Philippe Barbarin : « J’ai fait tout ce que je croyais pouvoir faire »
Par Pascale Robert-Diar
Le cardinal comparaît à son initiative devant la cour d’appel de Lyon pour contester sa condamnation, en mars, à six mois d’emprisonnement avec sursis pour « non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs ».
Il y a neuf mois, cinq prévenus dont Philippe Barbarin, cardinal de Lyon en exercice, un archevêque et un évêque étaient attraits devant le tribunal correctionnel de Lyon par l’association La Parole libérée pour « non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs. » L’enjeu, revendiqué par les plaignants, était de faire de cette audience le réceptacle d’un débat de société sur le silence coupable de l’Eglise face à la pédophilie.
Jeudi 28 novembre, devant la cour d’appel de Lyon, c’est un homme seul, cardinal « en retrait » de ses fonctions, qui comparaît à son initiative pour contester sa condamnation à six mois d’emprisonnement avec sursis. Et ce n’est plus tout à fait le même procès.
« Pourquoi faites-vous appel ? », lui demande le président Eric Seguy. « J’utilise un droit que la justice française me donne », répond Philippe Barbarin. Avec la motivation du jugement qui l’a condamné le 7 mars, le cardinal dispose d’un atout : il sait sur quoi il doit se battre et sur quoi il peut céder. De cette feuille de route, il ne s’écarte pas, se montrant plus humble sur certains points et plus offensif sur d’autres.
Le souci d’éviter le « scandale public »
Ainsi de son entretien, en mars 2010, avec Bernard Preynat. Les plaignants soutiennent que dès cette date, Philippe Barbarin a eu conscience de la gravité des faits reprochés à l’ancien aumônier scout et n’a rien dit.
« J’entends des bruits, des rumeurs. Bernard Preynat me dit qu’il y a eu des trucs mais me certifie qu’il ne s’est plus rien passé depuis 1991.
– Les rumeurs, les trucs, c’était quoi ? Qu’il leur apprenait à tricher au Monopoly ? ironise l’un des avocats des plaignants, Me Jean Boudot.
– Ce n’était pas clair. Personne ne m’a rien dit. Ni les parents, ni les autres prêtres qui savaient. Moi, je suis là depuis 2002, je ne vais pas refaire l’histoire avant 1991 ! »
Il reconnaît toutefois : « Je m’en veux de ne pas lui avoir posé de questions plus précises. Je n’ai pas eu le courage, à ce moment-là, de lui demander de nommer les faits. »
La concession ne présente pas grand risque. Si, dans son jugement du 7 mars, le tribunal avait suivi les parties civiles en estimant que le délit de non-dénonciation d’agressions sexuelles était bel et bien constitué à compter de mars 2010, il relevait que, concernant cette période, les faits sont prescrits.
L’enjeu du procès en appel porte bien davantage sur l’attitude de Philippe Barbarin en 2014, quand il reçoit les confidences d’Alexandre Hezez, et en 2015, quand ce dernier l’informe avoir connaissance d’autres victimes de l’ancien aumônier scout.
A l’appui de sa décision de condamnation, le tribunal avait en effet estimé que le souci d’éviter le « scandale public » avait été, pour lui, la « seule priorité qu’il convenait de servir. » Philippe Barbarin, indiquait le jugement, « a fait le choix en conscience » de ne pas transmettre au procureur les faits qui lui étaient rapportés, « pour préserver l’institution à laquelle il appartient » alors qu’il était « dans l’obligation de dénoncer ces faits. »
« Personne n’a bougé »
A la barre, Philippe Barbarin conteste vigoureusement cette interprétation. « Pourquoi attend-on de moi que je porte plainte, vingt ans après, alors que des paroissiens et des parents ne l’ont pas fait à l’époque ? C’est une question que l’on peut se poser. Personne n’a bougé. Aujourd’hui, je reçois des lettres de gens qui me demandent : “Mais pourquoi ça tombe sur vous ? Nous aussi, on savait et on n’a rien dit. On en parlait partout, à la boulangerie, à la boucherie.” Une quinzaine de familles au moins pourraient témoigner. Il y a même une victime qui m’a dit : “Je m’attaque à vous car je ne vais quand même pas attaquer mon père.” »
Alexandre Hezez, rappelle-t-il, lui avait précisé que les agressions sexuelles le concernant étaient prescrites. « Ni dans sa tête, ni dans la mienne, il n’y avait l’idée de porter plainte. Il m’a dit qu’il s’en voulait de ne pas l’avoir fait. »
Le cardinal poursuit : « Les consignes de l’Eglise [sur la dénonciation d’agressions sexuelles portées à sa connaissance] sont très claires pour des faits qui se passent dans le présent. Mais personne ne dit ce qu’il faut faire pour des faits qui se sont produits il y a vingt ans. »
« Considérez-vous que Rome est un supérieur auquel vous devez obéir ? lui demande la cour
– Je n’avais pas d’accès à la justice. Tandis qu’à Rome, j’en avais un. J’ai fait tout ce que je croyais pouvoir faire. »
« L’Eglise a changé, la société également »
Philippe Barbarin en dresse l’énumération : « J’ai parlé directement avec le pape, je lui ai demandé de recevoir les victimes ou de leur écrire, ce qui n’a pas été fait. J’ai obtenu la levée de la prescription canonique et j’ai donné la sanction maximale que je pouvais donner [contre Bernard Preynat].
Il dit surtout avoir encouragé Alexandre Hezez à trouver d’autres victimes susceptibles de porter plainte. Confronté au cardinal, celui-ci dément. « Je suis très embêté. C’est toujours difficile de penser qu’un évêque ment ou oublie. Mais Philippe Barbarin ne m’a jamais, jamais, demandé de trouver d’autres cas. On n’était pas du tout dans une démarche où lui s’occupait de Rome et moi de la justice. » Philippe Barbarin réaffirme, imperturbable : « Je lui ai dit : “On va en trouver d’autres.” » Il insiste : « J’ai fait tout ce que j’ai pu de l’endroit où j’étais. »
« Agiriez-vous différemment aujourd’hui ? lui demande le président de la cour.
– Evidemment.
– Vous avez donc changé ?
– L’Eglise a changé. La société également. »
Le réquisitoire de l’avocat général Joël Sollier est attendu ce vendredi matin. Comme en première instance, le parquet va requérir la relaxe de Philippe Barbarin.