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Jours tranquilles à Paris
17 mai 2019

Nécrologie : Ieoh Ming Pei, l’architecte de la pyramide du Louvre, est mort

pyramide

Par Frédéric Edelmann

Mondialement connu, originaire de Chine, il avait été choisi en 1983 par François Mitterrand pour concevoir l’entrée principale du musée parisien. Parmi ses bâtiments remarquables, l’extension de la National Gallery of Art, à Washington. Il avait 102 ans.

Ieoh Ming Pei est mort dans la nuit du mercredi 15 mai au jeudi 16 mai à New York, à l’âge de 102 ans, a annoncé son fils Li Chung Pei au New York Times

Enigmatique derrière un perpétuel et aimable sourire, l’architecte de renommée internationale s’était hissé à un niveau de notoriété sans doute supérieur à ce que représente réellement son œuvre, dominée par le Louvre, à Paris, et par la National Gallery of Art, à Washington. Comme Oscar Niemeyer, disparu fin 2012, Ieoh Ming Pei avait reçu le Pritzker, en 1983, cinquième lauréat d’un prix maintenant considéré comme le Nobel de l’architecture, mais alors fortement américanisé. Pei représentait bien alors l’intelligentsia constructive des Etats-Unis, et la Chine était loin.

Sous la direction de Walter Gropius

Né à Canton le 26 avril 1917, Ieoh Ming Pei était issu d’une famille fortunée, ancrée dans la Chine traditionnelle, très formaliste, établie à Suzhou (province de Jiangsu), près de Shanghaï. Une ancienne ville impériale, surnommée en Occident « la Venise de Chine » en raison de ce qu’étaient alors ses innombrables canaux et son paysage urbain homogène, connue aussi pour ses jardins et ses particularités architecturales, comme les ouvertures qui ornent les cours intérieures.

Ce n’est que plusieurs décennies après son départ, alors que la ville avait déjà été sévèrement modernisée, que Pei eut l’occasion de retrouver le paysage de son enfance.

Son père, banquier, acceptait cependant l’influence occidentale. Sa mère bouddhiste, musicienne, mourut alors que le jeune Ieoh Ming avait 13 ans. Très affecté par cette disparition, il part en 1935 aux Etats-Unis pour y commencer des études au Massachusetts Institute of Technology (MIT), à Cambridge, école réputée où il recevra son diplôme d’architecte en 1940. Il éprouvera vite le besoin de renforcer ses connaissances par une maîtrise à Harvard sous la direction de Walter Gropius, un des fondateurs du Bauhaus, et de Marcel Breuer, autre grand maître du Mouvement moderne, dont il restera très proche jusqu’à partager plusieurs voyages en Europe.

Après avoir travaillé pour William Zeckendorf, fameux promoteur de l’époque, Ieoh Ming Pei est naturalisé Américain en 1954, et ouvre sa propre agence à New York l’année suivante, à l’enseigne I.M. Pei and Associates, qui deviendra I.M. Pei and Partners, enfin Pei Cobb Freed & Partners en 1989, l’une des plus importantes des Etats-Unis.

« Les pères sèment, les fils récoltent »

En 1964, Jackie Kennedy, après l’assassinat du président, avait obtenu qu’il soit choisi comme architecte pour construire le mémorial et la bibliothèque dédiés à son mari. Ce choix, alors qu’il est encore presque inconnu, propulse Pei sous les projecteurs, mais la marque de confiance de l’ancienne First Lady sera une première occasion d’éprouver sa patience. Car la bibliothèque John F. Kennedy, à Boston, ne sera pas achevée avant 1979, après de longues années de controverses mêlant opposition locale, problèmes de pollution et difficultés budgétaires.

Boston, où Pei avait fait une partie de ses études, ne réussit d’ailleurs pas vraiment à l’architecte et à sa firme : la John Hancock Tower (241 mètres), dessinée en 1971, ne sera achevée qu’en 1976, après être restée longtemps une simple enveloppe de verre.

Mais c’est déjà l’époque où les signatures des différents partenaires de l’agence deviennent interchangeables : la plus haute tour de Boston est ainsi principalement due à Henry Cobb. Ce sera aussi le cas en 1992 pour la tour de la Bank of China à Hongkong (305 m), qu’un des deux fils de Pei – Chien Chung et Li Chung, l’un et l’autre étant partenaires de l’agence – a édifié à la demande de son père : « Les pères sèment, les fils récoltent », résumera Ieoh Ming interrogé par Le Monde en 2002…

Batailles homériques

La grande affaire et le tournant de la carrière sera la transformation du Louvre en Grand Louvre, aventure souvent et abusivement réduite à la seule pyramide de la cour Napoléon.

Ieoh Ming Pei a été choisi en 1983 par François Mitterrand, conseillé notamment par Emile Biasini, président de l’Etablissement public du Grand Louvre. Pas de mise au concours, pas même une de ces mises en concurrence à l’américaine, qui amènent la maîtrise d’ouvrage à comparer ad libitum les mérites de plusieurs maîtres d’œuvre. Le Louvre, palais royal, restera le fait du prince. L’architecte s’est adapté : il reçoit la presse à l’Hôtel Crillon, toujours sobrement mais impeccablement habillé, d’une politesse et d’une patience inépuisables.

Le vaste ensemble souterrain, éclairé par la fameuse pyramide, et les nouveaux espaces réorganisés dans les espaces du palais autour de la Cour Napoléon et de la Cour carrée seront inaugurés en 1989, après avoir connu des batailles homériques.

Après des années de méfiance, le nouveau musée (qui sera agrandi encore à plusieurs reprises par l’équipe de Pei ou d’autres) est reçu de façon globalement favorable : la France est fière de son « plus grand musée du monde » et Pei, qui a puisé dans toutes les réserves de son flegme sino-américain pour ne pas se laisser atteindre par des querelles de spécialistes souvent politisés, peut être enfin rassuré : il est bien (avec son associé français Michel Macary) l’architecte de cet immense ensemble.

Simplicité et équilibre

De fait, le long chapitre du Louvre modifie en partie la carrière du constructeur. D’un côté, à New York et dans ses nombreuses succursales, une puissante agence dont le nom Pei est la principale enseigne, qui multiplie les chantiers aux Etats-Unis et dans le monde entier. Le tout sans qu’il soit possible de reconnaître une « signature » ni un style cohérents, ni même une qualité constructive très éloignée des grandes firmes « corporate », efficace spécialité américaine. En témoigne le colossal centre de conférences Jacob K. Javits (signé par son partenaire Freed), inauguré en 1986 sur la rive ouest de Manhattan.

Et d’un autre côté, un architecte qui, tandis que ses associés et ses proches font tourner l’impressionnante machine à projets, cherche à se concentrer sur des chantiers plus personnels, plus symboliques. En 1997, il signe ainsi au Japon le Miho Museum, à Shiga, dans les montagnes de Shigaraki (région du Kansai), musée quasi secret où Pei s’essaye à une architecture paysagère qui lui tient vraisemblablement à cœur depuis sa jeunesse.

A la même époque, il travaille sur le Rock and Roll Hall of Fame, fameux « Panthéon » de la musique rock, à Cleveland (Ohio), une sorte de collage architectural où, en 1995, l’agence continue d’expérimenter, entre autres, le principe de la pyramide de verre.

En 2003, surgit à Berlin près de l’avenue Unter den Linden, le Musée historique allemand signé par l’architecte sino-américain, extension pittoresque d’un édifice classique, remarquable par ses références hétérogènes, notamment une sorte de tour de Babel, dont il propose une transcription abrégée, en verre.

En 2008, ce sera le Musée d’art islamique de Doha (Qatar), édifice simple, équilibré, qui frappe plutôt par sa fidélité aux références historiques locales, assez éloigné en tout cas des montages techniques de verre et d’acier que propose l’agence ailleurs. Un schéma presque « postmoderne » à l’instar de celui mis en œuvre en 2006 au Musée d’art de Suzhou, la ville de son enfance. Comme à Doha, le principe formel est fondé sur la simplicité et l’équilibre, sur l’association de motifs de l’architecture de la région du Jiangsu et d’un vocabulaire « moderne » très réservé, la disposition des édifices et des cours relevant, par ailleurs, d’un élégant classicisme chinois.

Le lien se fait alors avec l’Hôtel des Collines parfumées, un édifice apparu en 1982 tout au nord de Pékin, près d’un ensemble de temples majeur, où Ieoh Ming Pei avait été appelé pour construire un lieu qui allait se révéler, faute d’accès, comme une forme de piège à congressistes, très éloigné du centre de la capitale.

L’architecte s’était vivement insurgé sur les altérations apportées au projet qu’il avait pourtant dessiné à la demande des autorités et dans lequel il voyait l’amorce d’une possible réconciliation. Car de Suzhou à… Suzhou via New York, il n’aura jamais cessé de penser au raffinement subtil de son pays natal. De la Venise de Chine, il avait toujours conservé un remarquable souci d’élégance, de luxe, de politesse, d’humour léger mais sans frivolité.

Dates

26 avril 1917 Naissance de Ieoh Ming Pei à Canton (Chine)

1935 Part aux Etats-Unis

1964-1979 Réalise la bibliothèque John F. Kennedy à Boston (Etats-Unis)

1978 National Gallery of Art, à Washington

1983 Choisi par François Mitterrand pour la réalisation du Grand Louvre, à Paris

1983 Reçoit le Pritzker Prize

2003 Musée historique allemand, à Berlin

2008 Musée d’art islamique de Doha (Qatar)

16 mai 2019 Mort à New York

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14 mai 2019

Récit - En mai 69, un Festival de Cannes très politique

cannes 1969

Par Samuel Blumenfeld

Un an après Mai 1968 et sa brutale interruption, le Festival de Cannes réclame du changement. Guidé par le président du jury Luchino Visconti, il s’enrichit d’une compétition parallèle, la Quinzaine des réalisateurs. Et le palmarès consacre un cinéma contestataire, à l’image des films « Z » et « Easy Rider ».

Mai 1969. A la veille de l’ouverture du Festival de Cannes, le cinéma ne fait pas les gros titres. Les journaux sont occupés à commenter la démission, survenue quelques jours plus tôt, le 28 avril, de Charles de Gaulle. Et amorcent déjà la campagne pour l’élection présidentielle qui doit se tenir en juin, avec pour favori le gaulliste Georges Pompidou.

Loin de cet emballement médiatique, les organisateurs de l’événement cannois mettent la dernière main aux préparatifs. Et c’est un délégué général très occupé, Robert Favre Le Bret, qui reçoit un coup de téléphone. Au bout du fil, un documentaliste de l’ORTF demande à parler au sexagénaire, ancien journaliste de Paris Match qui préside aux destinées de la manifestation depuis 1952. Il lui confie avoir fouillé dans les dossiers et n’avoir réussi à trouver aucune trace du palmarès de l’édition 1968. Le patron du Festival est surpris. Non pas de cette absence dans les archives de l’ORTF, mais de l’ignorance de son interlocuteur. Car un an plus tôt, de palmarès, il n’y en a pas eu, pour cause d’interruption brutale du Festival.

65 films issus de 25 pays

En écho aux événements qui agitaient la France, des cinéastes, dont Jean-Luc Godard et François Truffaut, avaient demandé l’interruption de la manifestation, suivis par plusieurs membres du jury – Roman Polanski, Louis Malle et Monica Vitti – et réalisateurs en compétition – Alain Resnais, Milos Forman, Claude Lelouch… Le 18 mai, la direction du Festival avait décidé de projeter quand même Peppermint frappé, de Carlos Saura. Le réalisateur espagnol, secondé par son interprète, Géraldine Chaplin, et Jean-Luc Godard s’étaient accrochés aux rideaux pour empêcher la tenue de la séance. Le lendemain, Robert Favre Le Bret annonçait la fin du Festival, quatre jours avant son terme.

Un an plus tard, le délégué général a la hantise de voir ce scénario se reproduire. D’autant que, dans la foulée des événements de Mai, le monde du cinéma s’est mis à débattre. A partir de septembre 1968, le patron de Cannes a assisté à des réunions avec André Holleaux, à la tête du Centre national du cinéma, et une poignée de membres de la nouvellement formée Société des réalisateurs de films (SRF). En ont émané plusieurs idées : le remplacement du délégué général de Cannes par une assemblée représentative de l’industrie cinématographique et des autres arts, par exemple, ou l’extension du jury à l’ensemble des spectateurs.

La SRF, menée par Jean-Gabriel Albicocco, cannois de naissance, et son premier président, Robert Enrico, parvient à négocier, en même temps que le Festival, sa propre manifestation, la Quinzaine des réalisateurs. Les cinéastes assureront la gestion et la sélection des films de ce contre-Festival, dont le but est de privilégier les cinémas du monde. Pour sa première édition, baptisée « Cinéma en liberté », qui a pour emblème un bonnet phrygien, la manifestation proposera une sélection éclectique et pléthorique de 65 films, issus de 25 pays, avec une forte présence du Cinema Novo brésilien, alors que la dictature se durcit en Amérique du Sud.

Les projections se tiennent dans une salle du centre de Cannes, le Rex, dont l’accès sera libre, et non sur accréditation. Robert Favre Le Bret a aidé à mettre le lieu à disposition. Un geste amical, mais aussi très malin. Pour le délégué général, il s’agit non seulement d’harmoniser ses relations avec la SRF, mais surtout de garder la main sur son Festival, et de faire en sorte qu’il soit toujours en prise avec les tourments de l’époque.

LE CHOIX DE LUCHINO VISCONTI, COMPAGNON DE ROUTE DU PARTI COMMUNISTE ITALIEN, POUR PRÉSIDER LE JURY CANNOIS, CONSTITUE UN SIGNAL FORT.

Le choix de Luchino Visconti, compagnon de route du Parti communiste italien, pour présider le jury cannois, constitue un signal fort. Le réalisateur, qui a obtenu la Palme d’or en 1963 pour Le Guépard, film sur l’effondrement d’un monde, la fin de l’aristocratie italienne cédant la place à l’Italie du Risorgimento, constitue le juge idéal pour une sélection très politique.

Parmi les œuvres en lice, Antonio das Mortes, de Glauber Rocha, le chef de file du Cinema Novo, qui propose un récit radical et tiers-mondiste à travers le personnage d’un mercenaire engagé par un riche propriétaire terrien pour assassiner un agitateur ; Dillinger est mort, de Marco Ferreri, film issu de la contre-culture italienne, sur les dérives de la société de consommation, avec Michel Piccoli ; Easy Rider, de Dennis Hopper, le road-movie dont le succès colossal deviendra l’acte fondateur du Nouvel Hollywood ; If…, de Lindsay Anderson, qui met en scène la révolte d’un groupe d’élèves contre le système éducatif anglais et le conservatisme de la société britannique.

Robert Favre Le Bret a également sélectionné Calcutta, un regard contemporain sur la ville indienne, signé Louis Malle. Un geste d’apaisement envers le cinéaste qui fut l’un des agitateurs de l’édition 68. Mais aussi une manœuvre diplomatique qui vise à reconquérir les contestataires de la précédente manifestation. Interrogé par la presse sur sa volte-face – agent disrupteur en 1968, présent en Sélection officielle un an plus tard –, Louis Malle répond : « Le Festival, c’est comme le téléphone. On peut le critiquer, mais c’est utile. » Le genre de trait d’esprit qui poussera le futur successeur de Robert Favre Le Bret, le journaliste Gilles Jacob, à titrer son compte rendu du Festival dans Les Nouvelles littéraires : « La révolution récupérée ».

Voyous, jeunes et sales

Mais la polémique précannoise concerne surtout Z, de Costa-Gavras. Le réalisateur, figure de la SRF, signe un film dénonçant la dictature des colonels instaurée en 1967 en Grèce. Le long-métrage est une coproduction franco-algérienne. L’usage à Cannes est alors que les pays impliqués dans un partenariat de coproduction se mettent d’accord pour choisir leur bannière. Z représente donc la France.

Mais l’Office national pour le commerce et l’industrie cinématographique algérien transmet un communiqué au ministère français des affaires étrangères pour lui rappeler que le film « était une coproduction franco-algérienne et devait concourir sous l’étiquette France-Algérie ». Sans succès. Sept ans après l’indépendance, la France ne souhaite accorder aucune faveur à son ancienne colonie.

UN AUTRE PROCHE DU MAIRE EST HUÉ PAR LES SPECTATEURS CAR IL PORTE UN SMOKING. CE QUI LUI FERA QUALIFIER LE PUBLIC DE LA QUINZAINE DE « FAUNE PARASITAIRE, DROGUÉE ET DÉLINQUANTE ».

Dès les premiers jours du Festival, l’ambiance dans les rues de la ville montre que quelque chose a changé. L’époque est au Flower Power. De quoi décontenancer quelques locaux. Le président fondateur de la SRF, Robert Enrico, est accusé par un représentant du maire de « présider une association de voyous, jeunes et sales ». Un autre proche du maire, assistant à une projection au Rex, est hué par les spectateurs car il porte un smoking. Ce qui lui fera qualifier le public de la Quinzaine de « faune parasitaire, droguée et délinquante ».

Cette « faune » apparaît dans le film More, sélectionné à la Semaine de la critique, que Barbet Schroeder a tourné à Ibiza avec des hippies. Mais c’est surtout Easy Rider (projeté à Cannes Classics 2019 pour les 50 ans du film) qui la porte en majesté. Le film, réalisé et joué par Dennis Hopper, avec Peter Fonda et Jack Nicholson, retrace le parcours de deux motards suivant la route des pionniers en sens inverse, d’Ouest en Est. Un road-trip qui rend compte du profond sentiment d’échec de la société américaine.

Mais, au-delà du message contestataire, c’est avant tout la propension de l’équipe du film à faire la fête que perçoivent les festivaliers… La décontraction post-hippie du trio Hopper-Fonda-Nicholson devient pour le moins contagieuse et jette un éclairage imprévu sur leur film. Bert Schneider, le producteur d’Easy Rider, a dû argumenter pour aller à Cannes avec les patrons de la Columbia, qui ne savent pas quoi faire d’un film auquel ils ne comprennent rien, quand ils ne trouvent pas choquante la question des stupéfiants.

Schneider, très proche de Jack Nicholson, mise tout sur le Festival de Cannes pour préparer la sortie aux Etats-Unis, le 14 juillet. Un « coup » qui lancera pour de bon sa carrière : Bert Schneider deviendra l’un des producteurs emblématiques du Nouvel Hollywood, avec notamment La Dernière séance (1971), de Peter Bogdanovich, ou Les Moissons du ciel (1978), de Terrence Malick.

Le soir de la présentation d’Easy Rider, Dennis Hopper, les cheveux longs, arbore un collier tahitien. Quant à Peter Fonda, s’inspirant de la guerre de Sécession, il porte une barbe postiche et un costume d’officier de cavalerie de l’Union. Le message est clair : l’acteur, fils de la star des Raisins de la colère Henry Fonda, signifie que lui et sa génération se trouvent engagés dans une seconde guerre civile, contre l’establishment.

Jack Nicholson est le seul du trio à porter un smoking, qui tranche avec sa barbe foisonnante. Il est le moins connu des trois, et profite, sans le savoir, en montant les marches du Palais, de ses derniers instants d’anonymat. « C’est un truc qu’on ne voit que dans les livres, relatera-t-il plus tard. J’étais assez intelligent pour le comprendre, et je connaissais suffisamment les gens qui étaient dans la salle pour le dire. J’ai pensé : “Mon Dieu, je suis une star de cinéma !” »

Cannes a beau être en plein bouleversement, le smoking est toujours de rigueur. Si Peter Fonda et Dennis Hopper ont passé les contrôles sans problème, le réalisateur Bo Widerberg et son équipe, qui n’en portent pas non plus, sont exclus de la projection de leur film, Adalen 31, relatant les grèves suédoises de 1931. Il faut dire que tous arborent un macaron « Vietcong » pour protester contre la guerre menée par les Etats-Unis au Vietnam. Le service d’ordre fait évacuer les lieux quand l’équipe entonne L’Internationale sur les marches du Palais. Lindsay Anderson, le réalisateur anglais d’If…, connaît la même mésaventure vestimentaire, et doit redescendre les marches avant la projection.

Un strict reflet du monde

Dans un monde encore divisé entre Ouest et Est, chacun revendique la liberté à sa manière, qui diffère selon que l’on soit citoyens du monde occidental ou du bloc soviétique. Un an plus tôt, et c’est l’une des tristes ironies de l’annulation du Festival, Cannes a manqué son rendez-vous avec l’Histoire. La manifestation reflétait en 1968 l’exceptionnelle vitalité du cinéma tchèque. Au feu les pompiers !, de Milos Forman, apparaissait grand favori pour la Palme d’or. Que ce film soit récompensé trois mois avant l’invasion du pays en août 1968 par les forces du pacte de Varsovie aurait été un symbole fort. Un signe de défiance envers l’URSS.

Un an plus tard, le contexte est différent. Robert Favre Le Bret sélectionne le film tchèque de Vojtech Jasny, Chronique morave. En retraçant la vie d’un village entre 1945 et 1958, il apparaît comme un réquisitoire contre la bureaucratie communiste et l’appareil policier. Le délégué général du Festival parvient également à obtenir des autorités soviétiques une bobine d’Andreï Roublev, d’Andreï Tarkovski. Un coup d’éclat.

Le film, une biographie, en grande partie imaginaire, du plus grand peintre d’icônes russes, au XVe siècle, est terminé depuis 1967, mais a déplu à la censure soviétique. Depuis, le film dort sur une étagère. Deux ans plus tard, les autorités soviétiques consentent à accepter l’invitation du Festival, à condition qu’Andreï Roublev soit projeté une seule fois et hors compétition.

« MA NUIT CHEZ MAUD », D’ERIC ROHMER, EST ÉCARTÉ DU PALMARÈS. CETTE HISTOIRE D’UN COUP DE FOUDRE NE COLLE GUÈRE AU TUMULTE DE L’ÉDITION 1969.

La réaction devant le chef-d’œuvre de Tarkovski est enthousiaste. Sa projection, sans l’auteur, resté en Russie, constitue le point culminant du premier week-end cannois. Les autorités soviétiques tiennent à empêcher la distribution du film à l’étranger mais, comme un Français en a acquis les droits, Andreï Roublev sortira dans la foulée puis à l’étranger. Lorsque le Festival s’achève, le 23 mai, le palmarès apparaît clairement politique.

Luchino Visconti décerne le Grand Prix du Festival international du film (équivalent de la Palme d’or) à If…, de Lindsay Anderson. Le Grand Prix spécial du jury va à Adalen 31, de Bo Widerberg, le Prix du jury à Z, de Costa-Gavras. Easy Rider se voit attribué le Prix de la première œuvre. Même les Prix d’interprétation n’échappent pas à cette tonalité : l’actrice britannique Vanessa Redgrave est récompensée pour Isadora, de Karel Reisz, sur la danseuse avant-gardiste Isadora Duncan, et Jean-Louis Trintignant pour Z.

L’acteur, emblématique du cinéma hexagonal depuis les années 1950, interprète principal d’Un homme et une femme, de Claude Lelouch, qui a triomphé à Cannes en 1966, est couronné pour l’un de ses rôles les plus politiques. Son personnage de juge d’instruction qui enquête sur un Etat arbitraire éclipse un autre de ses rôles, dans un film également en compétition : celui de l’ingénieur amoureux tourmenté de Ma nuit chez Maud, d’Eric Rohmer.

L’histoire d’un coup de foudre et la réflexion du cinéaste sur le destin et la Providence ne collent guère au tumulte de Cannes 1969. Visconti écarte un chef-d’œuvre de son palmarès. Comme s’il pensait que la vocation du Festival, cette année-là, était d’abord politique, et que son tableau d’honneur devait en constituer le strict reflet.

12 mai 2019

Mort en opération de deux commandos Marine.

militaires

La Marine nationale est en deuil et s'associe à la douleur de leurs familles et de leurs frères d'armes. " Les MT Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello, du commando Hubert, sont morts cette nuit au combat dans une opération de libération d’otages. J’admire leur courage, je partage la peine de leurs familles et de leurs proches." Amiral Christophe Prazuck, chef d'état-major de la Marine

Fusiliers marins et commandos marine

[#InMemoriam] Maître Cédric de Pierrepont (à gauche sur la photo)

Né en 1986, le maître de Pierrepont est entré dans la Marine nationale en 2004, au sein des équipages de la flotte. Il intègre en 2005 la spécialité de fusilier marin et se distingue en terminant premier sur quarante-sept de son cours de Brevet élémentaire.

Un an et demi plus tard, il réussit le stage commando. Il est ensuite affecté au commando de Penfentenyo où il est promu au grade de second-maître et obtient son brevet d’aptitude technique fusilier marin-commando. En août 2012, il réussit le cours de nageur de combat puis rallie le commando Hubert. Il y occupait les fonctions de chef de groupe commando depuis le 1er avril 2018.

Le maître de Pierrepont était pacsé. Il cumulait 15 ans de service au cours desquels il a plusieurs fois été engagé sur des théâtres d’opérations en Méditerranée, au Levant et au Sahel ; théâtre sur lequel il était déployé depuis le 30 mars dernier.

Il était titulaire de quatre citations (à l’ordre du régiment, de la brigade et de la division) avec attribution de la Croix de la Valeur Militaire et d’une citation à l’ordre de la Brigade avec attribution de la Médaille d’or de la Défense nationale. Il était en outre décoré entre autres de la Médaille d’or de la défense nationale « Nageur de combat – Missions d’opérations extérieures » et de la médaille d’Outre-mer avec agrafes Sahel et Liban.

[#InMemoriam] Maître Alain Bertoncello (à droite sur la photo)

Le Maitre Alain Bertoncello, né en 1991, est entré dans la Marine nationale en rejoignant l’école de maistrance le 14 février 2011. Il choisit le 1er mars 2012 la spécialité de fusilier marin et réussit le stage commando la même année. Après 5 ans au commando Jaubert, il obtient le brevet de nageur de combat et rejoint le commando Hubert basé à Saint-Mandrier dans le Var, où il était affecté depuis juillet 2017.

Après son entrée au sein des commandos marine, le maître Bertoncello a participé à des missions de défense des intérêts maritimes français aux Seychelles (protection des thoniers) et à plusieurs opérations extérieures au Qatar, au Levant et au Sahel ; théâtre sur lequel il était engagé depuis le 30 mars dernier.

Le MT Bertoncello était pacsé. Il cumulait plus de 7 ans de service au sein de la Marine nationale.

Il était titulaire d’une citation à l’ordre du régiment avec attribution de la Médaille d’or de la Défense nationale et était décoré de la Médaille d’Outre-mer pour le Moyen-Orient ainsi que de la Médaille d’argent de la Défense nationale.

12 mai 2019

Le cinéaste Jean-Claude Brisseau est mort

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Réalisateur notamment de « Noce blanche », avec Vanessa Paradis, cette personnalité controversée du cinéma français avait été condamnée pour harcèlement sexuel en 2005.

Le réalisateur français Jean-Claude Brisseau est mort, samedi 11 mai, à Paris, à l’âge de 74 ans, a annoncé sa famille au Monde. Il avait notamment réalisé De bruit et de fureur (1988), Noce blanche (1989, avec Vanessa Paradis) et L’Ange noir (1994). Le réalisateur et scénariste est mort dans un hôpital des suites d’une longue maladie, a-t-on appris auprès de son entourage.

Personnalité controversée du cinéma, il avait été condamné en 2005 pour le harcèlement sexuel de deux jeunes actrices. En novembre 2017, la Cinémathèque française avait reporté « sine die » une rétrospective qui devait lui être consacrée deux mois plus tard.

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Son film Noce blanche, sorti en 1989, restera son plus grand succès (plus d’1,8 million d’entrées). Il y fit tourner pour la première fois la toute jeune Vanessa Paradis qui obtint le César du meilleur espoir féminin pour ce drame, l’histoire d’une liaison entre une lycéenne et un professeur (incarné par Bruno Cremer).

La chanteuse en a gardé un souvenir net. « Jean-Claude Brisseau était extrêmement particulier. Très grand, très autoritaire, avec cette voix grave, raconte-t-elle dans un entretien au Monde. Peut-être que Brisseau essayait aussi d’aller au conflit pour me sortir de ma zone de confort, pour obtenir certaines émotions. Il me disait constamment : “Je ne veux pas que tu minaudes” ».

Il dirigea Sylvie Vartan dans L’Ange noir

Le réalisateur enrôla plus tard une autre idole des jeunes, Sylvie Vartan, à qui il confia en 1994 un rôle dramatique dans L’Ange noir. Samedi la chanteuse s’est dite « très attristée par cette nouvelle ». « Je n’ai gardé que de bons souvenirs de notre collaboration dans L’Ange noir, a dit Sylvie Vartan à l’Agence France-Presse (AFP). C’est une expérience artistique que je garderai toujours comme un merveilleux souvenir. J’ai adoré travailler avec lui. Mes pensées vont vers son épouse Lisa. »

En 1988, De bruit et de fureur fut un autre film choc, toujours avec le fidèle Bruno Cremer, sur la banlieue cette fois et sa violence. Il lui vaudra le Prix spécial de la jeunesse au Festival de Cannes.

La banlieue, Brisseau la connaissait puisque celui qui se présentait comme « le fils d’une femme de ménage ayant vécu dans un rêve de cinéma », commença d’abord par enseigner le français en collège, près de Paris. Dans les années 1970, il rejoint l’Institut national de l’audiovisuel (INA), et passe de cinéaste amateur à professionnel avec un premier film d’abord prévu pour la télévision, La vie comme ça. Eric Rohmer repère un de ses films d’amateur et sa société, le Losange, décide de le produire.

Avec De bruit et de fureur, « on a cru qu’il était un grand poète de la banlieue, c’était plus compliqué : son sujet c’était cette recherche de pureté dans la violence du monde », dit à l’AFP Philippe Rouyer, historien du cinéma, pour qui il laissera « une trace unique dans l’histoire du cinéma ».

« Un lyrisme extraordinaire »

Ses thèmes récurrents : la femme, la violence, la pureté, la quête d’absolu, la transmission du savoir. « Il osait un lyrisme extraordinaire, c’était inédit dans le cinéma », poursuit le critique. « C’était un autodidacte, d’une grande culture littéraire et cinématographique. Il a donné des cours à la Femis – l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son – pendant longtemps et il était adoré de ses élèves : il savait vous parler de Ford, d’Hitchcock, de Bresson, et c’était communicatif ».

En 2005, Jean-Claude Brisseau est condamné à un an de prison avec sursis pour le harcèlement sexuel de deux jeunes actrices qui espéraient décrocher un premier rôle dans son long-métrage, Choses secrètes (2002). Ses démêlés ne l’empêchent pas de tourner. En 2012, La fille de nulle part lui valut le Léopard d’Or du Festival du film de Locarno. Que le diable nous emporte est son dernier film, sorti début 2018, avec Fabienne Babe.

Mais « ça a pourri la fin de sa vie, la sortie de son dernier film, il a payé pour tout le monde, c’est devenu une sorte d’exemple », regrette Philippe Rouyer. Dans Paris Match, en 2018, l’intéressé déplorait ne plus pouvoir tourner avec des vedettes. « Enfin, j’espère que j’arriverai à tourner à nouveau », disait-il.

11 mai 2019

Le cinéaste Jean-Claude Brisseau est mort

brisseau

Réalisateur notamment de « Noce blanche », avec Vanessa Paradis, cette personnalité controversée du cinéma français avait été condamnée pour harcèlement sexuel et agression sexuelle.

Le réalisateur français Jean-Claude Brisseau est mort, samedi 11 mai, à Paris, à l’âge de 74 ans, a annoncé sa famille au Monde. Il avait notamment réalisé De bruit et de fureur (1988), Noce blanche (1989, avec Vanessa Paradis) et L’Ange noir (1994).

Personnalité controversée du cinéma, il avait été condamné en 2005 pour le harcèlement sexuel de deux jeunes actrices et l’année suivante, en appel, pour agression sexuelle sur une troisième actrice. En novembre 2017, la Cinémathèque française avait reporté « sine die » une rétrospective qui devait lui être consacrée deux mois plus tard.

Son film « Noce Blanche », sorti en 1989, restera son plus grand succès (plus d’1,8 million d’entrées). Il y fit tourner pour la première fois la toute jeune Vanessa Paradis qui obtint pour ce long-métrage le César du meilleur espoir féminin. Auparavant il avait réalisé « De Bruit et de Fureur », un autre film choc, avec le fidèle Bruno Cremer, sur la banlieue cette fois. En 2012 « La Fille de nulle part » lui valut le « Pardo d’oro » (Léopard d’Or) du Festival du film de Locarno. « Que le diable nous emporte » est son dernier film, sorti début 2018, avec Fabienne Babe.

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6 mai 2019

Débarquement en Normandie - 75ème anniversaire dans un mois

3 mai 2019

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Photos : J. Snap

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26 avril 2019

Jean-Pierre Marielle est mort à 87 ans

marieille

Par Véronique Cauhapé

Bon vivant, acteur truculent, qui a tourné dans de nombreuses comédies, comme « Week-end à Zuydcoote », le comédien s’est éteint mercredi des suites d’une longue maladie.

Le verbe traînant, l’air désabusé lui ont fourni une merveilleuse façade en trompe-l’œil dont il a peut-être usé avec un brin de malice. Pour tromper son monde et sans doute, aussi, pour avoir la paix, du moins avec les « cons » qu’il craignait comme la peste (« Ah oui, ça fout les jetons, les cons »). A l’inverse de cette allure de seigneur revenu de tout, Jean-Pierre Marielle, qui est mort mercredi 24 avril, a fait preuve, durant 87 ans, d’un appétit d’ogre.

« Agathe Marielle a la tristesse d’annoncer que son mari, l’acteur Jean-Pierre Marielle, s’est éteint le 24 avril, à 16 h 24, à l’hôpital des Quatre-Villes, à Saint-Cloud, des suites d’une longue maladie. Les obsèques se dérouleront dans la plus stricte intimité », a annoncé son épouse dans un communiqué.

Epicurien, inattendu, excessif, il a su garder toute sa vie le goût du jeu et de l’enfance, ne faisant rien comme tout le monde, capable de prendre de la confiture avec de l’omelette et de jouer des tours de gosse à ses vieux copains. « Il fait toujours comme il a envie. Avec lui, dans la vraie vie, on s’amuse. On n’est jamais monsieur et madame », disait la comédienne Agathe Natanson, sa quatrième épouse qu’il avait rencontrée en 1997 et avec laquelle il s’était marié en 2003 à Florence, en Italie.

Cette vie, commencée le 12 avril 1932 à Paris, l’avait conduit à devenir acteur sans qu’il puisse l’expliquer. Jean-Pierre Marielle ne croyait ni en la vocation ni au fait que jouer puisse s’apprendre. Il était devenu comédien par hasard, faire le pitre lui convenait. L’affaire s’arrêtait là. Difficile néanmoins de se satisfaire de ce revers de main auquel il avait recours dans chaque interview. Mieux vaut y voir l’illustration de l’ennui qu’il éprouvait à parler de lui et à théoriser sur son métier. Car « jouer », « faire l’acteur » l’a guidé dès l’adolescence, quand, au lycée de Dijon, il monte avec ses camarades des pièces de Tchekhov. C’est là qu’un professeur de littérature l’encourage à devenir comédien de théâtre.

« C’est comme les années à prunes »

Jean-Pierre Marielle n’a pas besoin de plus et part sur-le-champ pour Paris où il intègre le Conservatoire national d’art dramatique. Nous sommes au tout début des années 1950, et se retrouvera en ce saint des saints une sacrée bande de joyeux drilles, prêts à faire voler en éclats les carcans et les diktats.

Belmondo, Cremer, Marielle, Rich, Rochefort, Vernier, Beaune. Sept jeunes hommes venus d’horizons très différents qui s’unissent dans le vent frais de l’amitié. Le rire, les larmes, les déconvenues, les histoires d’amour les soudent pour une vie entière. « Il y a des années de groupe de comédiens, comme des années de peintres, de musiciens, c’est comme les années à prunes, comme le pinard. C’est comme ça », résumait Jean-Pierre Marielle, fidèle à sa ligne de conduite : ne pas chercher midi à quatorze heures.

Quelques rôles sur les planches et une poignée d’apparitions au cinéma le vouent d’abord aux seconds rôles, avant que des réalisateurs lui accordent leur confiance : Jean Girault (Faites sauter la banque, avec Louis de Funès, 1964), Henri Verneuil (Week-end à Zuydcoote, avec Jean-Paul Belmondo, 1964), Philippe de Broca (Le Diable par la queue, 1969).

Ces films mènent Jean-Pierre Marielle vers une notoriété qui se bâtit dans les années 1970, avec des comédies comme Sex-Shop, de Claude Berri, La Valise, de Georges Lautner, Comment réussir quand on est con et pleurnichard, de Michel Audiard, Calmos, de Bertrand Blier, Cause toujours… tu m’intéresses, d’Edouard Molinaro. Des personnages qu’il incarne avec ce même mélange d’humour, de candeur et de cynisme, et qui font de lui un des acteurs les plus truculents du cinéma gaulois.

Face à la critique, l’acteur n’est pas homme à se démonter, ni à se renier. Lui dont la jeunesse s’était nourrie de John Ford, Ingmar Bergman et Orson Welles, assumait chacun de ses choix. « Ça ne me gêne pas de faire des navets, j’espère en faire encore quelques-uns », avait-il dit en janvier 2011 lors d’une rencontre à la Fnac pour la sortie de son livre Le grand n’importe quoi (Calmann Lévy). Le gênaient en revanche « les nuls qui se prennent pour des génies ». Ceux-là étaient bannis de son répertoire. Si Jean-Pierre Marielle se définissait comme « un cabotin », il ne l’était pas au point de se frotter aux prétentieux.

« Je suis décalé, pas calé »

Il ne les considérait pas comme tels, les cinéastes qui, au moment où il se lasse des personnages un peu extravagants, lui apportent des rôles dramatiques. Il les a même aimés, au même titre que les longs-métrages qu’ils ont réalisés, les Joël Séria (Les Galettes de Pont-Aven), Bertrand Tavernier (Que la fête commence en 1974 et Coup de torchon, en 1981), Claude Berri (Uranus), Laurent Heynemann (Les Mois d’avril sont meurtriers), Claude Sautet (Quelques jours avec moi), Alain Corneau (Tous les matins du monde)…

Mais il n’en faisait pas plus de cas que des autres, ne se vantait pas outre mesure d’en avoir été. Aux journalistes qui lui demandaient quel avait été son plus beau rôle, il bottait en touche. « Je ne sais pas, j’ai fait trop de choses différentes », soulignait-il, n’omettant pas dans « ces choses », les dizaines de films tournés pour la télévision.

C’est surtout sur le théâtre et ses auteurs qu’il aimait s’attarder, se plaisant à exprimer le plaisir inouï qu’il éprouvait à se mettre à leur service. « Le théâtre est toujours une émotion très présente en moi. Entendre les trois coups, le rideau qui se lève et le murmure de la salle, puis on se lance. Comme les écrivains, le prix Goncourt, on attend toujours le rôle qui va faire de vous quelque chose que vous n’imaginez pas, même dans vos plus chers désirs ».

Jean-Pierre Marielle s’est plu à lire et dire les mots de Molière, Ionesco, Pinter, Pirandello, Anouilh, Tchekhov, Claudel… La quarantaine de pièces dans lesquelles il a joué sous la direction de grands metteurs en scène a su maintenir intacte sa joie de partager, avec le public, les œuvres et les écrivains qu’ils chérissaient.

Lecteur gourmand, fou de jazz, amoureux de l’art, Jean-Pierre Marielle disait cependant de lui-même qu’il n’était calé en rien : « Je suis décalé, pas calé. Il n’y a rien de mieux que d’être décalé. » De même que si Paris était sa ville, il n’en demeurait pas moins un paysan, un garçon dont l’enfance passée à Précy-le-Sec, dans l’Yonne, entre un père industriel et une mère couturière, avait laissé des traces qu’il prenait soin de cultiver et d’user comme un remède. Son penchant pour la contemplation, sa passion pour les plats du terroir – intarissable sur le petit salé aux lentilles, la potée, le haddock… – et les bons vins lui venaient de là. Ils ont été son meilleur rempart à la vaine agitation du monde.

24 avril 2019

L'acteur Jean-Pierre Marielle, pilier du cinéma français, est mort à l'âge de 87 ans

L'inoubliable interprète de Monsieur de Sainte-Colombe dans "Tous les matins du monde" et grande figure du cinéma et du théâtre français, s'est éteint mercredi, a annoncé sa famille à l'AFP.

Sa voix chaude et caverneuse et sa gouaille inoubliable en ont fait un mythe du cinéma et du théâtre français. L'acteur Jean-Pierre Marielle est mort à l'âge de 87 ans, des suites d'une longue maladie. C'est sa famille qui l'a annoncé, mercredi 24 avril dans la soirée. "Agathe Marielle a la tristesse d'annoncer que son mari, l'acteur Jean-Pierre Marielle, s'est éteint le 24 avril à 16h24", peut-on lire dans le communiqué. Le comédien était hospitalisé à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine).

Cinémathèque hexagonale à lui tout seul, incarnant une France populaire, il a joué dans plus de cent films, comiques et tragiques, d'auteur et grand public, et d'innombrables pièces et téléfilms. Un de ses plus célèbres rôles au cinéma fut celui de Monsieur de Sainte-Colombe dans Tous les matins du monde, réalisé par Alain Corneau en 1991.

"J'ai été dans tous les genres avec des gens qui ont très bon genre", disait-il avec l'humour de celui qui, désabusé, prétendait être revenu de tout et de tous... Sauf des jolies femmes, comme il le montre si bien dans la tragi-comédie Les Galettes de Pont-Aven, de Joël Séria (1975).

De grande taille, larges épaules, moustache fournie, barbe poivre et sel, regard ironique, narquois, il aimait bien jouer les sales bonhommes, les beaufs bêtes et méchants, cyniques : "Pour un acteur, ce n'est pas très intéressant de jouer un type sympa. L'instabilité, le trouble sont beaucoup plus riches".

Il a été sept fois nominé aux César... sans en remporter un seul. Mais ne rien obtenir dans les "comices agricoles télévisuels" lui était indifférent, disait-il : "Les César ? J'en ai rien à foutre !"

Admettant avoir parfois joué dans des films et des pièces très "oubliables", il cultivait l'humour grinçant et intimidait ses interlocuteurs d'un grand rire et d'une voix d'ogre qui lui permettaient de justifier son caractère rugueux : "Vous aimez qu'on vous emmerde, vous ? Pas moi".

"Amateur défrayé"

Né à Paris le 12 avril 1932, ce Bourguignon fils d'un industriel de l'agroalimentaire et d'une mère couturière, qui grandira à Dijon, est aiguillé vers le théâtre par son professeur de lettres. Sorti du Conservatoire de Paris dans la même promotion que Jean-Paul Belmondo, Bruno Cremer, Claude Rich, Françoise Fabian et Jean Rochefort, l'ami de toute une vie, il décroche son premier rôle dans Le Mariage forcé (Molière) en 1953.

Stagiaire à la Comédie-française, il entame une carrière dans le théâtre léger, fait du cabaret avec Guy Bedos. Il en oublie le cinéma. La Nouvelle Vague l'ignore : il est alors catalogué acteur burlesque et de boulevard.

Pourtant, avec Claude Régy, Delphine Seyrig et Jean Rochefort, il va contribuer à populariser dans l'Hexagone les auteurs anglo-saxons comme Edward Albee ou Harold Pinter. Et, s'il apparaît dans des comédies de boulevard, il joue aussi, des années 60 aux années 2000, du Claudel, du Tchekhov ou du Pirandello.

Jusqu'à cinq films par an

Au cinéma, après de timides débuts en 1960, il lui faut attendre une décennie et une bonne vingtaine de rôles avant de se faire remarquer. C'est à partir de 1969 que ses personnages les plus consistants arrivent. On le voit dans Sex-shop de Claude Berri, La Valise de Georges Lautner, Comment réussir quand on est con et pleurnichard de Michel Audiard, ou encore dans Le Diable par la queue de Philippe de Broca (dont voici un extrait vidéo).

S'ensuit une intense activité devant les caméras. Il enchaîne (comme par exemple en 1976) jusqu'à cinq films par an, tournant sous la direction de Blier, Labro, Molinaro, Mocky, Sautet, Tavernier, Miller et d'autres. A son répertoire : Que la fête commence, Dupont Lajoie, L'Imprécateur, Coup de torchon, Tenue de soirée, Uranus, Un, deux, trois, soleil, La Petite Lili, Les Ames grises...

Modeste, il adorait briser le mythe de la vocation du grand acteur : "Je ne suis sensible ni à l'odeur des éponges à maquillage ni à la poussière des coulisses. Je ne suis qu'un amateur défrayé. Je n'ai jamais rien pris au sérieux, je n'ai pas grand-chose à dire et je ne sais pas le dire". Discret sur sa vie privée, il était marié à l'actrice Agathe Natanson. Mais il avait un fils d'un précédent mariage. Il aimait le vélo, le jazz et New York.

19 avril 2019

Mariage princier à Monaco

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