au Rassemblement national ?

A lui et à d’autres, à tous ceux qui sont toujours pour ce qui est contre et contre ce qui est pour. Je n’ai jamais entendu Mélenchon dire un jour quelque chose de positif ou de constructif. En ce qui concerne les hommes politiques raisonnables à gauche et à droite, comme le chef de l’Etat et moi-même, il y a une volonté d’inverser le cours des choses. Cela va être difficile car la France est faible. Nous avons trois fois moins d’agents de renseignement qu’Israël rapporté à notre population.

Mais avant tout, on a le devoir de construire un état d’esprit. Le président a dit hier : « Je ne lâcherai rien, je serai ferme. » On ne doit pas laisser la moindre place à une culture de l’excuse. Plus de 90 % des membres de la communauté musulmane de Nice, qui sont des amis, des frères, des esprits éclairés, souffrent le martyre à cause de ce qui se passe. Ils mesurent à quel point on instrumentalise leur religion à des fins politiques. Plus que jamais, la laïcité doit être notre livre commun et s’imposer à tous.

Comment définir cette laïcité ?

Samuel Paty, ce courageux professeur d’histoire, s’interdisait de faire la leçon aux élèves que ça pouvait choquer. Je veux que tous les profs d’histoire du pays fassent la leçon à tout le monde sans avoir peur de choquer qui que ce soit. C’est grâce à la transmission de la connaissance et du savoir qu’il y aura plus d’esprits éclairés et tolérants dans notre pays. Il faut l’exigence de tout expliquer, raconter tout ce que les religions peuvent avoir ou ont pu avoir de criminel. Cela doit être le cas pour tous et pour toutes les religions. La République, l’éducation ne se morcellent pas. C’est un principe de base. Quand on est en France, on doit vivre dans le respect de l’histoire, de la culture, de l’identité et des lois de la République.

Vous parlez souvent d’une cinquième colonne de l’islam radical. Qu’entendez-vous par là ?

L’expression remonte à la guerre d’Espagne. Aujourd’hui, Daech et Al-Qaida ont placé leurs pions partout dans nos institutions. Ils transmettent leurs méthodologies sur les réseaux sociaux et petit à petit conquièrent du terrain. Je pense à ce film, Les Misérables, qui raconte comment l’Etat a abandonné le pouvoir et l’a confié aux imams à Montfermeil [Seine-Saint-Denis]. C’est un territoire perdu de la République.

On a vu cette cinquième colonne à l’œuvre lors de l’attaque de la Préfecture de police de Paris en octobre 2019. Ce sabordage de l’intérieur existe dans toutes les administrations de l’Etat et les collectivités aujourd’hui.

Cette analyse ne va-t-elle pas conduire à une forme de « chasse » aux musulmans ?

Il ne faut surtout pas confondre un musulman avec un soldat de la cinquième colonne. C’est notre devoir de républicain.

Concrètement, qu’attendez-vous du gouvernement ?

Je sais qu’Emmanuel Macron veut agir mais je sais aussi – j’ai été ministre moi-même à trois reprises – que quand on est à la tête de l’Etat, on a toujours son administration contre soi. Il a la volonté aujourd’hui de veiller à ce que l’intelligence artificielle, y compris la reconnaissance faciale, puisse être utilisée aux fins de sécurité intérieure. On sait très bien que tant qu’on laissera la loi informatique et libertés de 1978 sur laquelle s’appuie la Commission nationale de l’informatique et des libertés, ce n’est pas possible.

Vous avez souligné à plusieurs reprises que les lois et certaines conventions internationales ne permettaient pas de lutter contre le terrorisme…

Les conventions auxquelles je pense sont des accords bilatéraux entre la France et des pays étrangers. Certains de leurs ressortissants vivant chez nous sont identifiés comme dangereux, il faut les renvoyer. Mais, le problème, c’est que la plupart de ces pays refusent de les accueillir. Il faut entrer dans une discussion claire : soit vous récupérez votre ressortissant, soit nous allons être obligés de remettre en cause certains accords.

Vous vous attaquez à l’Etat de droit…

Nous devons bien sûr rester un Etat de droit mais cela n’empêche pas de modifier certaines dispositions constitutionnelles. Et l’Etat de droit se glissera alors dans ces nouveaux habits. Est-ce que dissoudre rapidement une organisation s’attaquant aux valeurs de la République, c’est s’écarter de l’Etat de droit ? Est-ce qu’expulser des étrangers radicalisés, c’est s’écarter de l’Etat de droit ? Est-ce que la déchéance de la nationalité pour ceux qui prennent les armes contre leur pays, c’est s’écarter de l’Etat de droit ? Moi, je dis, aucun droit pour les ennemis du droit.

N’est-on pas en train de tomber dans le piège des islamistes radicaux qui veulent pousser les démocraties à renoncer à leurs valeurs ?

La Constitution a déjà été réformée à de nombreuses reprises. Qui pourrait prétendre pour autant que nous ne sommes pas une grande démocratie ? Je soutiens le président de la République quand il annonce un confinement pour protéger la santé des Français, pourtant on restreint un certain nombre de leurs libertés. Est-ce qu’on bafoue l’Etat de droit pour lutter contre un virus ? L’islamo-fascisme est un virus. Pourquoi ne peut-on pas utiliser les mêmes armes pour le combattre ?

Aujourd’hui, si vous demandiez par référendum aux Français « Etes-vous prêts pour un temps donné à ce que le président de la République en tant que chef des armées puisse prendre des mesures d’exception ? », ne pensez-vous pas qu’ils seraient prêts à accepter la privation de certaines libertés ? Ils sont terrorisés.

Ce type de raisonnement accrédite l’idée que le terrorisme peut être réglé définitivement…

Nous ne serons jamais à l’abri. Aucun pays n’est épargné, y compris la Russie de Vladimir Poutine ou la Chine de Xi Jinping. Nous n’adopterons jamais de mesures si restrictives qu’elles dénatureraient l’esprit français. Il y a une ligne blanche à ne pas franchir.

Où se situe-t-elle ?

Commençons par créer une équipe de renseignement pour identifier tous ceux qui sont des bombes à retardement de la cinquième colonne dans les administrations et nos entreprises. Ils doivent être neutralisés et renvoyés chez eux. Les Français ou ceux qui ont la double nationalité, il faut les mettre à l’isolement. Nous devons aussi nous montrer moins fragiles sur le droit d’asile. On dit que toutes les libertés se valent. Eh bien non, pour moi, au-dessus de toutes, il y a une liberté fondamentale, celle du droit à la sécurité.

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