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Jours tranquilles à Paris
6 juin 2019

Heure par heure, la chronologie du Débarquement :

3 juin, 20H50 : le premier message de la BBC : "l'heure des combats viendra…" est capté par

la Résistance. Il annonce l'imminence du Débarquement et constitue l'ordre de lancement des opérations de sabotages des voies ferrées de l'ouest.

4 juin, 23H00 : la BBC diffuse des messages complémentaires dont "Les sanglots longs des violons de l'automne". donnant aux résistants l'ordre de sabotage généralisé des installations ferroviaires non encore détruites et des installations téléphoniques.

5 juin, 3H30 : Eisenhower donne le feu vert définitif à son état major : le jour J est fixé au 6 juin.

20H00 : "Blessent mon coeur d'une langueur monotone" : diffusion de la seconde partie de la strophe du vers de Verlaine sur la radio de Londres. Mobilisation générale de tous les réseaux et passage à l'offensive.

22H55 : parachutage des équipes d'éclaireurs britanniques dont la mission est le balisage des zones de saut.

6 juin à partir de 0h00 : 1135 bombardiers britanniques déversent 5 800 tonnes de bombes sur une dizaine de positions côtières.

1h30 : la 101ème Division Aéroportée américaine est larguée à l’est d’Utah Beach. Peu après, parachutage anglais à l’est de l’Orne.

2h30 : bombardements sur l’ensemble des côtes. Devant Omaha Beach, transfert des troupes des navires sur les barges de débarquement.

3h50 : les paras anglais s’emparent de Ranville, premier village libéré.

4h30 : libération de Sainte-Mère Eglise et des Iles Saint Marcouf.

5h50 : Les 6 939 navires de l'armada alliée abordent les côtes normandes.

6h00 : 13 400 tonnes de bombes larguées sur les plages. Une demie heure plus tard, premières vagues d’assaut sur Utah et Omaha Beach.

07h30 : assauts simultanés par les troupes anglo-canadiennes à Gold, Juno et Sword. Les 178 Français du commando n° 4 s'élancent vers Riva Bella. Arrivée de la seconde vague d'assaut à Omaha Beach.

13h30 : la radio américaine, par la voix d'Eisenhower, annonce le débarquement.

20h00 : La tête de pont sur Omaha est définitivement établie.

La bataille de Normandie ne fait que commencer : elle durera 7 semaines pour s'achever le 25 août avec la fermeture de la poche de Falaise.

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5 juin 2019

75th anniversary of D-Day

4 juin 2019

Tiananmen : une ONG française recrée la photo de l'"Homme au char"

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Paris - Une ONG a symboliquement déployé mardi à Paris l'effigie en bois d'un char devant lequel se tient une personne représentant l'"Homme au char", en hommage aux victimes du massacre de Tiananmen et en soutien aux défenseurs des droits humains chinois privés de toute commémoration dans leur pays.

Cette installation éphémère - constituée d'une plaque de bois de plusieurs mètres sur laquelle est collée une photo d'un char, et devant laquelle des membres de l'ONG Acat (Action des chrétiens pour l'abolition de la torture), habillés comme "l'Homme au char" en pantalon noir, chemise blanche et portant des sacs - doit rester sur la place de la République, dans le centre de Paris, jusqu'à 18H00 GMT, les Parisiens étant invités à venir prendre des photos tout au long de la journée.

Un rassemblement avec d'autres ONGs partenaires et des prises de paroles est prévu mardi soir. 

Dans la nuit du 3 au 4 juin 1989, l'armée chinoise a mis fin à sept semaines de manifestations en faveur de la démocratie centrées sur la place Tiananmen à Pékin. La répression a fait des centaines, voire plus d'un millier de morts.

"Tank man" (l'Homme au char) est le surnom de l'homme resté anonyme, mais mondialement célèbre, qui fut filmé et photographié alors qu'il s'efforçait de bloquer symboliquement la progression d'une colonne d'au moins 17 chars. 

"On cherche à recréer cette photo pour commémorer le 30ème anniversaire du massacre de Tiananmen (...) et célébrer la figure des nouveaux +Tank men+ et +Tank women+ que sont les défenseurs des droits humains en Chine, des activistes qui malgré les menaces d'emprisonnement, de torture et de mauvais traitements, continuent de porter cet esprit de Tiananmen, de demander des réformes politiques et l'avènement d'une société plus démocratique en Chine", a expliqué à l'AFP Jade Dussart, responsable plaidoyer Asie à l'Acat.

"Aujourd'hui, il est impossible de commémorer l'anniversaire de Tiananmen en Chine", rappelle Mme Dussart. "Les familles des victimes ne sont pas autorisées à faire leur deuil publiquement, ni à se rendre sur le lieu du décès de leurs proches". 

"Trente ans après, rien n'a changé sur l'explication historique (du massacre de Tiananmen, NDLR) et les choses se sont encore plus corsées au niveau du contrôle de la société civile et de la pensée des citoyens; il y a une amnésie générale qui a été mise en place dès 1989 pour faire oublier cet événement ou pour le présenter comme un mal nécessaire en Chine", dénonce encore Jade Dussart. 

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Reportage photographique : J. Snap

Certaines photos ont été prises avec ma Nikon KeyMission 170.

4 juin 2019

DEVENEZ TANKMAN ! Il y a 30 ans = Tiananmen

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DEVENEZ TANKMAN !

Au printemps 1989, des millions de citoyens descendaient dans les rues de Pékin et dans l’ensemble de la Chine pour soutenir le mouvement lancé par des étudiants en faveur de réformes politiques et pour demander la fin de la corruption. Le mouvement démocratique fut officiellement qualifié d’« émeute » par le gouvernement et réprimé dans le sang dans la nuit du 3 au 4 juin. Aujourd'hui le gouvernement cherche toujours à effacer ces événements de la mémoire collective chinoise.

Pour résister à cette terreur culturelle,  un artiste chinois exilé en Australie, Badiucao, a décidé de rendre hommage à la figure de Tankman, cet homme immortalisé par un photographe de Reuters, qui avait osé affronter les chars du régime.

Le 4 juin 2016, l'artiste a revêtu les mêmes habits que le courageux anonyme dans les rues d'Adelaide. Depuis, son initiative s'est diffusée aux quatre coins du monde.

Le 4 juin, l'ACAT vous invite à devenir Tankman à votre tour. Nous serons présents toute la journée sur la place de la République avec un char en trompe-l’œil  de 2 mètres sur 3. Le principe sera simple :

Vous pourrez vous prendre en photo devant le char

Puis diffuser votre cliché sur les réseaux sociaux avec les hashtags #BecomeTankman et #Tiananmen

ACAT France

Organisation à but non lucratif · Paris
L'ACAT est une ONG engagée dans la lutte contre la torture, l'abolition de la peine de mort et la protection du droit d'asile.

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4 juin 2019

Beijing, juin 1989. La séquence intégrale est impressionnante

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4 juin 2019

Récit « Ils ont tiré sur tout ce qui bougeait » : récit du massacre de Tiananmen dans « Le Monde » du 6 juin 1989

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Photo : J. Snap - Place de la République - Paris

Par Francis Deron, correspondant du Monde en Chine de 1987 à 1997

Archives. Le correspondant du « Monde » à l’époque a décrit l’horreur de ces jours où des « dizaines de milliers d’intellectuels, contestataires ou pauvres pions broyés sur l’échiquier de la politique chinoise » ont perdu la vie parce qu’ils « ont eu la mauvaise idée de penser librement ».

Cet article a été publié dans Le Monde du 6 juin 1989. Nous le reproposons aujourd’hui, trente ans après la répression sanglante du mouvement de Tiananmen.

L’horreur complète. Un défoulement de violence militaire comme destiné, à chaque étape d’un scénario machiavélique, à dramatiser encore la situation, à ressusciter cette peur du civil, face à la force brutale, dont la disparition avait permis à l’agitation de se développer.

Dès l’après-midi du samedi 3 juin, la tension est montée vivement sur la place Tiananmen et dans tout le centre de la ville, après l’essai infructueux d’intervention militaire, la nuit précédente (Le Monde daté 4-5 juin). La police fit mine de reprendre aux manifestants l’autocar d’armes et de fournitures que les pauvres petits militaires avaient abandonné en pleine ville. On s’apercevra plus tard que ce qui voulait passer pour un échec des policiers était nécessaire à la suite du scénario : il restait à l’armée à récupérer son bien légitime.

Le drame se prépare

L’arrivée de milliers de soldats casqués peu après dans le centre-ville permit de compléter le dispositif théâtral. Comme il fallait s’y attendre, les soldats ont été contraints par les manifestants, comme au cours de la visite de M. Gorbatchev, de s’asseoir en tailleur et de chanter des chansons patriotiques… Le dernier chœur de cette révolution noyée dans le sang. A l’intérieur du Palais du peuple, se sont réfugiés des milliers de soldats. Qui commença, alors, à démolir les structures de l’énorme bâtisse de style stalinien, à l’aide de barres de fer, pour en extraire les pierres et en bombarder les militaires ? Nul ne le saura sans doute jamais. Mais le people’s power chinois, la stratégie de la non-violence des étudiants, est mort à cet instant-là. Il serait surprenant que les ouvriers insurgés, qui avaient compris la force du mouvement pacifiste étudiant et s’efforçaient d’en imiter l’humour et la gentille insolence, se soient livrés à un tel acte suicidaire.

Car en grande banlieue, le drame se prépare. Depuis le début de l’après-midi, l’insurrection jusqu’alors pacifique du peuple de Pékin s’est armée d’instruments dérisoires face à ce qui s’est massé aux portes de la ville : gourdins et barres de fer pour résister à des centaines de blindés et des dizaines de milliers d’hommes de troupes ayant reçu consigne de tirer en tous sens. Les barrages se mettent en place à l’aide d’autobus et de camions. L’armée commence à avancer en rangs serrés de militaires casqués, apparemment non armés. Mais la population sait que la force militaire est décidée à se déployer en grand, et violemment. D’autant qu’au journal télévisé du soir, le quartier général de la loi martiale a annoncé son arrivée imminente en recommandant aux Pékinois de rester chez eux, sachant parfaitement que cela suffirait à les jeter dans la rue.

Plusieurs dizaines de soldats sont vus agressés violemment par la foule rendue furieuse. On leur confisque un garrot de fer utilisé par la police pour tenir les suspects par le cou lors des interpellations, on s’indigne, et on en malmène un bon nombre, contraints de défiler, en haillons, comme les vaincus d’une guerre qui reste pourtant à livrer : la vraie bataille de Pékin a commencé, à la stupéfaction, bientôt suivie de terreur, de tous les Pékinois pour qui l’« armée du peuple » ne pouvait se permettre de tirer sur le peuple.

Un blindé fou

Le premier affrontement sérieux a lieu à Muxudi, un faubourg situé à une demi-douzaine de kilomètres à l’ouest de la place Tiananmen. Des tirs à l’arme automatique sont rapportés par des témoins, mais on hésite encore à croire à l’incroyable : ce n’est pas au fusil d’assaut que l’armée va s’imposer, c’est à la mitrailleuse lourde. « Fascistes ! », crie la foule en direction des soldats, mais à l’intention, surtout, de leurs chefs. La troupe répond par des tirs nourris, y compris en direction des immeubles bordant l’avenue, vers les fenêtres où sont agglutinés curieux et sympathisants des insurgés. Bilan : au moins seize morts et cent quatre-vingts blessés amenés à l’hôpital voisin en tricycle, et même sur des porte-bagages de vélos. La rumeur court qu’à Haidian, les étudiants ont submergé une cinquantaine de camions de militaires, les immobilisant.

Vingt minutes après minuit, l’armée donne à la population de Pékin la repartie de son défi des semaines passées. Un transport de troupes blindé fonce à toute allure le long de l’avenue Chang’an, d’ouest en est, à travers la foule, sans se soucier des barrages faits de glissières de circulation en travers de la route. « N’ayez pas peur ! », lancent des Pékinois aux étrangers. Mais tout le monde a peur, évidemment. Car on sait que la troupe répond à ce cortège incessant de motards formé par les entrepreneurs privés, qui avaient, pendant toute la période d’agitation active face à la loi martiale inappliquée, marqué le territoire insurgé d’une porte à une autre de la ville. Le sang, maintenant, va couler pour faire expier l’affront. En quantité.

Une bonne centaine de camions débarquent de l’ouest. Un nombre indéterminé de l’est. Les rafales d’armes automatiques légères et lourdes résonnent. On en entend au centre, bien sûr, mais aussi aux quatre points cardinaux, à la notable exception des quartiers où vivent diplomates et journalistes. Le blindé fou s’y heurte même à un camion de soldats, le prenant pour un véhicule insurgé du fait que des étudiants se sont perchés dessus. Les soldats – une unité d’un petit millier d’hommes – refuseront en conséquence d’avancer…

Tentatives désespérées

Il est 1 heure du matin, la mêlée fait rage. Charges, poussées, et, en face, tentatives désespérées de faire encore une fois appel aux sentiments humains de l’Armée populaire de libération (APL), que Mao Zedong voulait « comme un poisson dans l’eau » au sein du peuple. Les vélos, toutes sonnettes tintantes, face aux troupes. Les gens qui se précipitent, désarmés, le torse en avant, avant de s’éparpiller sous les tirs ou devant les blindés. A la violence répond la violence. Un blindé brûlera à quelques mètres du portrait de Mao. Les soldats lynchés par la foule aux cris de « Chiens de fascistes ! », ou plusieurs brûlés vifs.

« Vous vous rendez compte ? Même dans les pays fascistes les militaires tirent en l’air pour disperser la foule avant de charger », nous dit, les larmes aux yeux, un professeur fraîchement revenu des Etats-Unis. Sa femme approuve, mais les voix se baissent bientôt quand un policier en civil s’approche, l’air faussement badaud. « Fumiers ! Ils vont réussir encore une fois à nous terroriser », dit une autre dame qui, comme le couple, est descendue de chez elle exprès pour tenter encore une fois d’impressionner les militaires. « Ces soldats, ils viennent pour la première fois à Pékin. Ils ne savent rien de ce qui s’y passe, ce sont des illettrés recrutés dans les coins les plus pauvres, des montagnards… On ne leur a rien dit d’intelligent… », dira, plus tard, quelqu’un.

La brutalité du 27e corps d’armée

A 2 h 20 dimanche, l’APL – du moins, son 27e corps d’armée, déterminé à frapper très fort – pénètre sur la place Tiananmen. Les témoins qui ont observé toute la scène depuis l’Hôtel de Pékin, où sont pratiquement consignés les étrangers, sont formels : on verra quatre chars, au petit matin, écraser tout ce qui s’y trouve, les tentes des étudiants qui sont parvenus à s’enfuir, paniqués, à l’arrivée de la troupe, toutes grenades lacrymogènes déployées, mais aussi, semble-t-il, les tentes encore occupées.

Pendant plusieurs heures, on entend dans tout Pékin des tirs qui semblent nettement être ceux d’armes lourdes, peut-être du canon. On se pose des questions. Y a-t-il des combats entre unités militaires pour qu’on en vienne à user de telles armes ? Le gros de la troupe, qui n’est visiblement pas mêlé à cette opération menée par trois corps d’armée seulement – le 27e, le 39e et le 65e, les deux derniers semblant nettement plus modérés que le premier – est-il en train de réagir à ce qui, décidément, ne peut que se qualifier de putsch ? L’impossibilité physique de parcourir la cité permet toutes les hypothèses.

A 5 heures, le grondement caractéristique des blindés à chenilles emplit l’obscurité feutrée précédant l’aube, au terme de la nuit la plus longue jamais vécue par la capitale de l’ex-Empire du Milieu. Le coup d’Etat sous prétexte d’opération de police a, pour le moment, réussi.

Au matin, une épaisse fumée noire s’élève de la place Tiananmen : l’armée a entrepris de brûler les restes de la « chienlit » bon enfant qui s’est tenue depuis le 15 avril. Mais d’autres fumées aussi sont visibles : celles des véhicules de l’armée auxquels « on » a mis le feu.

Au pied de l’Hôtel de Pékin, un petit manège meurtrier oppose encore plusieurs heures manifestants et soldats. L’armée barre l’accès à la place. Les Pékinois s’avancent lentement dans sa direction. Une rafale de mitrailleuse lourde laisse quelques morts sur le macadam. La foule se retire, paniquée. Le calme se restaure. La manifestation recommence à avancer. Nouvelle rafale. Nouveaux morts. Une trentaine peut-être en deux ou trois heures…

Toute la journée de dimanche, les tirs sporadiques d’armes automatiques résonneront dans la ville. Les étrangers tentent des sorties en ville. L’ampleur de la bataille est criante. Mais quelle bataille, au juste ? Des plaques de sang coagulé sur la chaussée, des voies jonchées de briques permettent de deviner ce qui s’est passé là. Mais on dénombre aussi une centaine de carcasses de véhicules militaires brûlés, pratiquement à tous les carrefours, ce qui ne cadre pas avec l’atmosphère générale du soulèvement.

« Malfrats et brigands »

A Muxudi, où l’affrontement a commencé, ce sont, bizarrement, pas moins de quarante-six blindés de transports de troupes qui sont calcinés. Ils semblent s’être tous télescopés en série devant un barrage d’autobus. Se peut-il qu’une insurrection aussi improvisée que celle de Pékin ait réussi à infliger tant de pertes à une armée aussi bien préparée que celle qui campait aux portes de la ville depuis deux semaines ? Le civil qui mit le feu, devant un diplomate occidental, en fin d’après-midi, dimanche, à l’aide de torchons et d’essence, à un de ces blindés curieusement abandonné par tous ses occupants, agissait-il vraiment pour le mouvement contestataire ?

On avait encore plus de mal à le croire à voir le ton des rares communiqués diffusés dès l’aube dimanche par la radio et la télévision, en l’absence d’émissions de l’agence Chine nouvelle, dont les services rédactionnels semblent avoir été pris par la troupe au point de cesser toute activité liée à la situation intérieure. Il n’est plus question que des pertes infligées aux militaires, plus de cent morts, par ces insurgés qu’on ne savait décidément pas si puissants. On consent à dire qu’il y a eu, chez les civils, « des victimes, et même des morts » dans la répression de cette agitation « contre-révolutionnaire », mais pas combien. La foule des Pékinois « a apporté volontairement sa coopération » à une opération présentée comme visant à « protéger les fruits de la révolution et de la réforme » en frappant des voleurs d’armes, des « malfrats et brigands », des personnes décidées à « renverser le système socialiste et la direction du Parti communiste ». Aucun visage ne se montre à la télévision : les communiqués sont lus en voix off, l’écran occupé simplement du titre de l’annonce en chinois.

Dimanche soir, une nouvelle menace apparaît, toujours inscrite dans la machine infernale de ce scénario à la réalisation duquel participent involontairement, peut-être même inconsciemment, les insurgés. Des renforts militaires pénètrent dans le périmètre intérieur de la ville, en direction des campus universitaires. Motif, lu entre les lignes des communiqués officiels : des soldats auraient été « kidnappés ». Une autochenille blindée, au moins, l’a effectivement été : les étudiants de l’université de Pékin s’en sont emparés, l’ont amenée chez eux, dans le nord-ouest. Les insurgés sont sommés, par la radio, de restituer le matériel.

Toute la journée, des témoignages dramatiques, partiels mais tous concordants, nous parviennent sur l’ampleur du traumatisme causé par cette « libération » de Pékin en forme de boucherie. Les hôpitaux refusent de soigner les blessés légers. Les médecins de l’un d’eux auraient fait savoir à des envoyés du Quotidien du peuple qu’ils n’accepteraient de leur parler que si le journal publiait un compte rendu factuel et objectif du drame.

SAUF SURSAUT NATIONAL, LA CHINE A FAIT UN NOUVEAU PLONGEON DANS LE RÈGNE D’UNE SOLDATESQUE À LA MENTALITÉ PRÉHISTORIQUE.

Des étudiants brandissent les cadavres de leurs condisciples tués par l’armée devant des camions de militaires. « Œil pour œil, dent pour dent », « Vengeons le sang par le sang », proclament des grandes affiches sur les campus du nord-ouest. Des chapelles ardentes ont été vues par des témoins occidentaux. Dans la morgue d’un hôpital, les gens défilaient en milieu de journée, dimanche, pour tenter d’identifier le cadavre d’un parent manquant. « Ils sont devenus fous. Ils tirent sur tout ce qui bouge », déclare un médecin, affolé. Opinion que partage un douanier avertissant un voyageur à son arrivée à l’aéroport, toujours ouvert malgré le bain de sang du centre-ville : « N’allez pas là-bas, ils tirent dans tous les sens. »

Un silence pesant

Des étudiants ont dit vouloir quitter leur campus, se réfugier dans la clandestinité, opter désormais pour la « lutte armée ». L’un des leaders du mouvement, le Ouigour Wuer Kaixi, aurait été vu dans un hôpital. Certaines ambassades étrangères, dont celle de France, sont parvenues à évacuer, avant la tombée de la nuit, dimanche soir, une partie de leurs étudiants des campus universitaires. Au pied de la principale résidence pour diplomates et étrangers de Pékin, une douzaine de camions de l’armée ont pris un moment position en début de soirée, dimanche, avant de se retirer quelques heures plus tard. Le fusil d’assaut était bien en évidence, prêt à servir.

Ce n’était pas seulement pour nous protéger. La disposition de cet effectif faisait que, s’il fallait tirer, les fenêtres des étrangers auraient été dans la ligne de mire. Le message est limpide : pas question de donner refuge à des étudiants qui voudraient trouver asile auprès de la communauté étrangère. Il n’y aura pas, ici, de solidarité internationale possible, face au drame de ces dizaines de milliers d’intellectuels, contestataires ou pauvres pions broyés sur l’échiquier de la politique chinoise qui avaient eu la mauvaise idée de penser librement sans même chercher à renverser le régime.

Un silence pesant s’était abattu au milieu de la nuit de dimanche à lundi sur la ville, occasionnellement trouée d’un tir de fusil d’assaut, avant qu’à minuit vingt-cinq, ne retentisse à nouveau, se dirigeant vers Tiananmen depuis les faubourgs de l’est, le grondement de dizaines de blindés. Au passage, devant la résidence des étrangers, tel ou tel soldat jugeait opportun de tirer un coup de feu symbolique, claquant dans le silence. Puis, une heure et demie plus tard, le même scénario. Jamais le hululement incessant des ambulances, lors de la grève de la faim des étudiants, ou les autres bruits de cette révolution de cinquante jours qui s’est achevée ce week-end dans le sang, n’avait été oppressant à ce point.

Qu’importe, ont eu l’air de dire, par voie de télévision, les militaires qui se sont lancés dans cette opération d’un autre âge. La vue la plus significative du bref reportage télévisé diffusé dimanche soir sur l’état de la place Tiananmen était la chute de la réplique de la statue de la Liberté que les étudiants des Beaux-Arts avaient érigée face au portrait de Mao, pauvre symbole triomphalement abattu par une force armée assoiffée de vengeance. La chute à laquelle on vient d’assister est plus vertigineuse que ce dérisoire symbole ne le suggère : sauf sursaut national, la Chine a fait un nouveau plongeon dans le règne d’une soldatesque à la mentalité préhistorique.

3 juin 2019

Trente ans après Tiananmen : en Chine, « l’hiver du militantisme »

Par Frédéric Lemaître, Pékin, correspondant

La marge de manœuvre des avocats et des intellectuels chinois s’est considérablement réduite sous Xi Jinping.

Le mardi 9 mai, vers 9 heures du matin, un inconnu frappe à la porte de Xu Yan, dans l’ouest de Pékin. « Votre mari est jugé aujourd’hui », lui annonce-t-il avant de s’éclipser. Son mari, Yu Wensheng, célèbre avocat, a été battu et arrêté, sous les yeux de leur fils, le 19 janvier 2018.

Depuis, sa femme, discrète mais opiniâtre, remue ciel et terre pour obtenir sa libération. Ni elle ni ses avocats n’ont été informés de la tenue de ce procès à Xuzhou, à environ sept cents kilomètres au sud de Pékin. Depuis, Xu Yan appelle le tribunal en vain. Ce jugement en catimini a poussé l’Union européenne à protester officiellement.

« DIX-NEUF HEURES SANS EAU, NI W.-C., LORS DE MA PREMIÈRE GARDE À VUE. NEUF HEURES, DÉSHABILLÉE ET IMMOBILISÉE SUR UNE CHAISE, POUR LA DEUXIÈME. »

Quelques jours auparavant, Xu Yan avait raconté au Monde l’enfer dans lequel elle vit depuis ce 19 janvier 2018. Notamment les six caméras de surveillance placées devant son appartement et les trois visites, nocturnes ou dominicales, de la police à son domicile, suivies de gardes à vue. « Dix-neuf heures sans eau, ni W.-C. la première fois, neuf heures déshabillée, et immobilisée sur une chaise la deuxième, la troisième fois fut moins violente », détaille-t-elle. Sa faute ? « Etre la femme de mon mari, parler à la presse. Mais j’ai décidé de me battre même si j’ai peur », confie-t-elle en jetant un regard inquiet aux deux hommes assis à proximité.

En juillet 2015, dans une rafle sans précédent, environ 200 avocats des droits humains ont été arrêtés. Si la plupart ont été libérés en 2017, ils n’ont plus le droit d’exercer. Avocat de certains de ces avocats, Yu Wensheng n’a été arrêté que le 19 janvier 2018. La veille, il avait déclaré vouloir modifier la Constitution. Comme Xi Jinping. Pas pour permettre au président de le rester à vie, mais au contraire pour qu’il y ait plusieurs candidatures.

« Selon mon mari, s’il n’y a qu’un candidat, ce n’est pas une élection. C’est une nomination. C’est ce que dit la loi. Mais en Chine, les avocats qui respectent la loi ont des problèmes », explique sa femme.

Yu Wensheng est sur la liste des cinquante personnalités dont les Européens ont redemandé début avril la libération. L’Union dispose d’une autre liste de plusieurs centaines de noms, tous vérifiés. Selon les Occidentaux, il y a plusieurs dizaines de milliers de prisonniers politiques en Chine, « chiffre auquel vous pouvez rajouter un million en tenant compte des musulmans du Xinjiang », ajoute, grinçant, un diplomate.

Juin 1989 ou le glas des espérances

Il y a trente ans, des millions d’étudiants et de Chinois ordinaires descendaient dans la rue pour réclamer la « cinquième modernisation » : la démocratie que la plupart d’entre eux espéraient obtenir du Parti communiste après une première décennie de réformes économiques.

La répression sanglante du 4 juin 1989 et des mois suivants allait sonner le glas de leurs espérances. Faute de pouvoir agir nationalement, de nombreux intellectuels décident alors de s’engager aux côtés de catégories sociales défavorisées ou ­d’explorer des pans de l’histoire encore tabous, comme la Révolution culturelle. Une façon de changer la Chine « par le bas » qui, pour certains, s’inscrit dans la continuité de l’engagement politique de 1989.

LES AVOCATS JOUENT UN RÔLE CRUCIAL DANS LE MOUVEMENT DE DÉFENSE DES DROITS À PARTIR DE 2003.

Les avocats jouent un rôle crucial dans ce qui devient connu sous le nom de « mouvement de défense des droits » à partir de 2003, quand trois d’entre eux s’emparent de la mort d’un jeune migrant à Canton dans un centre de rétention pour faire abolir cette forme d’emprisonnement.

« Après une relative libéralisation à partir du milieu des années 1990, en partie due à l’essor de médias et de maisons d’édition privés puis au développement d’Internet, la situation s’est tendue en 2008 après les Jeux olympiques et, dans un second temps, à partir de 2012 et l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir », explique Sebastian Veg, auteur d’un essai sur les intellectuels de terrain (Minjian, The Rise of China’sGrassroots Intellectuals, Columbia Uniersity Press, non traduit).

Liu Xiaobo, Prix Nobel de la paix 2010, mort en prison

Comme l’explicite la direction du Parti communiste dans un document établi en 2013, la notion même de société civile est une « théorie sociopolitique d’origine occidentale » que les « forces politiques occidentales antichinoises utilisent contre la Chine ». Elle ne saurait donc être tolérée. D’où l’arrestation massive d’avocats en 2015. La mort en prison en juillet 2017 de Liu Xiaobo, Prix Nobel de la paix 2010, symbolisera, aux yeux du monde, la cruauté de cette répression. Les autorités chinoises n’ont jamais admis que ce leader – modéré – de la place Tiananmen fasse signer, en 2008, par 303 intellectuels une « Charte 08 » réclamant l’instauration de la démocratie.

Aujourd’hui, juristes, journalistes, historiens, économistes, ­artistes, croyants, féministes, membres d’une ONG…, tous ceux qui acceptent de parler en témoignent : leur marge de manœuvre se réduit comme peau de chagrin. « La situation est de pire en pire, mais comme l’homme est un animal social, les gens qui partagent les mêmes valeurs essaient de continuer à se réunir », témoigne Wang Yu, une avocate détenue en prison de juillet 2015 à août 2016 et dont l’un des combats a inspiré le film chinois Les anges portent du blanc, qu’elle n’a d’ailleurs jamais vu.

Dans un tout autre secteur, Unirule, centre de recherche en économie créé en 1993 et qui jouissait d’une véritable aura internationale, n’est plus que l’ombre de lui-même. « Il n’y a plus que seize chercheurs, contre une trentaine auparavant. Nous n’avons plus de site Internet, plus de compte WeChat [principale application de messagerie en Chine] et nous sommes interdits de publications. Les pressions sont énormes et je n’ai aucune idée de la façon dont nous bouclerons le budget 2019 », reconnaît son président, Wu Si.

« IL N’Y A PLUS DE MARGE DE MANŒUVRE POUR UNE CHINE SOCIALE-DÉMOCRATE, MAIS LES IDÉES NE DISPARAISSENT PAS. »

Cet ancien journaliste est un homme courageux. Jusqu’en 2014, il était à la tête d’une revue intellectuelle indépendante extrêmement réputée, Yanhuang Chunqiu, dont le gouvernement finit par prendre le contrôle deux ans plus tard. « Il n’y a plus de marge de manœuvre pour une Chine sociale-démocrate, mais les idées ne disparaissent pas pour autant », veut croire cet humaniste. « Il y a une véritable phobie des ONG », constate de son côté Feng Yuan, une militante féministe, même si la communauté LGBT semble relativement épargnée par la répression actuelle.

En revanche, un sujet, entre tous, est tabou : Xi Jinping. « On ne critique pas l’empereur », résument les intellectuels chinois. Un professeur de la prestigieuse université de Tsinghua, Xu Zhangrun, vient d’en faire les frais. En juillet 2018, ce juriste a écrit un long texte dans lequel il dénonce le culte de la personnalité qui entoure Xi Jinping ainsi que la modification de la Constitution au profit de celui-ci. Il réclame par ailleurs la « réhabilitation du 4 juin 1989 », sujet qu’il est interdit d’évoquer en Chine.

Chape de plomb

Si, jusqu’à présent, Xu n’a pas été arrêté, il est interdit de cours depuis mars et reste étroitement surveillé. « C’est un avertissement à l’ensemble des intellectuels. Le pouvoir teste la marge de manœuvre dont il dispose pour savoir jusqu’où il peut réprimer Xu », estime Ding Dong, un historien.

Plusieurs centaines de personnes, dont de nombreux collègues, ont signé une pétition exprimant leur solidarité avec Xu Zhangrun. Tsinghua étant l’université la plus prestigieuse – et celle dans laquelle Xi Jinping a fait une partie de ses études –, le sujet est extrêmement sensible. « Il a suffi que je cite l’un des signataires de la pétition dans un article pour que celui-ci soit censuré sur les réseaux sociaux. Sans ce nom, l’article est paru », témoigne Ding Dong. Une véritable chape de plomb s’est abattue sur les universités. Comme tous les cours sont désormais filmés, les enseignants savent à quoi s’en tenir.

C’est pourtant d’une université pékinoise qu’a récemment surgi un mouvement a priori paradoxal. De jeunes étudiants marxistes, prenant au pied de la lettre les enseignements reçus, ont décidé d’aider des ouvriers de Shenzhen à faire valoir leurs droits. Pire : des vétérans de l’armée se sont joints à eux. La riposte des autorités ne s’est pas fait attendre. Les ouvriers ont été victimes de violence et, depuis l’automne 2018, au moins une dizaine d’étudiants sont sous les verrous.

LES MILITANTS SE SENTENT SI ISOLÉS QU’ILS CRAIGNENT POUR LEUR SANTÉ MENTALE.

Depuis quelques semaines circule sous le manteau un rapport d’une trentaine de pages sur les jeunes militants chinois. Des chercheurs, anonymes, ont, en 2018, longuement interrogé trente-six activistes. Les canaux par lesquels ce travail est diffusé le rendent crédible. Qu’ils s’intéressent aux questions sociales, environnementales, de genre ou, plus rarement, politiques, les jeunes interrogés qualifient tous l’époque d’« hiver du militantisme ». Ils se sentent tellement isolés que leur propre santé mentale constitue, de leur aveu même, une de leurs principales préoccupations dans un pays où le secret médical n’existe pas.

« Ils n’idéalisent pas complètement le système politique démocratique ni ne croient que la démocratie puisse résoudre tous les problèmes. Au lieu de cela, ils voient le processus démocratique comme une nécessité stratégique pour accomplir des transformations sociales en Chine », note l’étude. Trente ans après Tiananmen, les – rares – héritiers de ce mouvement verraient donc la démocratie davantage comme un moyen que comme une fin.

2 juin 2019

Nécrologie - Le philosophe et académicien Michel Serres est mort

Par Christian Delacampagne (philosophe et écrivain, collaborateur du Monde des livres, mort en 2007) et Roger-Pol Droit

L’auteur des best-sellers « Les Cinq Sens », « Petite Poucette », « Le Gaucher boiteux », s’est éteint à l’âge de 88 ans, « entouré de sa famille ».

C’était un philosophe comme on en fait trop peu, un bon vivant doublé d’un mauvais caractère, un amoureux des sciences et des saveurs, un esprit encyclopédique, un prodigieux manieur de mots, un grand penseur de tradition orale, un touche-à-tout de génie, un maître plutôt qu’un professeur, un arlequin, un comédien.

Michel Serres est décédé samedi 1er juin, à l’âge de 88 ans. « Il est mort très paisiblement à 19 heures entouré de sa famille », a déclaré son éditrice Sophie Bancquart.

Nombreux sont ceux, parmi ses anciens élèves, qui se souviennent encore de la façon dont il commençait ses cours : « Mesdemoiselles, Messieurs, écoutez bien, car ce que vous allez entendre va changer votre vie… » Et, en effet, il arrivait parfois qu’au sortir de ses cours la vie eût changé. Elle était tout à coup plus colorée, plus gaie.

Trouver un auditoire à sa mesure

Michel Serres était gai. Ou, du moins, faisait très bien semblant de l’être, comme il faisait aussi, par pur caprice, très bien semblant d’être en colère. Il n’ignorait rien des ressources du théâtre, sans avoir eu besoin, pour cela, de fréquenter le conservatoire.

Il était simplement né à Agen, le 1er septembre 1930, à la lisière de cette Gascogne qui a le théâtre dans la peau. Dans ce midi subtil, on naît « vedette », on ne le devient pas. Serres était né « vedette ». Il ne lui restait plus qu’à trouver un auditoire à sa mesure.

Celui du Lot-et-Garonne ne tarde pas à se révéler trop exigu. Tant de choses sollicitent le jeune homme : mathématiques, rugby, musique… Et, surtout, le vent du large, les vastes nuages qui descendent la Garonne en direction de Bordeaux.

Michel Serres décide de naviguer. Puis, à peine admis à l’Ecole navale, il réalise qu’il ne veut pas être militaire, ni piloter, sa vie durant, de paisibles cargos. Démission, retour au lycée. Khâgne parisienne. Entrée à l’Ecole normale supérieure. Sa vocation ? Ce sera la philosophie. A l’agrégation, il est reçu deuxième. Georges Canguilhem (1904-1995), qui règne sur la Sorbonne, le félicite sobrement : « A ce concours, le meilleur est toujours reçu deuxième. Ce fut naguère mon cas. C’est aujourd’hui le vôtre. »

Une intuition lumineuse

Commence alors une carrière universitaire classique : un peu de province (Clermont-Ferrand), puis la capitale (« pour le plaisir d’aller à Roland-Garros »), successivement à Paris-VIII et Paris-I. Commence aussi une longue série de livres. Une soixantaine au moins, en plus des cours – pour ne rien dire des articles et des conférences, innombrables.

Michel Serres écrit beaucoup, tous les matins, de l’aube (il se lève à 5 heures, quoi qu’il advienne) jusqu’à midi. Il écrit aussi facilement qu’il parle, avec le même accent gascon, le même souffle épique. Au risque d’en faire trop, et d’oublier, parfois, que les lois de l’écriture ne sont pas celles de l’improvisation orale.

Le premier livre, la thèse, paraît à un mauvais moment : 1968. Le Système de Leibniz et ses modèles mathématiques (PUF) n’est pas, cette année-là, l’événement qui retient l’attention. Il s’agit pourtant d’un grand travail, soutenu par une intuition lumineuse : contrairement à sa réputation de penseur dispersé, voire brouillon, le philosophe allemand (1646-1716) est un auteur parfaitement cohérent. Son œuvre est sous-tendue par un système. A l’intérieur de celui-ci, le plus petit opuscule, le moindre sous-système reproduit la structure de l’ensemble. Et ce dernier, à son tour, n’est qu’un miroir du monde – un miroir de ce vaste « manteau d’Arlequin » qu’est le monde. « Tout est toujours et partout la même chose, au degré de grandeur et de perfection près » : est-ce la devise d’Arlequin ou bien celle de Leibniz ? Ce sera, en tout cas, celle de Serres.

Brouiller les frontières

Reste à en éprouver la validité. Dans la thèse de 1968, la démonstration utilise un modèle mathématique : la théorie des ensembles. Michel Serres est ainsi l’un des premiers à introduire, dans le champ de l’histoire de la philosophie, la notion de « structure ».

Il n’en faut pas plus pour qu’il se voie rangé dans le camp « structuraliste » – lui qui déteste les modes, et a pour habitude de répéter que, à partir de 30 ans, « un philosophe qui se respecte doit cesser de lire ses contemporains ». Structuraliste, Serres ? Disons qu’en bon élève de Gaston Bachelard (1884-1962), qui a été le directeur de son diplôme d’études supérieures, il se refuse à séparer les avancées de la pensée philosophique de celles de la pensée scientifique. Comme Leibniz, là encore, il a envie de brouiller les frontières, de dériver où bon lui semble, de redessiner, à sa façon, la carte de l’univers. C’est pourquoi, à nouveau, il s’embarque. Mais c’est pour naviguer, cette fois, sur l’océan des livres et des savoirs.

De ce périple, les cinq premières étapes font date. La série des Hermès – cinq volumes qui s’égrènent de 1969 à 1980 (Minuit) – demeure son grand œuvre. Chacun de ces volumes est un recueil de textes brefs, placés, chaque fois, sous un titre distinct : La Communication, L’Interférence, La Traduction, La Distribution, Le Passage du Nord-Ouest.

Derrière ces titres, y compris derrière la métaphore marine que recèle le dernier, des concepts, reliés entre eux au point d’en être interchangeables. Car si tout « communique », tout « interfère ». Et si tout « interfère », tout, ou presque tout, est « traduisible ». Tel tableau de La Tour renvoie à telle théorie de la perspective ou à telle conception de la grâce, telle œuvre littéraire n’est qu’une image de l’état du savoir à un moment donné, et même Les Bijoux de la Castafiore, d’Hergé (1963), peut se lire comme l’illustration d’un modèle communicationnel.

« Hermès »

Le philosophe ne jouit, ici, d’aucun privilège. Il n’est pas celui qui, le dos au mur, proclamerait la vérité dernière. Il n’est qu’un interprète, un « passeur », un « trafiquant », un « intermédiaire ». Bref, un « Hermès ».

Michel Serres n’est pas seul, à l’époque, à tenir ce genre de discours. Ses travaux entretiennent une certaine proximité avec ceux de Louis Marin (1931-1992).

Pourtant, malgré le succès d’estime des Hermès et de trois ou quatre autres livres qui leur sont contemporains (Jouvences, Minuit ; Feux et signaux de brume, Grasset ; Esthétiques, Hermann ; La Naissance de la physique, Minuit, respectivement consacrés à Verne, Zola, Carpaccio et Lucrèce), la reconnaissance que Serres obtient ne lui semble pas à la hauteur de ses ambitions. A Paris-I, il n’est pas hébergé par le département de philosophie mais par celui d’histoire, où il enseigne l’histoire des sciences. Le Collège de France ne le coopte pas. Quand il en parle, une imperceptible amertume se glisse dans sa voix. Il finit même par se persuader, à tort, qu’il est le grand « maudit » de la philosophie française.

Carrière américaine

Alors, il compense. D’abord, il gère sa carrière américaine. Depuis la fin des années 1960, il se rend fréquemment à l’université Johns Hopkins, à Baltimore, où l’invite René Girard (1923-2015). Puis, quand ce dernier quitte le Maryland, Michel Serres le suit sur la côte Ouest.

C’est à Stanford qu’a lieu, en septembre 1981, un mémorable colloque sur « l’auto-organisation », dont Serres est, le dernier jour, le conférencier vedette. Sommet californien d’une belle carrière, dont le principal bénéficiaire regrette, cependant, qu’elle ne dépasse pas le cadre des départements de français. Il est vrai que, en anglais comme en français, il parle toujours gascon. Et que sa propre indifférence à la philosophie anglo-saxonne ne facilite pas le dialogue.

Autre compensation : l’écriture. Michel Serres est, pour les éditeurs, une valeur sûre, entretenue par les articles amicaux d’une pléiade d’anciens élèves. Du coup, le philosophe ne sait plus s’arrêter. C’est dommage car, pour rester un genre « noble », l’essai suppose une exigence de rigueur qui, ici, tend à se relâcher au fil des ans. Le Parasite, ces deux textes curieusement « girardiens » que sont Genèse et Rome (tous trois chez Grasset), puis des ouvrages comme Les Cinq Sens, L’Hermaphrodite, Statues, Le Contrat naturel ou Le Tiers-Instruit (Grasset, Flammarion, François Bourin) ne peuvent pas ne pas décevoir – surtout ceux qui se souviennent des débuts du philosophe

D’autres lecteurs, en revanche, apprécient sa faconde, se laissent prendre par sa réputation de séducteur, par son look (soigneusement entretenu) de vieux loup de mer, par ses tempes grisonnantes, son accent rocailleux – ainsi que par sa facilité à parler de toutes les choses connues, et de plusieurs autres encore.

Charme fou et folles entreprises

Très logiquement, le grand écrivain finit par dire oui aux honneurs. Il se retrouve à l’Académie française et devient, pour un temps, conseiller de la Cinquième, « chaîne du savoir ». On se gardera bien de le lui reprocher.

Son charme fou a attiré vers la philosophie un public que, sans lui, celle-ci n’aurait jamais conquis, et aidé à monter quelques folles entreprises, néanmoins fort utiles, comme le « Corpus des œuvres de philosophie en langue française ».

On ne reprochera pas davantage à Michel Serres ses ambiguïtés politiques, ni son obscure attirance pour la religion (qu’atteste, entre autres, ce livre bizarre sur La Légende des anges, Flammarion, qu’il accompagna, à New York, d’une conférence-spectacle dans une église d’Harlem).

Il n’est pas de grand voyageur qui ne s’égare, quelquefois, en chemin. Or Michel Serres fut un grand voyageur – ce qui lui permit d’être, aussi, un prodigieux conteur d’histoires. Il fut un philosophe comme on n’en fait plus trop. Et peut-être même, à sa façon, un sage. C’est de cela, de cela avant tout, que l’on se souviendra.

Christian Delacampagne (philosophe et écrivain, collaborateur du Monde des livres, mort en 2007) et Roger-Pol Droit

Des réactions des mondes politique, littéraire et sportif. Plusieurs responsables politiques ont salué la mémoire de Michel Serres dès l’annonce de son décès, samedi soir. « Adieu Michel Serres, l’honnête homme par excellence, du XXe et du XXIe siècles, éclectique, humaniste et visionnaire. Sa bonté se voyait et s’entendait, a salué le ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer sur Twitter. Sa pensée sur l’éducation continuera à nous influencer. » Sa collègue de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, voit en lui « notre contemporain capital, sensible aux nouveautés du temps » ; le ministre de la culture, Franck Riester, a rendu hommage à une pensée « lumineuse et moderne, poétique et accessible ». « La chaleur de sa voix nous manque déjà », a-t-il écrit sur les réseaux sociaux. Le député La République en Marche (LRM) et mathématicien, Cédric Villani, retiendra l’« infatigable bâtisseur de ponts entre disciplines » qu’était Michel Serres. « Conférencier passionné, méridional chaleureux, grand enfant épris de futur, il mettait à l’aise dès les premiers mots et s’embrasait dans la discussion », a-t-il ajouté. Pour Yannick Jadot (eurodéputé Europe Ecologie Les-Verts), c’était « un grand humaniste, qui est toujours resté en lien avec son temps et a gardé une confiance formidable dans la jeunesse ». Pour l’ancien ministre Jack Lang, aujourd’hui président de l’Institut du monde arabe, c’est « l’idée d’une philosophie joyeuse [qui] s’en est allée » avec la mort de Michel Serres. Le philosophe Bernard-Henri Lévy a pour sa part salué « le savoir absolu fait homme. La philosophie, la science et la littérature allant du même pas ». L’ancien directeur de Franceinfo Michel Polacco, qui présentait « Le sens de l’info » avec Michel Serres, a rendu hommage à l’antenne à « un des personnages assez exceptionnels que la France a eu l’honneur et la chance (…) de posséder », soulignant sa vision des choses « véritablement originale », sa « fabuleuse culture » et sa « capacité de se mettre au niveau de tout le monde ». Même le club de rugby d’Agen, la ville où le philosophe à l’accent rocailleux et à la chaleur communicative avait vu le jour le 1er septembre 1930, s’est joint aux hommages en postant sur son compte Twitter une photo du « plus illustre de ses supporteurs ».

2 juin 2019

Arthur Tsang a photographié celui qui a fait face aux tanks chinois sur la place Tian'anmen.

21 mai 2019

Charles Aznavour

aznavourfoundation

Repost from @annehidalgo , the Mayor of Paris: Rue Monsieur the prince where he was born, Paris pays tribute to Charles Aznavour, a city that has seen his immense talent. He is the darling child of our city, who loves those who come from elsewhere and who carry his values of sharing, generosity and discovery. This tribute that we started with the unveiling of this plate, we will celebrate it until tonight with a concert on the square of the city hall, which will vibrate the air of the Paris of the unforgettable songs of this genius poet.

aznavour plaque

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