Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
erdogan
19 juillet 2018

Fin de l’état d’urgence en Turquie

etat urgence

Ce régime d’exception, qui élargit les pouvoirs du président et des forces de sécurité, avait été initialement mis en place le 20 juillet 2016 pour une durée de trois mois.

L’état d’urgence instauré en Turquie après la tentative de putsch du 15 juillet 2016, qui a permis aux autorités de mener de vastes purges, est arrivé à expiration tôt jeudi 19 juillet, a rapporté l’agence de presse étatique Anadolu.

Ce régime d’exception, qui élargit les pouvoirs du président et des forces de sécurité, avait été initialement mis en place pour une durée de trois mois ; il avait été sans cesse prolongé depuis. La septième et ultime extension de trois mois, qui avait débuté le 19 avril, a expiré jeudi à 1 heure (mercredi 22 h 00 GMT). Ankara avait récemment annoncé qu’il n’y aurait pas de nouvelle prolongation.

Traquer putschistes et prokurdes

Sous l’état d’urgence, les autorités turques ont traqué de façon implacable les putschistes présumés et les personnes perçues comme leurs sympathisants, mais elles ont aussi visé des opposants prokurdes, des journalistes critiques et des ONG.

Selon le gouvernement, l’état d’urgence était nécessaire pour permettre aux forces de sécurité de lutter efficacement contre toute menace dans la foulée de la tentative de coup d’Etat de juillet 2016. Cependant, des organisations de défense des droits de l’homme et des responsables occidentaux accusent le président, Recep Tayyip Erdogan, d’en avoir tiré profit pour réduire au silence toute voix critique dans le pays.

L’état d’urgence reste notamment associé en Turquie aux purges rythmées par des décrets-lois souvent publiés la nuit annonçant le limogeage ou la suspension de milliers, voire de dizaines de milliers de fonctionnaires à la fois.

Pouvoirs élargis

Sa levée survient moins d’un mois après la victoire de M. Erdogan à des élections cruciales qui lui ont apporté de nouveaux pouvoirs, comme la possibilité d’émettre dans de nombreux domaines des décrets à valeur de loi, comme sous l’état d’urgence. L’annonce de la fin de l’état d’urgence n’a d’ailleurs pas rassuré l’opposition, qui accuse le gouvernement de vouloir prolonger ses effets à travers un projet de loi « antiterroriste » présenté cette semaine au Parlement.

Ce texte, consulté par l’Agence France-presse (AFP), contient plusieurs mesures inspirées de l’état d’urgence, comme la possibilité pour les autorités de continuer de limoger les fonctionnaires liés à des « groupes terroristes » pendant encore trois ans. Une autre mesure, très critiquée, vise à élargir les pouvoirs des gouverneurs des provinces, qui pourraient restreindre les déplacements de certains individus ou interdire l’accès à certaines zones.

Ankara affirme que de telles mesures sont nécessaires pour ne pas affaiblir la lutte contre le « terrorisme » après la levée de l’état d’urgence. Le porte-parole de M. Erdogan, Ibrahim Kalin, a par ailleurs récemment indiqué qu’il pourrait être rétabli en cas de « situation vraiment exceptionnelle ».

Publicité
26 juin 2018

En Turquie, soft power et nostalgie ottomane au service de la victoire d’Erdogan

Par Marie Jégo, Istanbul, correspondante - Le Monde

Le président a attribué sa réelection, dimanche, à la lutte menée « contre les vandales et les traîtres ». Dans son viseur, les partisans de l’imam Gülen et les rebelles kurdes, mais aussi l’Occident.

Dans son « discours du balcon », prononcé à Ankara dans la nuit de dimanche 24 à lundi 25 juin pour célébrer sa victoire à la présidentielle, le président Recep Tayyip Erdogan a attribué son succès à la lutte menée « ensemble avec le peuple contre les vandales et les traîtres », vantant « la bonne leçon donnée à tous ceux qui s’attendaient à ce que la Turquie se mette à genoux ».

L’idée d’une Turquie assiégée par ses ennemis internes – les partisans de l’imam Fethullah Gülen et les rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) – lesquels sont aidés en sous-main par les partenaires occidentaux qui travaillent à sa perte, trouve un écho favorable auprès d’une large partie de l’électorat.

Aux yeux de nombreux Turcs, l’Occident était à la manœuvre pendant toute la durée de la campagne pour les élections du 24 juin, dans le but de faire chuter le président Erdogan et avec lui la Turquie, les deux ne faisant plus qu’un.

Se décrivant comme féru d’histoire, l’homme fort d’Ankara ne manque jamais une occasion de citer les grandes dates censées préfigurer l’émergence d’une « Turquie forte ». 2023 est son horizon préféré. Le centième anniversaire de la République fondée par Atatürk en 1923 sera alors fêté ou plutôt son remplacement par la « République d’Erdogan », plus religieuse, plus sûre d’elle, certaine d’être au rang des « dix premières puissances mondiales ».

« Ottomania »

Il lui arrive de mentionner aussi 2053, soit le 600e anniversaire de la prise de Constantinople, et 2071, qui marquera le millénaire de l’arrivée des Seldjoukides en Anatolie, ce qu’il a fait une fois de plus lors de son « discours du balcon ».

Depuis son accession au pouvoir en 2003, M. Erdogan a progressivement viré du pragmatisme à l’idéologie. Une vaste réinterprétation de l’histoire turque et ottomane est à l’œuvre, une « pop culture » sert de socle au nouveau roman national selon lequel la Turquie a un rôle civilisationnel à jouer sur la scène mondiale.

Au fil des ans, le chef de file de l’islam politique turc a mis en place son soft power, un narratif à la sauce néo-ottomane qui a le don de capter les esprits. Cette « ottomania » est omniprésente dans ses discours, sur le petit écran via les séries télévisées, et jusque sur les stands des vendeurs de rue, lesquels, toujours habiles à capter la tendance du moment, vendent désormais des fez (chapeau ottoman) sur lequel il est écrit : « Nous sommes tous les petits enfants de l’Empire ottoman. »

Les séries télévisées sont le fer de lance. Exportées pour certaines vers le Moyen-Orient, l’ex-URSS, les Balkans, l’Amérique latine, elles sont la marque de fabrique du pays. Les touristes arabes, nombreux à Istanbul, les connaissent si bien qu’ils demandent souvent à leurs guides de les emmener sur leurs lieux où elles ont été tournées.

« Boussole »

Comme la plupart de ses concitoyens, M. Erdogan est friand de ces sagas historiques à l’eau de rose. L’une d’entre elle, intitulée Dirilis Ertugrul retrace la vie de Ertugrul Bey, le père d’Osman Bey, le fondateur de l’Empire ottoman. Dirilis, renaissance en turc, est une notion importante pour le numéro un turc, qui a comparé récemment le référendum constitutionnel d’avril 2017 pour l’élargissement de ses pouvoirs au début d’un « processus de renaissance ».

Mais sa série de prédilection est Payitaht Abdulhamid, une saga sur le sultan Abdulhamid II, auquel il s’identifie. Dès qu’il le peut, il en suit les épisodes. Surnommé « le sultan rouge » pour avoir ordonné des massacres parmi la population arménienne, Abdulhamid II fut déposé en 1909 par les Jeunes Turcs, et mourut dans l’oubli à Istanbul le 10 février 1918.

Le 10 février 2018, le centenaire de la mort d’Abdulhamid II était commémoré au palais de Yildiz à Istanbul. « Trop nombreux sont nos concitoyens qui, aveuglés par l’Occident, ont coupé le pays de ses racines ottomanes. Or l’histoire est plus que le passé d’un pays, elle est aussi sa boussole pour le futur », a expliqué M. Erdogan lors de son intervention.

La personnalité d’Abdulhamid est la boussole du moment. A travers la série, un récit épique et fantaisiste, ponctué de combats à l’épée, de trahisons, de complots, un parallèle est dressé entre le règne du sultan et celui de l’actuel président, confrontés aux mêmes écueils. « Derrière tout ce qui est néfaste à cette nation, il y a un ordre venu de l’Occident », affirme le sultan dans le premier volet de la série.

« Parenthèse »

Les ennemis y sont ouvertement désignés : les Grecs, les Arméniens, les sionistes. M. Erdogan ne manque pas une occasion de vanter cette production télévisée. « Est ce que vous regardez Payitaht ? », a t il lancé à la cantonade lors d’une rencontre avec ses partisans en janvier, avant d’expliquer : « Les puissances étrangères réclament toujours des concessions de notre part. Y accéderons-nous ? Jamais ! »

Pour avoir trop regardé Payitaht Abdulhamid, Necati Sentürk, le gouverneur de la province de Kirsehir (région du centre du pays) a connu un moment d’égarement. C’était au début du mois de mars, et l’armée turque et ses supplétifs syriens étaient sur le point de prendre la ville syrienne d’Afrine aux milices kurdes des Unités de protection du peuple (YPG).

Le départ des soldats au front se faisait au son des fanfares ottomanes, à coup de serments religieux collectifs. Inspiré par la nostalgie ambiante, le gouverneur est apparu alors en grande tenue ottomane au balcon de la préfecture, agitant en l’air un sabre à double pointe, assurant qu’après Afrine, l’armée turque irait « jusqu’à Jérusalem ». Ce qui lui a valu un départ anticipé à la retraite, dès le lendemain.

Du haut de son balcon à Ankara, le président Erdogan a tracé avec moins d’emphase les contours de la Turquie qu’il veut voir émerger. Pour commencer, la République érigée par Mustafa Kemal Atatürk en 1923, perçue comme une erreur historique, est une « parenthèse » qu’il convient de fermer, ce qu’il va s’employer à faire. Son souhait le plus ardent est de ramener le pays à l’époque ottomane (les portables et les centres commerciaux en plus). Quand l’empire s’étendait du Moyen-Orient aux Balkans.

25 juin 2018

Turquie : Erdogan proclamé vainqueur de l’élection présidentielle

Le chef de l’Etat turc a revendiqué sa victoire dimanche soir. Le président de la commission électorale (YSK) a confirmé ce résultat. L’opposition conteste.

Le président sortant de la Turquie, Recep Tayyip Erdogan, a annoncé sa victoire à l’élection présidentielle dès le premier tour, dimanche 24 juin. « Le vainqueur de cette élection, c’est la démocratie, la volonté nationale. Le vainqueur de cette élection, c’est chacun des 81 millions de nos concitoyens », a déclaré « le raïs », tandis que ses supporters l’acclamaient devant le siège du Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur, au pouvoir), à Ankara.

Plus de 56 millions d’électeurs étaient appelés aux urnes pour la présidentielle mais aussi pour les législatives. M. Erdogan, briguait un nouveau mandat après quinze ans de règne sans partage. Ce double scrutin marque le passage en Turquie d’un système parlementaire à un régime hyperprésidentiel souhaité par le « raïs » et validé lors d’un référendum en 2017.

Le président de la commission électorale (YSK) a confirmé la victoire du chef de l’Etat sortant. « D’après les résultats, il apparaît que Recep Tayyip Erdogan a remporté la majorité absolue des voix valides », ce qui lui permet d’être réélu au premier tour, a indiqué le chef du YSK, Sadi Güven, lors d’un point presse à Ankara.

Chiffres contestés

D’après l’agence de presse étatique Anadolu, M. Erdogan arrivait en tête de la présidentielle avec un score de 52,5 % après dépouillement de plus de 99 % des urnes, et l’alliance dominée par l’AKP menait avec 53,61 % dans le volet législatif du scrutin.

« Le peuple turc a élu Erdogan comme premier chef de l’Etat dans le nouveau régime présidentiel. Le peuple turc a dit : “Continuons” avec le président Erdogan », s’est félicité le porte-parole du gouvernement, Bekir Bozdag sur Twitter.

Mais ces chiffres sont contestés par l’opposition. Le parti Républicain du peuple (CHP), qui avait envoyé des représentants dans la plupart des 180 000 bureaux de vote, affirme que ses propres données montrent que M. Erdogan a obtenu moins de 50 % des voix et qu’un second tour est nécessaire. Le député Bülent Tezcan, porte-parole du CHP, a évoqué lors d’une conférence de presse au siège de son parti à Ankara « une manipulation grossière » de l’agence Anadolu qui transmet des résultats « irréels », selon lui.

Dénonciations de fraudes

Le CHP a par ailleurs dénoncé des tentatives de fraude. « De nombreuses plaintes nous sont parvenues », surtout de la province de Sanliurfa (Sud-Est), a déclaré M. Tezcan, . « Nos amis sont intervenus au moment où c’est arrivé », a-t-il ajouté.

Il a énuméré plusieurs exemples de tentatives de bourrage d’urnes, l’une comptant ainsi déjà une centaine de bulletins en faveur de l’alliance dominée par le parti au pouvoir avant même l’ouverture des bureaux. Il a aussi diffusé une vidéo, qu’il assure avoir authentifiée, d’un homme affirmant qu’il y avait plus de bulletins que d’électeurs dans un bureau à Suruç, localité située près de la frontière syrienne.

Le procureur public de Sanliurfa, dont dépend Suruç, a annoncé avoir ouvert une enquête sur ces accusations et quatre personnes ont été arrêtées, selon l’agence de presse étatique Anatolie. Craignant des fraudes, en particulier dans le Sud-Est à majorité kurde, opposants et ONG ont mobilisé plusieurs centaines de milliers d’observateurs pour surveiller les bureaux de vote. « Dans la région, il y a eu des assauts, des menaces pour arrêter nos observateurs », a encore affirmé M. Tezcan.

Le parti prokurde HDP à l’Assemblée ?

A Diyarbakir, les responsables du parti prokurde HDP estiment que le seuil des 10 % lui permettant d’entrer au Parlement est acquis. Un chiffre confirmé par le président de la commission électorale.

Haro Paylan, candidat de la liste HDP à Diyarbakir s’attendait à un score situé entre 11 % et 12 % dans le meilleur des cas. La perspective de voir M. Erdogan élu au premier tour suscitait en revanche une déception sensible. Dans les rues, autour du siège local du parti, les manifestations de joie se poursuivaient dans l’attente des résultats définitifs et de la confirmation du score qui permettra au HDP de rester au Parlement.

23 juin 2018

Turquie : Muharrem Ince, l’espoir des anti-AKP

Par Marie Jégo, Istanbul, correspondante - Le Monde

Le candidat républicain à la présidentielle du 24 juin tente de fédérer l’opposition au président sortant et espère l’affronter lors d’un second tour.

Il est la révélation de la campagne. Combatif, mordant, bon polémiste, Muharrem Ince, candidat du Parti républicain du peuple (CHP, centre gauche) à la présidentielle du 24 juin en Turquie, a de quoi donner des sueurs froides au président Recep Tayyip Erdogan, dont la silhouette écrase le paysage politique turc depuis plus de quinze ans.

De Diyarbakir (sud-est) à Izmir (mer Egée), en passant par Esenyurt, Bagcilar, Kuçukçekmece, les quartiers périphériques d’Istanbul, les meetings de Muharrem Ince déchaînent les passions. Manches retroussées, le verbe haut et clair, cet ancien professeur de physique chimie, 54 ans, a réussi à briser le tabou selon lequel Recep Tayyip Erdogan est imbattable.

Il sait mettre le doigt sur les failles du numéro un turc : sa dérive autocratique, sa mauvaise gouvernance économique. « Mon rival vit dans un palais, il est riche, ses affaires marchent bien. Il boit du thé blanc, alors que moi je bois le même thé que vous, je suis le candidat des misérables », a-t-il lancé face à la foule venue l’acclamer, le 10 juin, à Esenyurt. Eclats de rires dans l’assistance. L’allusion aux « misérables » renvoie à l’adjectif employé récemment par le président Erdogan à l’endroit de Muharrem Ince, « ce misérable ».

Quand Erdogan promet d’ouvrir des « maisons de lecture » dans chaque quartier, avec distribution gratuite de « thé, café, et cakes », le tribun du CHP parle nouvelles technologies, investissements, emplois pour les jeunes. A chacun de ses meetings, il conjure son rival de l’affronter lors d’un débat télévisé « pour parler économie seulement ». Refus du numéro un turc, il n’y aura pas de débat.

mumu

Muharrem Ince 

« Le doyen du cake »

« Après quinze années au pouvoir, que vous promet-il ? Des ponts, des parcs pour le peuple et des cafés librairies ! Il dit que vous mangerez du cake gratis. Ma parole, il est le doyen du cake ! Moi, je m’engage à trouver des emplois à vos enfants », clame Ince, micro en main, un insigne du drapeau turc à la boutonnière de sa veste bleu marine. « Ince, président ! », scande la foule.

Son slogan favori, « la Turquie a besoin de sang neuf », a l’assentiment de l’assistance. Ugur, la trentaine, en est convaincu : « Il faut que cela change, le pouvoir des islamo-conservateurs est usé, eux-mêmes le reconnaissent. Erdogan a parlé d’une “usure du métal” dans son parti, mais ça le concerne au premier plan, lui aussi est usé. »

Commerçant en pièces détachées à Esenyurt, un quartier populaire et dynamique à la périphérie d’Istanbul, Ugur a toujours voté CHP : « C’est de famille. » Mais il sent autour de lui « un grand désir de changement » d’autant que « les gens se serrent la ceinture ».

L’économie va mal. Le régime ultraprésidentiel de M. Erdogan, qui doit entrer en vigueur après les élections, ne plaît guère aux investisseurs, qui craignent pour l’indépendance de la banque centrale. Les capitaux fuient, les investissements stagnent, les déficits s’accentuent, les entreprises du secteur privé, endettées à hauteur de 65 % du PIB, luttent pour restructurer les crédits libellés en dollars alors que la devise locale, la livre turque, ne cesse de se déprécier.

« Si l’opposition parvient à convaincre les électeurs que la poigne de fer d’Erdogan est une source d’instabilité, la trajectoire politique de la Turquie pourrait changer », écrit la chercheuse Asli Aydintasbas dans une tribune publiée par le Washington Post le 12 juin.

Député CHP au Parlement depuis seize ans, Muharrem Ince a déjà brigué à deux reprises la direction du vieux parti d’Atatürk contre Kemal Kiliçdaroglu, l’actuel chef du CHP. Il sait capter l’attention de tous les publics. Nombreux sont les Kurdes qui se disent prêts à lui donner leur voix malgré leur hostilité bien ancrée envers son parti, honni pour son mépris des minorités. Ses arguments font mouche, sa popularité grandit.

Les nationalistes l’approuvent, les conservateurs pieux louent ses égards pour la religion, lui qui a pris soin de diffuser sur son compte Twitter une photo avec sa mère et sa sœur, têtes recouvertes du foulard simple, noué sous le menton, typique de l’islam turc. Car Muharrem Ince n’hésite pas à affronter son rival Erdogan sur son terrain réservé : l’islam. « Ce n’est pas eux [les islamo-conservateurs au pouvoir] qui vont nous apprendre ce qu’est l’islam, nous sommes musulmans autant qu’eux. »

Front commun de l’opposition

Les instituts de sondages assurent qu’il affrontera le président sortant au second tour de la présidentielle, le 8 juillet. Selon les études d’opinion, Recep Tayyip Erdogan arriverait en tête du premier tour, avec de 39 % à 43 % des suffrages. Recueillir 51 % des voix dès le premier tour s’annonce comme une gageure. Crédité de 26 % à 30 % des voix selon les enquêtes, Ince arriverait deuxième.

Pour la première fois en quinze ans, l’opposition est parvenue à s’unir. Chacun présente son candidat au premier tour de la présidentielle, un accord de désistement devrait avoir lieu au second tour pour mettre fin au règne sans partage du « reis » Erdogan.

Pour les élections législatives qui ont lieu le même jour, les républicains du CHP, le vieux parti fondé par Atatürk, ont choisi de faire front commun avec deux autres formations de l’opposition – les nationalistes du Bon Parti, de Meral Aksener, et les islamistes du Parti de la félicité, de Temel Karamollaoglu.

La course est inégale. Pendant que le candidat Erdogan bénéficie de tous les leviers étatiques et médiatiques à sa disposition, l’opposition a ses meetings en plein air pour seule tribune. Les chaînes de télévision, progouvernementales à 90 %, ne les diffusent pas, ou très peu. En revanche, ceux du reis sont retransmis en intégralité.

Ainsi, pour la seule journée du 1er juin, le temps d’antenne consacré au candidat Erdogan était de 105 minutes, contre 37 minutes pour Muharrem Ince, 14 minutes pour Meral Aksener, 5 minutes pour Temel Karamollaoglu et 3 secondes pour le candidat prokurde Selahattin Demirtas, censé faire campagne depuis sa prison de haute sécurité à Edirne, dans l’ouest de la Turquie.

28 mai 2018

Des militants pro-Erdogan font retirer une affiche de l’hebdomadaire « Le Point »

dictateur

Au Pontet, dans le Vaucluse, une dizaine d’hommes ont exigé vendredi qu’un kiosquier ôte la « une » de l’hebdomadaire, qui qualifie le président turc de dictateur.

La « une » du Point qualifiant le président turc Recep Tayyip Erdogan de « dictateur » ne plaît visiblement pas à une partie de la communauté turque. Vendredi 25 mai dans l’après-midi, une dizaine d’hommes ont exigé le retrait de la couverture de l’hebdomadaire affichée sur un kiosque du centre-ville du Pontet (Vaucluse).

Interviewé par le HuffPost, Jean-Paul Abonnenc, directeur général de MédiaKiosk, filiale de JCDecaux, affirme que ces militants pro-Erdogan sont venus « faire pression sur la kiosquière pour lui demander de retirer l’affiche ». « Un peu paniquée, elle a appelé un de nos agents. Compte tenu de la pression qui était exercée sur lui, il a décidé de retirer l’affiche », ajoute-t-il.

Sur plusieurs vidéos publiées sur les réseaux sociaux, on voit la suite de cette scène : des militants déploient une banderole à l’effigie du président turc tandis qu’un employé de JCDecaux se charge de retirer l’affiche du Point.

Des incidents « inacceptables »

Le maire du Pontet, Joris Hebrard (Front national), a dénoncé dès samedi des incidents « inacceptables ». Dans un communiqué, il affirme avoir demandé au directeur régional de la société mise en cause de remettre l’affiche au plus tôt. « On ne transige pas avec la liberté d’expression en France et encore moins au Pontet », écrit le maire frontiste. Selon La Provence, il compte saisir le procureur de la République afin qu’une enquête soit menée et que « les fauteurs de troubles soient identifiés et expulsés ».

Selon Le Point, « un second cas de destruction d’affiche par des sympathisants de l’AKP est recensé à Valence » (Drôme). L’hebdomadaire assure avoir « demandé le rétablissement des affiches dans les kiosques » de ces deux villes, « ce qui fut fait dans les deux heures ». Au Pontet, l’affiche du Point a été replacée sur le kiosque samedi, sous la protection d’agents de la police municipale et d’une dizaine de gendarmes.

L’hebdomadaire confie que ce numéro, consacré au président turc en campagne pour les élections présidentielle et législatives anticipées du 24 juin, « a fait ces derniers jours l’objet d’une intense campagne de dénigrement dans les médias officiels turcs et de la part d’organisation politiques franco-turques ». « Après une semaine de harcèlement, d’insultes, d’intimidation, d’injures antisémites et de menaces à notre attention sur les réseaux sociaux, voici venu le moment où les sympathisants de l’AKP s’attaquent aux symboles de la liberté d’expression et de la pluralité de la presse », regrette le magazine.

Publicité
10 mai 2018

En Turquie, 1,5 million d’internautes disent au président Erdogan « ça suffit ! »

Par Marie Jégo, Istanbul, correspondante - Le Monde

Au pouvoir depuis 2003, Recep Tayyip Erdogan jouera son va-tout aux élections du 24 juin, qui verront le pays basculer vers un « sultanat ».

« Tamam ! » Ça suffit ! C’est ce que plus d’un million d’internautes turcs ont lancé à leur président, Recep Tayyip Erdogan, en campagne pour les élections présidentielle et législatives anticipées du 24 juin, et pour un nouveau mandat, après quinze années d’un règne exclusif à la tête du pays.

Mercredi 9 mai, l’expression était l’une des plus appréciées du réseau social Twitter, avec 1,5 million de partages. Le mot, qui signifie en turc « d’accord » ou « c’est assez », est devenu viral après avoir été employé par le président turc lui-même dans un discours prononcé mardi à Ankara devant les députés de sa formation, le Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur).

Double scrutin

Dans un rare élan d’humilité, le reis (« chef ») déclarait alors : « C’est ma nation qui m’a porté à la tête de la mairie d’Istanbul, de l’AKP, du gouvernement et de la présidence. Si un jour ma nation me dit  “ça suffit” [tamam], alors je me retirerai. »

Que n’avait-il pas dit ! Des chansons « tamam », des rassemblements de rue sur le thème « tamam » ont alors été rapportés sur Twitter et sur Facebook, tandis que les ténors de l’opposition qui affronteront M. Erdogan à la présidentielle du 24 juin s’emparaient de l’expression. « C’est l’heure » (vakit tamam), écrivait ainsi sur son compte Twitter Muharrem Ince, le candidat du principal mouvement d’opposition, le Parti républicain du peuple (CHP). « Ça suffit, si Dieu le veut », a renchéri l’islamiste Temel Karamollaoglu. « Ça suffit », a tweeté Meral Aksener, la chef de file des nationalistes.

Le double scrutin du 24 juin (législatives et présidentielle le même jour) marquera un tournant, car c’est après sa tenue que le renforcement des pouvoirs du chef de l’Etat, approuvé de justesse par le référendum d’avril 2017, entrera en vigueur.

Verrouillage total des médias

Dans un contexte de verrouillage total des médias – télévisuels, surtout –, les réseaux sociaux restent le seul espace d’expression à peu près libre pour les Turcs qui ne partagent pas les vues de l’AKP et de son dirigeant. Tous les discours du président sont retransmis en intégralité et en direct sur les principales chaînes de télévision, alors que ceux de ses opposants ne sont pas diffusés du tout.

A l’heure où M. Erdogan occupe les écrans, au rythme d’un meeting et de plusieurs discours diffusés chaque jour, les rassemblements des opposants Muharrem Ince et Meral Aksener, comme ceux du parti prokurde HDP, ne sont jamais couverts par les chaînes progouvernementales.

Le procédé n’est pas nouveau. A la veille du référendum d’avril 2017 sur l’élargissement des pouvoirs du président, une étude, menée en mars pendant vingt jours sur dix-sept chaînes nationales de télévision par l’ONG Union pour la démocratie, avait montré que l’AKP avait bénéficié de cinquante-trois heures de couverture, le CHP n’ayant droit qu’à dix-sept heures, et le HDP à trente-trois minutes.

Culte de la personnalité

L’AKP a livré son analyse de l’emballement numérique autour du « ça suffit ». « La plupart de ces partages sont postés dans des pays où la FETO [« l’organisation terroriste de Fethullah Gülen », acronyme donné par le gouvernement à l’organisation du prédicateur rendu responsable de la tentative de soulèvement du 15 juillet 2016] et le PKK [les autonomistes kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan] sont actifs », a déclaré Mahir Ünal, le porte-parole du parti au pouvoir.

En guise de riposte, les adeptes du « grand homme », l’un des surnoms de M. Erdogan, ont tenté de fédérer l’adhésion avec le mot-clé « devam » (« On continue »), qui n’a recueilli que trois cent mille partages.

A l’évidence, le charisme du numéro un ne fait plus recette malgré les assertions des éditorialistes de la presse pro-AKP, aveuglée par le culte de la personnalité. « Le président a prononcé un discours vigoureux, comme au tout début de sa carrière politique », s’est réjoui le journaliste Yasar Bas, du quotidien Yeni Akit, en commentant l’allocution de M. Erdogan à Atasehir dimanche, lors d’un meeting censé présenter son programme électoral.

Le président joue son va-tout

L’assistance était molle ce jour-là, d’où le constat du reis. Déplorant que ses slogans n’aient pas été repris en chœur comme c’est l’usage, M. Erdogan a lâché à la fin de la rencontre : « Ce ton-là ne suffira pas pour les élections du 24 juin. »

En guise de programme électoral, le président a promis « la démocratie complète » ainsi que « la justice sociale », cela au moment où des procès arbitraires pleuvent sur les opposants, les magistrats, les journalistes, tandis que soixante mille personnes sont en prison et que plus de cent cinquante mille fonctionnaires ont été mis à pied. « Le concept de justice était le plus important de son discours », a toutefois écrit Yasar Bas dans son éditorial.

Au pouvoir depuis 2003, Recep Tayyip Erdogan joue son va-tout aux élections du 24 juin, qui verront la Turquie basculer vers un « sultanat », la prise de décision se retrouvant entre les mains d’un seul homme, ce qui est déjà le cas dans les faits.

Avis de tempête sur l’économie nationale

Après avoir tout verrouillé – société civile, médias, justice, prolongation de l’état d’urgence pour la septième fois depuis 2016 –, le président turc se trouve finalement confronté à une rivale inattendue : l’économie.

Un avis de tempête pèse sur l’économie nationale, fragilisée par la baisse constante de la livre turque, par l’inflation à deux chiffres (+ 10,8 % en avril), par le déficit croissant des comptes courants (+ 5,5 % en 2017) et par l’endettement en devises des entreprises.

L’agence de notation Standard & Poor’s, qui a récemment abaissé la note de la dette turque, prévoit « un atterrissage difficile ». Un argument balayé d’un revers de la main par M. Erdogan, qui y voit « une magouille ». Mais après une nouvelle chute de la livre turque par rapport au dollar et face à l’euro, mercredi, les principaux responsables économiques ont été convoqués d’urgence au palais présidentiel.

24 mars 2018

Turquie : le gouvernement renforce son contrôle sur les médias

Par Marie Jégo, Istanbul, correspondante - Le Monde

Un milliardaire proche du président Erdogan a mis la main sur Dogan Holding, le plus gros groupe d’information du pays.

Avide de contrôler la totalité du paysage médiatique à dix-huit mois des élections de novembre 2019 – législatives et présidentielle –, le gouvernement turc (islamo-conservateur) vient de jeter son dévolu sur Dogan Holding, le plus gros groupe de médias de Turquie. Ce dernier vient en effet d’être racheté par le milliardaire Erdogan Demirören, un proche du président Recep Tayyip Erdogan.

Désormais, « 90 % des médias [du pays] sont entre les mains de l’exécutif », constate la journaliste Aysenur Arslan, une ancienne collaboratrice de Dogan Holding.

Après des négociations discrètes, le groupe Demirören, présent dans l’énergie, la construction, le tourisme, a acquis pour 1,1 milliard de dollars (890 millions d’euros) les quotidiens Hürriyet, Posta, Fanatik, ainsi que l’agence de presse Dogan et les chaînes de télévision Kanal D et CNN-Türk. Selon le site d’information T24, pour finaliser son acquisition, la holding de M. Demirören a bénéficié d’un crédit venu d’un consortium bancaire, dont l’établissement public Ziraat Bank.

Dans le viseur des autorités

Après avoir dominé la scène médiatique turque pendant quarante ans, le milliardaire Aydin Dogan, fondateur du groupe du même nom, a tiré sa révérence, jeudi 22 mars. « J’ai 81 ans. A ce stade, j’ai décidé, de mon propre chef, de cesser mes activités dans les médias », a-t-il déclaré lors d’un discours d’adieu à ses salariés. En insistant sur le caractère volontaire de la cession, le magnat comptait visiblement faire taire les rumeurs selon lesquelles il aurait finalement cédé ses actifs sous la pression du gouvernement.

« S’il ne vendait pas la branche médias de son groupe, il risquait d’être emprisonné dans le cadre d’une enquête sur les événements du 28 février [le 28 février 1997, les militaires avaient évincé le gouvernement dirigé alors par l’islamiste Necmettin Erbakan]. On lui a montré le bâton, il a compris le message », a assuré un peu plus tôt, jeudi, Aysenur Arslan sur la chaîne de télévision Halk TV.

Longtemps dominant en termes d’influence et de parts de marché, le groupe Dogan s’est retrouvé dans le viseur des autorités en 2009, quand il a dû s’acquitter d’une amende de 3,3 milliards de dollars pour des taxes impayées. Ses ennuis avaient commencé juste après la publication par le quotidien Referans, par la suite fermé, d’une enquête sur le népotisme en vigueur au sein du Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur). Endetté, en butte aux pressions, Dogan Holding a dû par la suite céder à Demirören, en 2011, deux de ses quotidiens (Milliyet et Vatan) pour 74 millions de dollars.

La fin du pluralisme d’opinions

Las des prises de bec avec les autorités, Aydin Dogan a fini par jeter l’éponge. Ses relations avec le président turc étaient compliquées. Aux yeux des islamo-conservateurs, lui et son groupe symbolisent « la vieille Turquie », dont l’élite laïque et pro-occidentale fut aux affaires depuis l’avènement de la République, en 1923, jusqu’à l’arrivée au pouvoir de M. Erdogan, en 2003. « La presse soutenue depuis deux siècles par l’Allemagne, c’est fini. Place à la nationalisation », s’est aussitôt félicité Yigit Bulut, l’un des conseillers du Palais, à l’annonce de la cession.

Pour les Turcs libéraux, c’est la fin du pluralisme d’opinions. D’autant que, dans le même temps, un nouveau tour de vis annonce une plus large censure sur Internet. Mercredi, le Parlement a adopté une loi qui oblige les organisations diffusant des contenus audiovisuels en ligne à obtenir une licence auprès du Haut Conseil de la radio et de la télévision (RTÜK), qui pourra dorénavant les interdire.

Depuis le coup d’Etat raté de juillet 2016, une répression drastique s’est abattue sur la société turque. Près de 150 médias ont été fermés, environ 160 000 personnes ont été arrêtées et 152 000 fonctionnaires ont été limogés. Des milliers d’internautes sont par ailleurs actuellement poursuivis pour « insulte au président » tandis que plusieurs journalistes des médias d’opposition – Cumhuriyet, Sozcu, OdaTV, Evrensel, Birgun – ont été emprisonnés ou attendent leurs procès. Lancé depuis Londres à la fin de 2017, le site d’information Ahval n’est pour sa part plus accessible en Turquie depuis le début du mois de mars et voici plus d’un an que la consultation de l’encyclopédie en ligne Wikipédia n’est plus possible dans aucune langue.

Recep Tayyip Erdogan se plaint auprès d’Emmanuel Macron des critiques sur Afrin. Le président turc s’est ouvert auprès de son homologue français de sa « gêne » vis-à-vis des propos tenus par la France sur l’opération militaire turque dans cette région du nord de la Syrie. Lors d’une conversation téléphonique vendredi, l’homme fort d’Ankara à dit au locataire de l’Elysée que ces critiques étaient dénuées de tout fondement. Au cours de leur discussion, M. Erdogan a également insisté sur « l’importance de raviver le processus d’adhésion » de la Turquie à l’UE.

6 janvier 2018

Face à Erdogan, Macron propose un « partenariat » plutôt que l’intégration de la Turquie à l’UE

erdogan

Par Marc Semo - Le Monde

Le président français a rencontré samedi à Paris son homologue turc, avec lequel il a également évoqué la question du respect des droits de l’homme.

Face au président turc Recep Tayyip Erdogan, venu chercher le soutien de Paris pour une relance du processus d’adhésion de son pays à l’Union européenne (UE), Emmanuel Macron a fait le choix du parler vrai. « Il est clair que les évolutions récentes et les choix de la Turquie ne permettent aucune avancée du processus engagé », a déclaré le président français lors de leur conférence de presse commune, vendredi 5 janvier.

Jamais un chef de l’Etat français n’avait aussi clairement appelé, en s’adressant directement à son homologue turc, à en finir « avec l’hypocrisie qui consiste à penser qu’une progression naturelle vers l’ouverture de nouveaux chapitres de négociation est possible ».

Et de suggérer de « repenser cette relation non pas dans le cadre du processus d’intégration mais d’une coopération, d’un partenariat ». « La finalité, c’est de préserver l’ancrage de la Turquie et du peuple turc dans l’Europe et de faire en sorte que son avenir se construise en regardant l’Europe et avec l’Europe », a-t-il insisté, avouant que « l’Europe n’a pas toujours bien fait vis-à-vis de la Turquie, en laissant croire des choses possibles alors qu’elles ne l’étaient pas totalement. »

La plupart des dirigeants de l’UE, surtout depuis la dérive autoritaire qui a suivi le coup d’Etat manqué de juillet 2016, ne croient plus à la possibilité dans un proche avenir d’une adhésion pleine et entière de la Turquie comme le souhaite, au moins en parole, Ankara. En septembre 2017, la chancelière allemande, Angela Merkel, alors en campagne électorale, avait même déclaré lors d’un débat télévisé être favorable à l’arrêt des négociations. Les autorités françaises, si l’on excepte le quinquennat de Nicolas Sarkozy, étaient quant à elles toujours restées plus floues.

Isolement diplomatique d’Ankara

Avec ce pays qu’il juge un partenaire stratégique essentiel, le président français suggère « un dialogue apaisé qui tiendrait compte des réalités d’aujourd’hui ». C’est vague et très loin des attentes de l’homme fort d’Ankara, qui comptait sur celui qu’il appelle son « ami » Emmanuel Macron pour renouer avec l’Europe et sortir de son isolement diplomatique.

Avec son habituel parler cru, Recep Tayyip Erdogan n’a pas caché son irritation. « Les premiers pas du processus d’adhésion datent de 1963 et cela fait donc maintenant cinquante-quatre ans que la Turquie attend dans l’antichambre de l’UE. Aucun autre pays n’a été traité de la sorte », a-t-il martelé, affirmant : « Cela nous a fatigués » et « cela nous pousse à prendre des décisions : on ne peut pas en permanence implorer une entrée dans l’UE ». Le leader de l’AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir en Turquie depuis 2002, brandit régulièrement depuis deux ans la menace d’un référendum sur l’adhésion à l’UE.

Emmanuel Macron a tenu son engagement d’évoquer lors de leurs entretiens les atteintes aux droits de l’homme et un certain nombre de cas concrets de dirigeants d’ONG, de journalistes, ainsi que celui du mécène et figure de proue de la société civile Osman Kavala. « L’Etat de droit ne se divise pas. (…) Une opinion, si elle n’est pas une invitation au crime ou à des thèses terroristes, c’est une opinion et elle doit pouvoir s’exprimer librement », a expliqué le président français, appelant aussi Ankara à préserver son ancrage dans la Convention européenne des droits de l’homme.

Un pas vers une relance de la coopération militaire

M. Erdogan a rétorqué en évoquant les nécessités de la lutte contre le terrorisme. « Il ne se crée pas tout seul, il y a des jardiniers du terrorisme, hommes de pensée et d’idées qui, dans leurs écrits, apportent de l’eau au moulin du terrorisme », a-t-il lancé avant de s’en prendre, quelques minutes plus tard, à un journaliste de l’émission « Envoyé spécial » qui lui posait une question sur des soupçons de livraisons d’armes à des groupes djihadistes par Ankara en 2014.

Une grande partie des entretiens a porté sur les crises régionales, et notamment sur la question syrienne. Emmanuel Macron a évoqué une « communauté de vues et d’intérêts stratégiques » afin de construire la paix avec la dimension « la plus inclusive possible ».

Très symboliquement, juste avant le début de la conférence de presse, a été aussi signé le contrat pour l’étude d’un système de défense aérienne et de missiles mené en commun par la société franco-italienne Eurosam et les sociétés turques Aselsan et Roketsan. C’est un pas vers une relance de la coopération militaire avec les Occidentaux après qu’Ankara a signé un contrat avec la Russie pour des missiles sol-air S 400 qui suscite l’inquiétude de ses partenaires de l’OTAN.

5 janvier 2018

Erdogan à Paris

erdogan1

erdogan2

erdogan3

erdogan4

erdogan5

Les Femen manifestent seins nus devant l'Elysée contre la venue d'Erdogan à Paris (photos

Alors que le président turc Erdogan étit attendu à la mi-journée à Paris pour un repas avec Emmanuel Macron, les Femen se sont invitées devant l’Elysée. Elles protestaient contre la venue de l’homme des répressions à Istanbul.

La rencontre entre les deux chefs d’Etat est loin de faire l’unanimité en France. Diverses personnalités ont manifesté leur mécontentement de voir venir à Paris le président Erdogan qui a fait arrêter des milliers de personnes soupçonnées d’avoir, de près ou de loin, soutenu le putsch de 2016.

Les Femen aussi ont protesté. A leur manière ; seins nus avec des slogans à même la peau. On pouvait notamment y lire : Erdogan’s cannibal lunch. Au menu : tartare de femmes. Emincés de Kurdes. Journalistes cuits à l’étouffée.

Les jeunes femmes ont été embarquées manu militari.

femen55

femen56

femen57

5 janvier 2018

Visite à Paris d’Erdogan, de plus en plus isolé sur la scène internationale

Par Marc Semo - Le Monde

La venue du président turc, vendredi, suscite nombre d’interrogations alors que les atteintes à l’Etat de droit et aux libertés s’aggravent de jour en jour dans son pays.

Toujours plus isolé diplomatiquement, Recep Tayyip Erdogan souhaite désormais réchauffer ses relations avec les pays de l’Union européenne (UE). La visite à Paris, vendredi 5 janvier, pour une demi-journée, du président turc – la première dans une grande capitale européenne depuis le putsch manqué de juillet 2016 –, n’en suscite pas moins nombre d’interrogations alors que les atteintes à l’Etat de droit et aux libertés fondamentales s’aggravent de jour en jour en Turquie.

La question sera ouvertement abordée par le président français lors de leur rencontre. Emmanuel Macron revendique le fait « de parler à tout le monde et de dire clairement les choses », même celles qui fâchent. « Je le ferai dans le respect mais avec le souci de défendre en même temps nos valeurs et nos intérêts », expliquait-il en début de semaine avant d’évoquer, le 3 janvier, lors de ses vœux à la presse, la triste situation des médias en Turquie.

Les autorités françaises rappellent qu’Ankara devra faire « des gestes très concrets » sur les droits de l’homme si elle veut donner un nouvel élan à un processus d’adhésion à l’UE engagé en octobre 2005 et aujourd’hui au point mort. « Ce processus est gelé parce qu’il y a un certain nombre d’attentes des pays européens sur les libertés fondamentales », déclarait à Sud Radio Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’Etat auprès du ministre des affaires étrangères.

Des cas très concrets seront abordés lors des entretiens, dont celui du mécène Osman Kavala, figure de proue de la société civile et de l’intelligentsia istanbuliote, arrêté en novembre 2017 et accusé d’avoir financé le coup d’Etat raté de juillet 2016 et la révolte de Gezi au printemps 2013.

Erdogan, le « nouveau sultan »

Quelque 50 000 personnes sont actuellement détenues en Turquie pour leurs liens supposés avec la confrérie islamiste de Fetullah Gülen, accusée par les autorités d’avoir organisé le putsch raté ou pour complicité avec la rébellion kurde.

Au moins 140 000 fonctionnaires ont été limogés. Quant à la répression contre les ONG de droits de l’homme et la presse, elle a aussi visé des ressortissants européens, notamment allemands, et des binationaux. Les deux journalistes français arrêtés au cours des derniers mois, Mathias Depardon et Loup Bureau, ont certes été libérés. Un geste à l’égard de Paris. Mais le correspondant de Die Welt Deniz Yucel, Turco-Allemand, reste incarcéré depuis bientôt un an sans même que n’aient été rendues publiques les charges pesant contre lui.

« Nous voulons augmenter le nombre de nos amis et réduire celui de nos ennemis », déclarait récemment Recep Tayyip Erdogan. Recoller à l’UE est une nécessité pour le président turc.

Même si l’économie tourne à plein régime, avec une croissance de 7 % en 2017, une bonne partie des classes moyennes urbaines commencent à se détourner de l’AKP, le parti islamo-conservateur au pouvoir depuis 2002, et s’inquiètent des dérives autoritaires de celui que beaucoup surnomment le « nouveau sultan ». Lors du référendum d’avril 2017 visant à élargir encore les pouvoirs du chef de l’Etat, les grandes villes comme Ankara et Istanbul avaient voté pour le non.

Intérêts stratégiques communs

Les relations avec le traditionnel allié américain sont de plus en plus mauvaises. Celles avec l’OTAN sont devenues exécrables. La carte russe et l’alliance avec Vladimir Poutine qui avait permis à Ankara de revenir dans le jeu en Syrie montre toutes ses limites.

D’où ce retour vers l’Europe, et c’est avec Paris que les relations sont les moins mauvaises. Au printemps, les autorités turques n’avaient pas hésité à accuser les dirigeants allemands de « pratiques nazies » pour avoir interdit à des ministres de l’AKP de venir mener campagne outre-Rhin auprès des immigrés turcs.

Recep Tayyip Erdogan et Emmanuel Macron se sont déjà plusieurs fois rencontrés en marge de sommets internationaux. « Les discussions ont été directes et denses », souligne-t-on à Paris. Si les personnalités et les visions du monde des deux chefs d’Etat sont, à bien des égards, opposées, il y a aussi des intérêts stratégiques communs et des convergences sur nombre de dossiers régionaux, à commencer par la Syrie.

Longtemps principal soutien de la rébellion avant de se rapprocher de Moscou et de Téhéran en 2016, Recep Tayyip Erdogan n’en estime pas moins, comme la diplomatie française, que Bachar al Assad ne peut incarner à terme l’avenir de son pays.

Les deux hommes s’entretiendront aussi de la situation dans le Golfe et en Libye et de l’instabilité née de la reconnaissance par les Etats-Unis de Jérusalem comme capitale d’Israël. « La Turquie reste un partenaire stratégique à de nombreux égards : en matière de migrations, de lutte contre le terrorisme, de résolution de crises régionales », expliquait le ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, à Lisbonne, soulignant que ce dialogue « exigeant et constructif » doit être « fondé sur des engagements que la Turquie a elle-même pris en matière de droits de l’homme ».

« Dérive autocratique irréversible »

Cela ne dissipe pas les doutes sur l’opportunité de cette visite alors même que le président turc, depuis le coup d’Etat raté, n’avait été reçu que dans la Pologne des ultranationalistes conservateurs du PIS (droit et justice) et chez le voisin grec.

« La rencontre à l’Elysée représente un succès d’image pour Recep Tayyip Erdogan mais elle ne le fera en rien dévier d’une trajectoire politique toujours plus autoritaire au fur et à mesure qu’il sent son pouvoir menacé », relève Marc Pierini, ancien ambassadeur de l’UE à Ankara et aujourd’hui chercheur à la fondation Carnegie à Bruxelles, soulignant qu’en revanche Emmanuel Macron n’a rien à y gagner. « Qu’il s’agisse des accords migratoires ou de la lutte contre le terrorisme, la coopération fonctionne au niveau technique sans qu’il soit besoin de lui donner un tel adoubement politique », s’inquiète l’ex-diplomate européen.

Un point de vue que partagent nombre d’intellectuels turcs. « Si la visite parisienne pouvait freiner la dérive autocratique d’Erdogan, ce serait une bonne chose mais cette dernière est irréversible », analyse Ahmet Insel, auteur notamment de La Nouvelle Turquie d’Erdogan (La découverte). Nul ne croit plus vraiment, y compris à Ankara, à une future adhésion pleine et entière à l’UE. « Les relations de la Turquie avec l’UE se situent désormais dans la logique d’une politique de bon voisinage, ce qui donne à Bruxelles comme à Paris ou Berlin toujours moins de prises sur Ankara », insiste l’universitaire. Recep Tayyip Erdogan le sait et en joue, même s’il assure « vouloir avoir de bonnes relations avec l’UE. »

Publicité
<< < 1 2 3 4 5 6 > >>
Publicité