La famille Verneuil ressoudée dans un pays en crise
Par Jacques Mandelbaum - Le Monde
Cinq ans après un premier film vu en salles par 12 millions de spectateurs, Philippe de Chauveron en propose une suite, « Qu’est-ce qu’on a encore fait au Bon Dieu ? », plus aimable et enlevée.
L’AVIS DU « MONDE » – À VOIR
Black-out chez UGC, maison productrice et distributrice du film, à quelques semaines de la sortie de Qu’est-ce qu’on a encore fait au Bon Dieu ?, suite d’un premier volume impressionnant à 12 millions d’entrées. On aurait tort de se gêner. Hors le battage promotionnel, risque zéro, pas un cheveu ne dépasse. Sollicité, le réalisateur, à l’instar du producteur, décline. Les projections de presse brillent de même par leur absence. C’est ainsi qu’on se retrouve le mardi 1er janvier 2019, à 18 heures, à l’UGC Bercy, à l’une des nombreuses avant-premières nationales organisées dans le réseau UGC.
L’affaire commence en fanfare par une altercation entre deux spectateurs dans la salle, prolongeant vraisemblablement un début des hostilités engagées dans la file d’attente. L’un des deux, beaucoup plus trapu que l’autre, se vante à plusieurs reprises de pratiquer sur la mère de son opposant un assaut que la morale réprouve. Flagrante ineptie, puisque le vociférant ici, tout le monde peut aisément constater qu’il n’est nullement à l’ouvrage. Ce qui n’empêche pas le service de sécurité du cinéma d’intervenir à titre préventif. L’introduction semble, en tout cas, parfaite pour le film à venir, qui s’inquiète, pas tout à fait à tort, de l’état général de notre pays et de l’atmosphère délétère qui y règne.
On constate donc d’emblée un déplacement de la problématique sociétale entre le Bon Dieu numéro un et le Bon Dieu numéro deux. Autant le premier se centrait, à travers les quatre gendres multiethniques de la famille Verneuil, sur les querelles intercommunautaires et l’idée que le racisme, loin de se réduire au milieu catholique bon teint des beaux-parents, était la chose la mieux partagée au monde, autant le second recolle les morceaux de la famille, confrontée aux dysfonctionnements d’un pays en lequel ils ont perdu toute confiance.
Positivité des personnages
Ressoudés par le malaise ambiant, les quatre gendres et leurs épouses respectives décident de s’expatrier en même temps. Qui en Israël, où David compte lancer un énième business plan foireux. Qui en Algérie, où Rachid, fatigué de défendre les intégristes, veut monter un nouveau cabinet d’avocats. Qui à Hongkong, où Chao, qui voit des antichinois partout, va prendre la tête d’une agence bancaire. Qui en Inde, où Charles Koffi pense qu’il aura plus de chances de mener une carrière d’acteur que dans l’Hexagone.
Là-contre, dévastés à l’idée de perdre leurs filles, se dressent depuis leur maison de maître tourangelle Claude et Marie, qui ourdissent, en mettant largement la main au portefeuille, un complot tentaculaire à multiples ressorts pour faire changer d’avis ceux qui quittent le navire. Ce glissement sensible vers une positivité des personnages et du récit fait du bien à la saga naissante. Il la rend plus aimable, plus enlevée, plus drôle. Il allège aussi considérablement le soupçon de complaisance qui pouvait peser sur Philippe de Chauveron, eu égard à sa représentation de l’altérité, après trois films passablement bourrins consacrés à un sujet qui n’en demandait pas tant – Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? en 2014, Débarquement immédiat en 2016, A bras ouverts en 2017.
On trouve, en outre, jusque dans les motifs parallèles, de quoi sustenter sa faim de fantaisie brindezingue. Le réfugié afghan adopté par Marie, que Claude soupçonne à tout bout de jardin d’être un terroriste. La conversion de ladite Marie, totalement déprimée, à la marche scandinave dans ledit jardin. Le retour de la famille Koffi à Paris, à la tête de laquelle le patriarche supermacho et suprémaciste noir campé par Pascal Nzonzi est à mille lieues de se douter que le promis de sa fille se nomme Nicole.
Et n’oublions surtout pas le mystère récurrent de la biographie à laquelle, dans sa retraite de notaire bien méritée, Claude se consacre en la personne du Tourangeau Alfred Tonnellé. De sorte que la première chose qu’on puisse raisonnablement faire en sortant de la salle est de courir aux sources, qui le définissent comme « écrivain, poète et pyrénéiste français », étant entendu que ce dernier vocable, inventé à la fin du XIXe siècle, désigne une sorte d’alpinisme moins sportif que littéraire.
Si l’on est tenté de saluer dans cette quintessence du provincialisme culturel français une sorte de running gag flaubertien, il faut hélas aussi évoquer les limites du film. Les filles Verneuil en potiches éhontées, témoins de l’indifférence perpétuée des scénaristes à leur égard. Le monde réduit à la frange économique supérieure et au credo subséquent selon lequel il n’y a que l’argent pour faire le bonheur. Enfin, l’un des happy ends les plus hors-sol de l’histoire de la comédie française, vantant autour d’une coupe de champagne l’unité nationale reconquise à l’heure où, dans la réalité, le spectre de la rupture démocratique et de la révolution sociale bat le pavé de nos villes.
Film français de Philippe de Chauveron. Avec Chantal Lauby, Christian Clavier, Elodie Fontan, Ary Abittan Frédérique Bel, Noom Diawara, Medi Sadoun, Emilie Caen, Frédéric Chau, Pascal Nzonzi (1 h 39).