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Jours tranquilles à Paris
pedophilie
18 février 2019

Une semaine sous tension pour l’Eglise catholique, attendue sur les violences sexuelles

pedophilie

Par Cécile Chambraud - Le Monde

Le Vatican réunit à partir de jeudi des évêques du monde entier à Rome pour une conférence consacrée aux moyens de lutter contre ces abus.

Theodore McCarrick fut l’un des « princes de l’Eglise » catholique, l’une des figures les plus influentes de l’épiscopat américain. A 88 ans, cet ancien cardinal, archevêque émérite de Washington, n’est même plus autorisé désormais à célébrer une messe. La congrégation pour la doctrine de la foi, le « ministère » romain chargé du respect de l’orthodoxie et qui est aussi chargé de traiter et juger les affaires de pédophilie et de violences sexuelles, a annoncé, samedi 16 février, le renvoi de l’état clérical de ce prélat qui avait déjà dû renoncer à son titre de cardinal en juillet 2018. Il a en effet été reconnu coupable de « sollicitation [d’actes sexuels] en confession » et d’actes sexuels « contre des mineurs et des adultes, avec la circonstance aggravante de l’abus de pouvoir ».

Cette décision était anticipée depuis des semaines. Elle n’en est pas moins inédite. C’est la première fois, dans l’histoire moderne, qu’un cardinal (le plus haut titre dans l’Eglise catholique) est défroqué pour scandale sexuel. Elle contribue à approfondir l’état de choc dans lequel se trouve l’Eglise catholique, à quelques jours d’un important sommet, à Rome, sur « la prévention des abus sexuels sur les mineurs et les adultes vulnérables ».

Après les révélations en cascade de l’été 2018 (le rapport de la justice américaine sur cinquante ans de pédophilie en Pennsylvanie, les conclusions de la commission d’enquête en Allemagne sur les affaires depuis 70 ans outre-Rhin, les accusations portées contre le pontife par un archevêque de curie), le pape François avait pris l’initiative, en septembre, de convoquer tous les présidents de conférence épiscopale pour faire le point sur les abus sexuels. La réunion se tiendra du 21 au 24 février en présence d’une centaine d’entre eux, de représentants du Vatican, d’experts et de victimes qui témoigneront de ce qu’elles ont enduré.

Accusations « crédibles et fondées »

L’essor et la chute de Theodore McCarrick réunissent tous les ingrédients de la crise que traverse actuellement l’Eglise catholique. En juin, la conférence épiscopale américaine avait reconnu « crédibles et fondées », les accusations d’un ancien enfant de chœur qui dit avoir été agressé par l’ecclésiastique dans les années 1970. Un peu plus tard, un autre homme a affirmé que l’ancien prélat, qui était un ami de sa famille et était fréquemment invité par ses parents, l’a agressé sexuellement pendant des années à partir de l’âge de 11 ans, notamment lorsqu’il l’entendait en confession. Cette accusation de pédophilie a conduit le pape François à obtenir sa sortie du collège cardinalice, en juillet.

Mais Theodore McCarrick n’a pas seulement agressé des mineurs. Pour la première fois, un prélat est sanctionné pour avoir commis des violences sexuelles sur des adultes vis-à-vis desquels il était en position de pouvoir. Il a été accusé par d’anciens séminaristes (par lesquels il se faisait appeler « oncle Ted ») de les avoir contraints à des relations sexuelles. Parmi les affaires d’abus sexuels qui émergent dans de nombreux pays, plusieurs ont pour cadre des séminaires – où sont formés les prêtres –, comme au Chili ou aux Etats-Unis. Des formateurs, voire des évêques qui seront plus tard leurs « supérieurs », sont accusés d’avoir fait pression sur eux pour obtenir des faveurs sexuelles. Ailleurs que dans l’Eglise, cela s’appelle du harcèlement sexuel.

Le 5 février, lors d’une conférence de presse, le pape avait, pour la première fois officiellement, reconnu l’existence de violences sexuelles perpétrées par des prêtres sur des religieuses. Aux violences contre les mineurs s’est donc bien ajouté, reconnu par le chef de l’Eglise catholique, le scandale des violences contre des majeurs. L’enquête préliminaire ouverte le 24 janvier par le parquet de Paris à l’encontre du nonce (l’ambassadeur) du Vatican à Paris, Mgr Luigi Ventura, pour agression sexuelle contre un salarié de la mairie de Paris, et révélée vendredi par Le Monde, s’ajoute à cette liste.

L’étouffement du scandale

L’affaire McCarrick pose également, et à quelle échelle, la question de l’attitude de la hiérarchie catholique lorsqu’elle a vent de dérives sexuelles au sein du clergé. Qui, au Vatican, a protégé ou favorisé la prestigieuse carrière de Theodore McCarrick alors même que les rumeurs sur son comportement avec les séminaristes semblent très anciennes ? Un prêtre de New York, Boniface Ramsay, aurait ainsi alerté le Saint-Siège dès 2000, lorsque McCarrick, alors évêque de Newark, a été nommé archevêque de Washington par Jean-Paul II.

Cela n’a pas empêché le pape polonais de le créer cardinal l’année suivante. Par la suite, y compris après sa mise à la retraite comme évêque, le cardinal avait continué à se voir confier des missions qui l’ont conduit dans de nombreux pays, notamment en Chine, au Vietnam, à Cuba. Dans un « témoignage » très hostile au pape François et publié au mois d’août, en pleine visite apostolique en Irlande, un ancien nonce aux Etat-Unis, Mgr Carlo Maria Vigano, a accusé François d’avoir protégé Theodore McCarrick et même d’avoir effacé des sanctions prises à son encontre par Benoît XVI.

Relayée par les évêques américains, la question de l’étouffement du scandale au plus haut niveau de l’Eglise se pose maintenant avec acuité. En octobre, le Vatican a annoncé le lancement d’une enquête interne au sujet de la carrière du prélat américain. « Le Saint-Siège est conscient qu’(…) il pourrait apparaître que des choix faits dans le passé ne sont pas en phase avec une approche contemporaine de ces problèmes », avait prévenu la déclaration du Vatican. On ne sait pas si et quand les conclusions de cette investigation seront rendues publiques. Sur le terrain, des enquêtes sont par ailleurs en cours dans les quatre diocèses (New York, Metuchen, Newark et Washington) dans lesquels Theodore McCarrick a été évêque.

Parution de « Sodoma »

Un autre événement devrait marquer l’ouverture de la réunion des présidents des conférences épiscopales, jeudi. Il s’agit de la parution le même jour, dans vingt pays à la fois, du livre Sodoma. Ecrit par le journaliste et essayiste français, Frédéric Martel, il décrit un Vatican dominé par une homosexualité aussi cachée que structurante, en totale contradiction avec le discours de l’Eglise sur le célibat des prêtres, la morale sexuelle, l’homosexualité, le mariage gay, etc.

Dans cette atmosphère agitée, l’un des objectifs de la réunion sera de convaincre les épiscopats de toutes les latitudes que la pédophilie et les abus sexuels sont un fléau universel et non pas, comme l’assurent certains prélats, une particularité occidentale. Elle doit aussi diffuser l’obligation, pour les évêques, de ne pas protéger les prêtres fautifs.

Le Vatican n’a eu de cesse, ces dernières semaines, d’essayer de réduire les attentes suscitées par l’annonce de cette réunion. Les associations de victimes, qui seront aussi présentes à Rome, poussent au contraire pour que des décisions concrètes y soient prises. Dans le contexte de crise, de simples généralités auraient peu de chance d’être audibles. L’Eglise est sous la pression d’une exigence de résultat.

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18 février 2019

Entretien - François Ozon : « L’Eglise est en train de prendre conscience du problème » de la pédophilie

Par Jacques Mandelbaum - Le Monde

Le père Preynat a assigné le réalisateur de « Grâce à Dieu » en référé, au nom du respect de la présomption d’innocence. Alors que son procès doit se tenir fin 2019, le prêtre demande le report de la sortie du film, qui raconte le sort de plusieurs victimes.

François Ozon, cinéaste prolifique (dix-huit longs-métrages en vingt ans de carrière) et éclectique (thriller, comédie, comédie musicale, mélodrame…), se lance avec Grâce à Dieu dans la reconstitution d’un dossier judiciaire en cours. L’affaire est d’autant plus brûlante qu’elle traite de la pédophilie dans le milieu de l’Eglise.

Notamment interprété par Melvil Poupaud et Denis Ménochet, ce film choral évoque le sort de plusieurs victimes qui ont mis en cause le prêtre Bernard Preynat, 72 ans aujourd’hui, pour agressions sexuelles sur des mineurs durant son ministère à la paroisse de Sainte-Foy-lès-Lyon. Maintes fois dénoncé depuis 1978 pour un comportement qu’il a reconnu, le prêtre n’en a pas moins été maintenu par sa hiérarchie jusqu’en 2015.

A cette date, d’anciennes victimes du prêtre, scandalisées par l’inaction de l’Eglise et prêtes à assumer publiquement le viol de leur intimité, fondent une association, La Parole libérée, grâce à l’action de laquelle deux instructions judiciaires vont s’ouvrir. Celle de Bernard Preynat lui-même, dont le procès pourrait avoir lieu au cours de cette année, et celle du cardinal Philippe Barbarin et de cinq autres membres du diocèse de Lyon pour non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs, dont le procès s’est tenu début janvier.

C’est dans ce cadre que les producteurs, le distributeur et l’auteur ont été assignés en référé, notamment pour différer la sortie en salle du film, prévue mercredi 20 février. L’audience s’est tenue vendredi, et le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris donnera sa décision lundi. Entre temps, le film a été récompensé, samedi, du grand prix du jury du festival de Berlin.

Comment comprenez-vous les attaques dont votre film, avant même sa sortie, a fait l’objet ?

Je les comprends pour ce qu’elles sont, c’est une stratégie de la défense des parties mises en cause qui justifie de son action en faisant valoir que le film, s’il sortait aujourd’hui, porterait atteinte à leur présomption d’innocence. Il faut d’abord rappeler que notre tournage s’est déroulé en mars 2018, et qu’à ce moment, nous pensions que les procès auraient lieu plus rapidement, que le verdict tomberait en janvier 2019, et que nous sortirions le film dans la foulée. Cela ne s’est pas passé ainsi.

Mais cela n’enlève rien au fait que le film s’est construit sur des documents qui existent, depuis le dossier monté par les victimes jusqu’aux aveux du père Preynat, qui a déjà reconnu sa responsabilité. Il n’y a aucun scoop dans ce film. Il n’invente ni ne dit rien qui n’ait déjà été porté à la connaissance du public par la presse, les livres ou les documentaires consacrés déjà à cette affaire. Je pense que la raison de l’attaque marque aussi la puissance du cinéma.

Revenons à l’origine du projet : comment vous est venue l’idée de ce film ?

Je voulais au départ consacrer un sujet à la fragilité masculine. Ma rencontre très émouvante avec Alexandre Dussot-Hezez, cofondateur de l’association La Parole libérée, m’a orienté vers l’affaire. J’ai rencontré ensuite d’autres victimes, tous me connaissaient comme réalisateur de fiction et tous avaient à l’esprit Spotlight, le film de Tom McCarthy, en me parlant. J’ai compris, alors que j’étais en un premier temps tenté par le documentaire, qu’ils attendaient de moi quelque chose de plus intime, qui tenterait de montrer leur blessure intérieure. Je n’ai pas voulu les décevoir. Cela impliquait pour moi de faire quelque chose que je n’avais jamais fait : me confronter à l’actualité, et tenter, du coup, de faire un film comme les Américains, généralement mieux que nous, savent le faire.

Le film est construit sur le seul point de vue des victimes. Avez-vous néanmoins été tenté de procéder autrement ?

Jamais. Je reste strictement « fassbindérien » à cet égard.

Il reste que la production d’un tel film marche nécessairement sur des œufs. Sa production en a-t-elle été affectée ?

Je vous mentirais en disant que non. Il y a encore beaucoup de frilosité sur le sujet. Nous avons perdu au passage quelques partenaires financiers, au premier chef Canal+ qui était pourtant un partenaire historique de mes films. Mais mes producteurs, Eric et Nicolas Altmayer, auxquels j’avais apporté un dossier de deux cents pages, m’ont suivi comme un seul homme. J’ai bien conscience, toutefois, que les 6 millions d’euros nécessaires à la réalisation de ce film n’ont été réunis que parce que j’ai la chance d’être un réalisateur connu.

Eu égard au sujet, on imagine que des avocats ont été sollicités. Comment ont-ils réagi à la lecture du scénario, quelles directives ont-ils données ?

Dans leur optique, le fait déterminant était le fait que l’affaire avait été rendue publique avant le film. Les accusations comme les aveux lui préexistaient. D’autres œuvres tirées de cette même affaire n’avaient d’ailleurs jamais été attaquées.

Vous nommez dans le film les protagonistes du diocèse de Lyon par leurs vrais noms, mais pas les victimes. Régine Maire, une psychologue bénévole qui travaillait avec le cardinal Barbarin, vous a également assigné en référé pour cette raison. Pourquoi ce choix ?

Ne pas nommer les victimes est une mesure destinée à les protéger, eux et leurs familles. Une mesure au demeurant symbolique puisqu’ils ont justement eu le courage de s’exposer en menant cette action en justice. Les autres protagonistes de l’affaire sont déjà en pleine lumière, il aurait été grotesque de leur inventer un pseudonyme.

Le tournage s’est-il déroulé à Lyon ?

Partiellement, nous n’y avons passé que quatre jours, nous avons tourné sous un nom de code, « Alexandre », et donné un synopsis très évasif quand il le fallait. Nous n’avons pas communiqué sur ce film, délibérément. Et nous avons tourné les scènes d’intérieur en Belgique et au Luxembourg.

Avez-vous montré le film à l’institution ecclésiale ?

Oui, nous l’avons montré à la Conférence des évêques et nous avons eu des réactions très positives. Je crois que l’Eglise, y compris au plus haut niveau, est en train de prendre conscience du problème.

16 février 2019

« Grâce à Dieu » : la présomption d’innocence au cœur du débat sur le report du film de François Ozon

pedophilie eglise

Par Pascale Robert-Diard

Le film, qui traite de la pédophilie dans l’Eglise et du silence de l’institution catholique, doit sortir en salle mercredi. Une demande de report était examinée vendredi.

Ce n’est pas à l’appréciation des critiques de cinéma mais à la décision d’un juge que le film de François Ozon, Grâce à Dieu, a été soumis, vendredi 15 février. Agissant au nom de Bernard Preynat, le prêtre accusé d’agressions sexuelles par plusieurs anciens scouts de la troupe de Sainte-Foy-lès-Lyon (Rhône), entre la fin des années 1970 et le début des années 1990, Me Emmanuel Mercinier a sollicité, selon la procédure d’urgence du référé, le report de la sortie en salles de ce film, prévue mercredi 20 février.

Présenté comme une « fiction basée sur des faits réels », Grâce à Dieu retrace l’histoire de ces jeunes gens, depuis les confidences livrées à la hiérarchie de l’église catholique, dont le cardinal Philippe Barbarin, à leur décision de porter l’affaire en justice à la fois contre l’ancien aumônier scout et contre le silence de l’Eglise.

Le film met surtout en valeur le rôle joué par l’association La Parole libérée. Si les patronymes des anciens scouts ont été modifiés, le cardinal Barbarin et Bernard Preynat sont nommés sous leur véritable identité. Or, ce dernier n’a pas encore été jugé pour les faits qui lui sont reprochés et qui sont présentés comme avérés dans le film, ce qui, selon sa défense, constitue une atteinte au principe de la présomption d’innocence.

Conscients des risques juridiques encourus, le producteur et le distributeur avaient pris quelques précautions : la mention « fiction inspirée de faits réels » figure en ouverture du film et un « carton » rappelle en générique que le cardinal Barbarin – dont le jugement pour « non-dénonciation d’atteintes sexuelles » sera rendu le 7 mars par le tribunal correctionnel de Lyon – et Bernard Preynat sont présumés innocents.

« Ce film sera mort »

A l’audience, leurs avocats ont fait valoir plusieurs arguments, parmi lesquels le débat d’intérêt général que représente le sujet du silence de l’Eglise sur la pédophilie, sa très forte médiatisation depuis que l’affaire lyonnaise a éclaté, et les aveux directs ou indirects passés par Bernard Preynat lui-même. « Voilà quelqu’un qui se reconnaît coupable et demande le respect de sa présomption d’innocence ! », s’est étonné Me Paul-Albert Iweins.

La défense du producteur et du distributeur a insisté sur les enjeux financiers que représenterait un report du film, dont les copies ont été livrées dans 307 salles et pour lequel une vaste campagne de promotion a été engagée. « Si vous faites droit à cette demande, ce film sera mort. Il serait ainsi la dernière victime de Bernard Preynat », a observé Me Iweins.

« Si j’aime le cinéma, j’aime encore plus la justice », a répliqué Me Emmanuel Mercinier à l’appui de sa demande de report de la diffusion du film. « La liberté d’expression n’est pas absolue. Elle est insérée dans des limites, dont le droit à la présomption d’innocence », a-t-il poursuivi, en rappelant que Bernard Preynat est pour l’heure mis en examen pour atteintes sexuelles et témoin assisté pour d’autres faits. « On nous dit que c’est une fiction ? Le nom de Bernard Preynat est prononcé plus de cent fois ! Après deux heures de film, a-t-on la conviction que Bernard Preynat est coupable ? Oui. A-t-il déjà été jugé coupable ? Non. Et il ne le sera sans doute pas pour la totalité des faits qui lui sont reprochés. Dès lors, l’atteinte à la présomption d’innocence est caractérisée », a déclaré Me Mercinier.

« Je vous demande de faire preuve de courage »

En réponse à l’argument selon lequel l’histoire des anciens scouts lyonnais a déjà fait l’objet de reportages, de livres et d’articles de presse et d’un débat public à l’occasion du procès de Philippe Barbarin et d’autres responsables de l’Eglise devant le tribunal correctionnel de Lyon en janvier, Me Mercinier a souligné qu’en droit, l’atteinte à la présomption d’innocence résultant d’un film est « distincte et beaucoup plus grave ». Elle ne saurait être compensée par les mentions écrites qui figurent au début et à la fin du film, a-t-il ajouté.

Alors que Grâce à Dieu est actuellement présenté en compétition au festival de Berlin, Me Mercinier a souligné : « On nous met devant le fait accompli. On exerce une forme de pression en évoquant une presse extatique et en nous disant que c’est trop tard et trop cher. Mais peu importe ce que diront les festivals, ce qui compte, c’est le droit. Nous voulons que ce film sorte après que Bernard Preynat a été jugé. Je vous demande de faire preuve de courage en prenant une décision qui va déplaire », a-t-il conclu.

Le jugement sera rendu lundi 18 février.

Le même jour, le tribunal de Lyon sera saisi en référé d’une autre procédure intentée par Régine Maire, ex-bénévole laïque du diocèse de Lyon, qui est elle aussi incarnée dans le film et qui avait demandé en vain au réalisateur de ne pas être désignée sous son vrai patronyme.

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L’« ambassadeur » du pape en France, Luigi Ventura, visé par une enquête pour « agressions sexuelles » Des « mains aux fesses assez poussées » : l’ambassadeur du pape en France, Mgr Luigi Ventura, est l’objet d’une enquête à Paris pour des « agressions sexuelles » qui auraient été commises en janvier lors d’une cérémonie des vœux à l’Hôtel de Ville. La révélation de cette affaire intervient alors que l’Eglise catholique est touchée dans de nombreux pays par de multiples scandales d’abus sexuels entachant sa crédibilité. L’enquête a été ouverte le 24 janvier par le parquet de Paris, a appris Le Monde. La mairie de Paris avait signalé au parquet, en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale, qu’un jeune cadre municipal s’était plaint d’attouchements répétés du nonce apostolique, un prélat italien de 74 ans, lors d’une cérémonie le 17 janvier, selon des sources concordantes.

10 janvier 2019

FEMEN - affaire Barbarin - pédophilie

10 janvier 2019

Au procès Barbarin, le parquet sonne l’heure du droit

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Par Pascale Robert-Diard

Jugé pour « non-dénonciation d’agressions sexuelles de mineurs », le cardinal a toujours nié les faits qui lui sont reprochés. Le parquet, mercredi, n’a requis aucune condamnation.

Elle est aride, elle est évidemment essentielle. L’heure du droit est arrivée, mercredi 9 janvier, au procès de l’affaire Barbarin devant le tribunal correctionnel.

Dans cette procédure particulière de la citation directe, les débats se jouent à l’audience entre d’un côté, les neuf parties civiles et, de l’autre, les six prévenus poursuivis pour « non-dénonciation d’agressions sexuelles de mineurs de quinze ans » et, pour certains d’entre eux, « omission de porter secours à personne en péril ».

Le parquet, qui n’est pas à l’origine de ces poursuites, se tient à l’écart. Cette position a été confirmée par la procureure, Charlotte Tabut, qui a rappelé que le procureur de Lyon, Marc Cimamonti, saisi d’une première enquête, l’avait classée sans suite en août 2015. « Je ne requiers donc de condamnation contre quiconque aujourd’hui », a-t-elle annoncé.

En prenant la parole, mercredi, la procureure savait cependant, face aux attentes soulevées par ce procès et l’enjeu des questions qu’il pose, qu’il lui serait nécessaire d’expliquer et la position initiale du parquet et son abstention à l’audience.

Prescription

Le ministère public, a-t-elle souligné, « partage une grande partie de l’analyse des parties civiles sur le plan sociétal et même sur l’appréciation des charges portées contre les prévenus. Celles-ci sont nombreuses. » « Mais, a-t-elle ajouté, son rôle est de veiller à l’interprétation stricte de l’infraction pénale. » Sur celles reprochées aux prévenus, il n’a pas eu la même analyse juridique que les parties civiles, tant sur les infractions qui pouvaient être poursuivies que sur les éléments susceptibles de les constituer.

La première, « l’omission de porter secours à personne en péril », qui ne vise que certains prévenus, dont le cardinal Philippe Barbarin, a été écartée au motif que ce « péril » doit être à la fois « imminent et constant ». Or, a-t-elle rappelé, les faits d’agressions sexuelles reprochés au père Bernard Preynat se sont interrompus en 1991 et aucun nouvel élément n’a été établi depuis, ni par l’information judiciaire qui le vise, ni par cette audience.

La seconde, et la plus discutée en droit, est celle du délit de non-dénonciation, qui figure dans la section des « entraves à la justice ». Le parquet considère que la « connaissance » avant 2014 des faits délictueux commis par le père Preynat ne peut pas être reprochée aux prévenus car elle tombe sous le coup de la prescription, qui était alors de trois ans – la modification du code pénal, qui est intervenue en août 2018 et qui la porte à six ans, ne s’applique pas à ce dossier.

« Cardinal Barbarin, vous êtes un menteur »

Restent les faits révélés à l’automne 2014 par Alexandre Hezez à Philippe Barbarin. Là encore, l’interprétation du parquet est stricte. L’obligation de dénonciation d’agressions sexuelles, affirme-t-il, ne concerne que des faits non prescrits. Le parquet considère en effet que l’on ne saurait reprocher à un prévenu une entrave à la justice quand celle-ci n’est plus en mesure d’agir. Exit, donc, le cas d’Alexandre Hezez. Mais sa plainte et la création, dans la foulée, de l’association La Parole libérée, ont permis de mettre à jour des faits d’agressions non encore prescrits. Ceux-là peuvent donc être retenus contre le cardinal Barbarin.

Encore faut-il, pour que le délit soit constitué, qu’il soit « intentionnel », c’est-à-dire rapporter la preuve que Philippe Barbarin, en s’abstenant de dénoncer les faits portés à sa connaissance, avait la volonté de faire entrave à la justice. A cette question, le parquet apporte une réponse négative.

La contestation de l’interprétation du parquet – et de la défense, qui s’exprimera jeudi 10 janvier – a été portée par Me Jean Boudot, l’un des avocats des parties civiles, tant sur les délais de prescription de l’infraction de non-dénonciation que sur l’intention d’entrave à la justice. « La raison d’être d’une infraction pénale est toujours double, a-t-il observé. Protéger les victimes directes bien sûr. Mais aussi et d’abord, protéger la société. » Le délit de non-dénonciation, soutient-il, est destiné à « protéger l’Etat, l’autorité de l’Etat, en permettant à la justice d’être saisie ». C’est donc, selon lui, une infraction « continue » et non pas « instantanée », qui s’impose à toute personne, dès lors qu’elle a connaissance de faits d’agression sexuelle sur mineurs encore susceptibles d’être poursuivis par la justice. Elle ne peut en conséquence pas tomber sous le coup d’une prescription de trois ans.

Ce premier obstacle juridique est d’autant plus nécessaire à passer pour les parties civiles que celles-ci sont convaincues que Philippe Barbarin a eu, dès 2010, la connaissance des faits reprochés au père Bernard Preynat. « Cardinal Barbarin, vous êtes un menteur quand vous dites que vous avez appris et compris en 2014 ! », lui a lancé Me Boudot.

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Silence de l’Eglise

Les plaignants sont tout aussi persuadés que, contrairement à ce que soutient la défense de Mgr Barbarin, celui-ci a bien eu l’intention d’entraver la justice à partir de 2014, lorsqu’il a reçu les confidences d’Alexandre Hezez. Dénonçant « l’invraisemblable audace » du cardinal quand il affirme avoir tout fait pour l’inciter à porter plainte, Me Boudot a rappelé la consigne reçue de Rome : régler cette affaire « en évitant le scandale public ». « Votre démarche était sincère en ouvrant un espace de parole [aux victimes], a relevé l’avocat. Mais votre espoir était avant tout qu’ils n’aillent pas plus loin. »

En prenant l’initiative de cette citation directe, les parties civiles savaient que cette procédure était juridiquement risquée. Mais leur ambition était double : d’abord contester l’interprétation du parquet en droit ; ensuite, et surtout, porter le débat sur le silence de l’Eglise face à ses prêtres pédophiles dans l’enceinte publique et solennelle d’un palais de justice. Le second objectif est d’ores et déjà atteint.

Quelle que soit son issue judiciaire pour les prévenus, ce procès restera dans l’histoire comme le premier face-à-face entre des victimes d’un prêtre pédophile et l’Eglise en tant qu’« institution » symboliquement incarnée par la présence de l’un de ses plus hauts représentants sur le banc de prévenus.

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21 décembre 2018

La Belge Marisa Papen fait à nouveau scandale: elle pose nue devant le Vatican et est interpellée par la police !

« L’ironie d’avoir été arrêtée au Vatican alors que des prêtres molestant des enfants, c’est OK », écrit Marisa Papen, 26 ans, sur sa page Facebook. La Belge a été interpellée juste après s’être fait photographier nue, assise sur des bibles, juste devant la basilique Saint-Pierre. Elle remettait son pantalon lorsque des policiers sont arrivés. Elle a été embarquée avec son photographe australien Jess Walker. Au terme d’une interpellation de 10h, le mannequin belge, qui a fait la couverture de Playboy, et son photographe, ont été relâchés.

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25 août 2018

Violences sexuelles : le pape François condamne, les victimes demandent des actes

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Par Cécile Chambraud - Le Monde

« Nous reconnaissons que nous n’avons pas su être là où nous le devions, que nous n’avons pas agi en temps voulu », écrit le pontife dans une lettre rendue publique lundi.

Dans la lutte contre la pédophilie et les violences sexuelles, l’Eglise catholique en tant qu’institution a été incapable de protéger les plus faibles, de punir les agresseurs et de faire en sorte qu’ils ne continuent pas à nuire.

Tel est le mea culpa sans fard formulé par son chef, le pape François, dans une lettre rendue publique par le Vatican lundi 20 août. « En tant que communauté ecclésiale, écrit le pontife, nous reconnaissons que nous n’avons pas su être là où nous le devions, que nous n’avons pas agi en temps voulu en reconnaissant l’ampleur et la gravité du dommage qui était infligé à tant de vies. Nous avons négligé et abandonné les petits. »

Cette lettre a été publiée – en sept langues – six jours après le rapport de la justice américaine sur soixante ans d’agressions et de viols commis dans six diocèses de Pennsylvanie par 300 prêtres sur au moins 1 000 enfants et adolescents. Elle est diffusée cinq jours avant la visite, samedi 25 et dimanche 26 août, du chef de l’Eglise catholique en Irlande, pays où, dans la première décennie du siècle, des clercs et des institutions catholiques ont été convaincus d’un nombre atterrant de violences, y compris sexuelles, sur des mineurs et des femmes.

Joints à d’autres affaires qui éclaboussent des hiérarques de différents pays, ces deux événements accentuaient encore, si c’était possible, la pression sur le pape pour qu’il agisse.

Une lettre « au peuple de Dieu »

Depuis les scandales des années 1990 et 2000, certaines Eglises européennes et américaines (c’est loin d’être le cas dans le monde entier) ont amélioré leur prise en compte des plaintes de victimes et appris à en saisir la justice civile. Mais les associations impliquées dans la lutte contre les violences sexuelles exigent que les évêques qui ont, par le passé, pu couvrir des prêtres agresseurs – en les mutant, en les laissant au contact de publics vulnérables, en trouvant des arrangements financiers secrets avec les victimes – répondent aujourd’hui de leurs actes.

C’est ainsi qu’aux Etats-Unis, l’archevêque de Washington, le cardinal Donald Wuerl, est sommé de s’expliquer depuis qu’il a été cité dans le rapport sur les diocèses de Pennsylvanie comme l’un des évêques – il était en poste à Pittsburgh de 1988 à 2006 – qui aurait protégé un prêtre abusif. Ces associations demandent aussi que des réformes concrètes rendent à l’avenir ce système de protection et de camouflage impossible. Or, sur ce volet, les velléités de réforme semblent encalminées au Vatican.

L’un des aspects novateurs de la lettre du pape François est qu’elle réunit dans la même condamnation « tous ceux qui commettent ou dissimulent ces délits », l’agresseur comme l’évêque qui ferme les yeux ou l’aide à échapper à la justice. L’autre est que le pontife a utilisé, pour ce texte, la forme peu usitée et solennelle d’une lettre « au peuple de Dieu », c’est-à-dire à la communauté des catholiques dans sa dimension théologique solennisée par le concile Vatican II (1962-1965). Elle s’adresse donc à tous les croyants et non pas seulement aux ecclésiastiques.

A travers cette missive, le pape leur demande leur aide. Sans elle, affirme-t-il en substance, il sera impossible de « transformer » suffisamment l’institution catholique pour abolir les abus qui s’abritent dans le cléricalisme, « une manière déviante de concevoir l’autorité dans l’Eglise » : « Tout ce qui se fait pour éradiquer la culture de l’abus dans nos communautés sans la participation active de tous les membres de l’Eglise, écrit-il, ne réussira pas à créer les dynamiques nécessaires pour obtenir une saine et effective transformation. »

Force du vocabulaire utilisé

C’est la seconde fois que le pape argentin s’adresse au « peuple de Dieu ». La première fois, c’était en mai, pour s’adresser aux catholiques du Chili, où de nombreux évêques sont accusés d’avoir dissimulé des violences commises par des clercs et dont tous les prélats ont, collectivement, présenté leur démission au pape en mai.

En 2010, alors que les rapports des autorités irlandaises étalaient au grand jour les brutalités commises sous le couvert de l’Eglise catholique, le prédécesseur de François, Benoît XVI, avait écrit une lettre « aux catholiques d’Irlande ». Dans un registre bien plus retenu, il y évoquait « les actes scandaleux et criminels » de certains clercs et « la réponse souvent inadéquate qui leur a été réservée de la part des autorités ecclésiastiques dans [leur] pays ». Mais c’est la première fois qu’un pape écrit directement à tous les catholiques du monde à propos de la pédophilie et des violences sexuelles.

La troisième caractéristique de cette lettre est la force du vocabulaire utilisé, destiné à montrer que le Saint-Siège a pleinement pris la mesure des dommages causés aux victimes. François parle d’« atrocités », de « culture de la mort », de « blessures qui ne connaissent jamais de prescription » et de « culture de l’abus ». « L’ampleur et la gravité des faits exigent que nous réagissions de manière globale et communautaire », exhorte le pape.

Mais la force des mots n’est, pour l’heure, pas accompagnée de décision, si ce n’est celle d’appeler les catholiques à jeûner et à prier pour « réveiller » les consciences « en faveur d’une culture de la protection et du “jamais plus” à tout type et forme d’abus ».

Obstacles au sein de la curie vaticane

Les associations de victimes ont été promptes à le relever. L’Irlandaise Marie Collins, agressée par un prêtre à l’âge de 13 ans, a tweeté, lundi : « Le pape et le Vatican devraient arrêter de nous dire à quel point les abus sont terribles et que tout le monde doit rendre des comptes. Dites-nous plutôt ce que vous faites pour leur demander des comptes. C’est ce que voulons entendre. “On y travaille” n’est pas une réponse acceptable après des décennies de retard. »

Marie Collins était l’une des deux victimes de violences sexuelles qui, à l’origine, étaient membres de la commission pontificale de prévention de la pédophilie créée à Rome par le pape François. Après l’autre victime, elle en a démissionné, il y a un an, pour protester contre les obstacles élevés, selon elle, au sein de la curie vaticane, pour empêcher les réformes d’aboutir. L’une de ces réformes, pourtant endossée par François au début de son pontificat, visait à créer un tribunal spécial pour juger les évêques qui auraient couvert des prêtres pédophiles. Selon Marie Collins, l’administration vaticane s’y serait opposée au motif que des procédures ad hoc existaient déjà. Si tel est le cas, elles n’ont semble-t-il encore jugé personne.

Une réaction similaire est venue d’une autre voix irlandaise. « Le pape aurait du reconnaître honnêtement que le Vatican a couvert l’action de prêtres pour protéger l’institution », a tweeté Colm O’Gorman, ancienne victime aujourd’hui directeur d’Amnesty International Irlande. « Cette culture était supervisée par le Vatican et codifiée dans ses lois », a encore écrit Colm O’Gorman, qui organisera, dimanche, un rassemblement de victimes de prêtres pédophiles à l’heure où le pape François célébrera la messe à Dublin.

Profonde crise

Le programme des Rencontres mondiales des familles, organisées tous les trois ans par le Vatican, qui ont lieu cette année à Dublin et que le pape viendra clore dimanche, a d’ores et déjà été perturbées par les répercussions des affaires de violences sexuelles.

Le cardinal Donald Wuerl, archevêque de Washington, a fait savoir qu’il renonçait à prononcer le discours qu’il avait prévu de faire lors de ces journées. La semaine passée, c’est le cardinal Sean O’Malley, archevêque de Boston et l’une des principales figures de l’Eglise catholique dans la lutte contre les violences sexuelles, qui avait déclaré forfait. Il a annoncé être retenu dans son diocèse pour une enquête interne, pour abus, au sein de son séminaire.

En Irlande, pays où tant de violences ont été commises à l’abri de l’institution catholique, le pape ne pourra éluder cette profonde crise. Mais les victimes et de nombreux catholiques ont déjà annoncé qu’ils ne se contentent pas de mots, aussi éloquents soient-ils. Ils attendent de lui des actes. Quelque trente ans après les premiers grands scandales publics, l’Eglise est loin d’en avoir fini avec les affaires de pédophilie et de violences sexuelles.

23 août 2018

Le « saint » prédateur de Santiago

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Par Cécile Chambraud, Santiago (Chili), envoyée spéciale - Le Monde

Les abus sexuels dans l’Eglise chilienne. Dans une enquête en deux volets, « Le Monde » revient sur l’affaire qui a déstabilisé le pape François ces derniers mois. Aujourd’hui, le long parcours des victimes du prêtre Fernando Karadima.

A Santiago du Chili, un campanile de couleur rouge domine le quartier résidentiel d’El Bosque. Au milieu des immeubles et de la verdure, l’église du Sacré-Cœur de Jésus, dont il signale l’emplacement, transporte le visiteur dans un tableau de Giorgio De Chirico : mêmes arches élancées et nues du porche et du cloître attenant, mêmes façades lisses et dépourvues d’ornements, même sentiment de temps suspendu.

Edifié dans les années 1940 sur un terrain donné par une fidèle fortunée, cet ensemble de bâtiments répondait alors à l’ambition d’un curé désireux de former des prêtres tournés vers une spiritualité contemplative. Au Chili, la paroisse est aujourd’hui célèbre pour avoir été, jusqu’en 2010, le royaume sans partage de Fernando Karadima, un prêtre perçu comme un « saint » par ses paroissiens mais coupable d’avoir fait subir à de nombreux jeunes gens des années d’assujettissement et, pour certains, d’abus sexuels.

Cette histoire, qui court sur plusieurs décennies, a fini par désintégrer l’épiscopat chilien : le 18 mai, les trente-quatre évêques ont présenté leur renonciation au pape, qui n’a depuis accepté que celles de cinq d’entre eux. Elle place aujourd’hui le pape François face à la plus terrible épreuve de son pontificat – à laquelle s’est ajoutée la révélation, le 14 août, de centaines de cas d’abus sexuels commis aux Etats-Unis, en Pennsylvanie.

Pour en remonter le fil, il faut faire un détour par un autre beau quartier de Santiago, La Dehesa. Il y a là une clinique, et dans cette clinique, un chirurgien réputé, James Hamilton. Cet homme chaleureux et cordial, âgé d’une cinquantaine d’années, est l’un des principaux protagonistes de cette affaire. Voilà treize ans qu’il a commencé à sortir du silence et à témoigner de ce qu’il a vécu dans le huis clos d’El Bosque. De sa voix, comme de son intense regard bleu, sourd encore la révolte.

Une réputation de meneur de jeunes

En 1983, alors que le Chili est sous la coupe du général Augusto Pinochet, James Hamilton n’a que 17 ans quand il vient pour la première fois à la paroisse d’El Bosque. Ce fils de bonne famille traverse avec grande difficulté les années d’adolescence, tourmenté qu’il est par une histoire familiale traumatisante. Six ans plus tôt, son père, récemment séparé de sa mère, a tué l’amant de celle-ci sous ses yeux.

Ayant rompu toute relation avec son père après ce meurtre largement évoqué dans la presse, James traîne un besoin désespéré de se sentir « digne d’être aimé ». Tout à sa quête de reconnaissance et d’un substitut de famille, il cherche qui pourra l’aider à trouver des réponses aux questions qui le hantent et une perspective à sa vie.

« A l’époque, pour un jeune désireux d’améliorer le monde, se remémore-t-il aujourd’hui dans la pièce où il reçoit ses patients, il était difficile de trouver sa voie. Ou tu devenais un opposant au gouvernement, ce qui t’obligeait à une semi-clandestinité, ou tu essayais de changer la société à travers l’Eglise. » Dans son milieu – la bonne bourgeoisie conservatrice et volontiers pinochétiste –, seule la seconde option est envisageable.

Au sein de sa famille, des cousins plus âgés vantent les vertus du père Fernando Karadima, vicaire (numéro deux de la paroisse) depuis 1958 et bientôt curé d’El Bosque. Parmi les classes aisées et proches du pouvoir, sa réputation de meneur de jeunes et d’éveilleur de vocations sacerdotales n’est plus à faire.

Une figure magnétique

A contre-courant d’une Eglise qui, après le coup d’Etat de Pinochet (11 septembre 1973), a majoritairement pris le parti des opprimés, il est devenu une référence pour la bourgeoisie de Providencia, le quartier de l’élite. Enfin un prêtre qui se consacre d’abord à la spiritualité, sans s’égarer sur le terrain de l’engagement social ! On le dit même en route pour la sainteté. James Hamilton se laisse convaincre. Va donc pour El Bosque, où des camarades l’attirent un beau jour.

Presque instantanément, il est happé par l’ambiance qui règne dans l’église et ses bâtiments annexes. Le père Eugenio de la Fuente, arrivé pour sa part à l’âge de 20 ans, quelques années après James Hamilton, se souvient à quel point cette paroisse pouvait enthousiasmer les nouveaux venus : « J’y ai vu un lieu en ébullition, débordant de jeunes, explique-t-il au Monde. La messe de 20 heures et les retraites étaient pleines, intenses. Une paroisse top rating ! »

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A une époque où « il n’était pas facile d’attirer tant de jeunes », James Hamilton ne peut s’empêcher de voir dans cette église illuminée, chaleureuse et grouillante un signe du Ciel et une famille prête à l’accueillir. Entre les adolescents court, il le ressent, une « contagion de bonnes ondes ». Après la messe du soir, on peut rester prier dans la chapelle. Le contexte est si fervent, si rassurant, que prier lui paraît « facile ».

Au centre de cette multitude, toujours entouré d’une volée de beaux jeunes gens de bonnes familles, souvent blonds et toujours à sa dévotion, Fernando Karadima, « el Santo » (le Saint) comme on le surnomme ici, est une figure magnétique.

Concept de sainteté et obéissance absolue

Si son physique est anodin, ce quinquagénaire sait captiver son auditoire adolescent par son art oratoire. Il met dans ses prêches tant d’intensité et d’éloquence qu’il les convainc qu’à travers lui, c’est Dieu qui s’adresse à eux. Ses prédications sont simples et tournent le plus souvent autour du concept de sainteté.

Pour se sanctifier, leur répète-t-il, il faut d’abord et avant tout une obéissance absolue envers son directeur de conscience, en l’occurrence lui-même. C’est d’ailleurs, leur assure-t-il, ce que le Très-Haut avait dit à sainte Thérèse d’Avila dans l’une de ses expériences mystiques. « La sainteté, c’était son outil fondamental pour entraîner à la soumission et à l’esclavage », analyse aujourd’hui James Hamilton.

Le prestige du père Fernando Karadima doit aussi beaucoup à la filiation religieuse dont il se réclame constamment. Dans sa jeunesse, assure-t-il, il a été l’intime d’une icône du catholicisme social chilien, le jésuite Alberto Hurtado (1901-1952), héros national engagé auprès des pauvres et canonisé en 2005 par Benoît XVI. Il affirme même avoir été la dernière personne à l’avoir vu sur son lit de mort. Le jésuite aurait reconnu chez lui le don de discerner si un homme a, ou non, une vocation sacerdotale.

Après la chute de Karadima, on apprendra que cette proximité avec Alberto Hurtado relevait de la fable. Mais pour les jeunes gens d’El Bosque, dans les années 1980, c’est un indice de plus de son élection divine. Un peu de la sainteté d’Alberto Hurtado pourrait-elle les atteindre par capillarité à travers celle de « padre Fernando » ?

« Il ne serait pas surprenant que tu finisses en enfer »

Pour un nouveau venu désireux d’approfondir sa foi, accéder à son premier cercle de disciples s’apparente au Graal. Encore faut-il être choisi par lui. Aussi, lorsqu’il propose à James Hamilton, à peine arrivé, de devenir son secrétaire, celui-ci est subjugué. Il a été distingué au milieu des centaines de jeunes qui viennent aux messes et parmi la quarantaine qui, plus assidus encore, participent le mercredi aux réunions de l’Action catholique, un mouvement destiné à recruter et à former de nouveaux jeunes.

« Il cherchait ses disciples parmi ceux qui étaient à la fois de bonne famille, dotés d’un physique agréable, intelligents, sensibles à l’idée d’avoir peut-être une vocation. Et vulnérables », résume aujourd’hui le chirurgien.

Le prêtre propose à « Jimmy », comme tout le monde l’appelle ici, d’être son père de remplacement. Tout en assurant percevoir en lui une possible vocation, il lui demande de s’impliquer davantage dans le quotidien de la paroisse.

« Et si tu caches des choses, si tu dis non à la vocation, donc non au Seigneur, il ne serait pas surprenant que tu finisses en enfer », répète-t-il. Pour appuyer son propos, Karadima ressasse sa parabole évangélique préférée, celle du jeune homme riche qui demande à Jésus comment atteindre la vie éternelle et auquel le Christ répond : « Va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres. Puis suis-moi. » Trouvant sans doute l’épreuve trop difficile, le jeune homme riche passe son chemin. Karadima ajoute alors, en conclusion de sa démonstration : « Où croyez-vous qu’il se trouve ? Croyez-vous vraiment qu’il soit au Ciel ? » « Après, on était brisés. Nous étions prêts à tout pour éviter cela », raconte James Hamilton.

Baiser sur la joue qui dérape sur la bouche

Tout à la joie d’avoir été coopté dans l’entourage du saint homme – un groupe d’une dizaine de prêtres, de séminaristes et de laïcs, souvent arrivés dès l’enfance dans la paroisse –, il se plie aux règles communes : avoir le père Fernando pour unique directeur de conscience, se confesser très souvent à lui, sans rien cacher des moindres aspects de sa vie.

On attend aussi de sa part un investissement total. En plus de ses études, il doit venir quatre ou cinq fois par semaine à El Bosque, y rester de longues heures, jusqu’à tard le soir, quitte à dormir très peu. « J’étais dans un état d’épuisement permanent », se souvient-il. « Jimmy » apprend ainsi que certains des plus proches sont logés sur place, dans l’une des dépendances, et que l’un des logements est occupé par la mère du curé, qui y demeurera jusqu’à sa mort.

Depuis sa cooptation, le jeune homme observe également des choses étranges. Après une confession, l’abbé a tapoté ses parties génitales en lui demandant de « soigner sa chasteté ». L’ecclésiastique répète fréquemment ce geste, comme d’autres tapotent l’épaule, lorsqu’il croise l’un de ses disciples. Il pratique aussi le baiser sur la joue qui dérape sur la bouche.

Face à ces attitudes, James Hamilton tient le même raisonnement que beaucoup d’autres : il faut être à la hauteur morale de ce prêtre si saint qu’il ne peut penser à mal. « Et le jeune croit que c’est de sa faute : regarde ce que j’ai provoqué chez ce saint homme ! », résume-t-il aujourd’hui.

Mots équivoques, à double sens

Soir après soir, il arrive aussi que le saint homme retienne dans sa chambre, jusqu’à une heure avancée de la nuit, quelques très proches. En général, c’est le moment où il s’amuse à employer des mots équivoques, à double sens, par exemple à appeler l’un ou l’autre d’un terme féminin.

Souvent, l’un d’entre eux s’assied au pied de son lit et pose sa tête sur la poitrine du prêtre, qui la lui caresse, tandis que ses camarades s’absorbent dans la contemplation de l’écran de télévision. Certains l’entendront demander un baiser « avec la langue » à un jeune adulte sortant tard de sa chambre. Parfois, au petit matin, une silhouette s’échappe par la porte située à l’arrière du domaine paroissial…

Un jour, « Jimmy » est convié à passer le week-end avec lui et quelques autres « élus » à Viña del Mar, une ville de la côte Pacifique près de Valparaiso, où un appartement est mis à sa disposition par une famille aisée. Le jeune homme est aux anges. Il voit là l’occasion d’avoir une discussion de fond sur sa vocation.

Le soir venu, il se retrouve à côté de Karadima dans un canapé, face à la télévision allumée. La main du prêtre se pose sur sa cuisse, puis sur son sexe. L’adolescent est tétanisé quand ce dernier commence à le masturber. Devant son effroi, « el Santo » assure qu’il n’y a rien de grave à cela et lui recommande d’aller confesser « une faute contre la pureté », sans plus de précision, à un autre prêtre de la paroisse, qu’il désigne lui-même.

Abus de conscience, abus sexuel

Cet abus sexuel, commis sur le terrain déjà préparé de l’abus de conscience, se reproduira – en s’aggravant – d’innombrables fois. Pendant vingt ans. Y compris après le mariage de James Hamilton, en 1992, avec une jeune femme prénommée Veronica. Leur vie de couple, puis de famille – aujourd’hui séparés, ils ont eu trois enfants –, n’a jamais pu être pour le médecin un moyen de se libérer de l’emprise de l’abbé.

Veronica avait bien sûr été agréée par Karadima. Elle aussi avait eu pour consigne de le prendre pour confesseur. Comme son époux, elle avait obligation de tout lui rapporter de leur intimité, même ce qu’elle taisait à son époux. Chacun des aspects de leur vie, de leurs fréquentations, devait recevoir son aval. Jusqu’à ce qu’un jour de janvier 2004, après des années de cette « torture », James confie enfin à Veronica pourquoi leur mariage n’avait été, depuis le départ, qu’une pantomime orchestrée par « le Saint ».

Un épisode intervenu quelques semaines plus tôt a peut-être déclenché cet aveu. Veronica l’a raconté aux journalistes Juan Andrés Guzman, Gustavo Villarrubia et Monica Gonzalez, auteurs du livre Los Secretos del imperio de Karadima (« Les Secrets de l’empire Karadima », éd. Catalonia, 2011, non traduit).

Un après-midi, tandis qu’elle s’occupe dans la paroisse, leur fils de 8 ans reste introuvable pendant un bon moment. Interrogé après sa réapparition, l’enfant leur dit : « J’étais avec le prêtre, dans sa chambre. » En pleine église, au milieu de paroissiens en prière, son père se met alors à hurler de manière incontrôlée : « N’entre plus jamais là ! »

« Une véritable Gestapo »

Pendant toutes les années qu’a duré cette illusion de mariage, extérieurement, James Hamilton est demeuré dans le noyau le plus actif du Sacré-Cœur de Jésus. Un an après son arrivée, Fernando Karadima, qui l’a surnommé « l’innocence baptismale », lui a confié la présidence de l’Action catholique.

Après leur mariage, James et Veronica habitent dans des appartements voisins que le prêtre met à leur disposition. El Bosque doit être le centre de leur existence, comme lui est au centre de leur esprit. James est lié au curé par ce qu’il appelle désormais un « lien sordide et pervers » : « Il avait besoin de s’assurer un contrôle total pour que nous demeurions absolument loyaux et continuions à obéir sans discuter. » Au besoin, le confesseur s’évertue à semer la zizanie entre ses proies et leur famille pour qu’il ne leur reste vraiment plus que lui.

Les mailles du filet sont tout aussi serrées pour ceux qu’il oriente vers la prêtrise. Soucieux de maintenir son emprise pendant qu’ils se forment, Fernando Karadima a obtenu du séminaire diocésain de demeurer leur seul confesseur. Il a également réussi à placer un homme de confiance au sein de l’équipe des formateurs. Sa mission : veiller à ce que les séminaristes d’El Bosque ne se lient pas aux autres. « Une véritable Gestapo », dira de lui l’un de ces séminaristes, Juan Carlos Cruz. D’ailleurs, ce groupe de jeunes bourgeois, choisis par un prêtre considéré comme un saint dans leur milieu, ne se vivent-ils pas eux-mêmes comme un groupe d’élite à l’intérieur du séminaire et de l’Eglise ?

Pour demeurer au sein du groupe, il faut souscrire sans réserve à la règle de l’obéissance absolue. Faute de quoi, on devient un pestiféré, et Fernando Karadima se charge lui-même d’orchestrer l’isolement total.

Influence croissante au sein de l’Eglise chilienne

Juan Carlos Cruz a payé très cher le fait d’avoir enfreint cette loi. Arrivé à 16 ans dans la paroisse, au début des années 1980, fragilisé par la mort récente de son père, lui aussi a rapidement fait partie du cercle rapproché. Mais un jour de 1987, il est convoqué à El Bosque pour une « correction fraternelle ». Cette pratique en vogue dans le royaume de Karadima s’apparente en fait à un véritable procès stalinien, destiné à entretenir la peur de perdre l’affection du maître.

Assis seul face au « Santo » entouré d’une douzaine de ses camarades, Juan Carlos Cruz doit endurer une pluie d’accusations et d’avertissements. L’un d’entre eux l’anéantit : Fernando Karadima menace de dévoiler ce qui le tourmente et qu’il lui a confié en confession, à savoir son attirance pour les hommes.

Revenu effondré au séminaire, il raconte cette affreuse séance – mais sans parler des abus sexuels – au recteur, qui fera un rapport, resté sans suite. Son homosexualité, ce secret de la confession, est éventée auprès de l’encadrement. Juan Carlos Cruz tombe gravement malade et renonce à la prêtrise deux ans après. Sa route finira par croiser celle d’une autre victime, James Hamilton, vingt ans plus tard.

Le grand nombre de prêtres formés par Karadima – une cinquantaine, au total – le met à l’abri d’une curiosité excessive de la hiérarchie du diocèse, trop heureuse de cette aubaine. Plût au Ciel que toutes les paroisses de Santiago soient aussi fécondes en vocations ! Cette abondance favorise aussi son influence croissante au sein de l’Eglise chilienne.

« Le malpropre, c’est moi. Lui, c’est un saint »

Car après le séminaire, ces jeunes prêtres demeurent strictement sous sa coupe. Ils appartiennent à l’union sacerdotale du Sacré-Cœur de Jésus, dite la Pia Union, fondée par le premier curé de la paroisse. Tous les lundis, ils sont tenus de revenir à El Bosque et de passer la journée avec leur mentor, entre messe et récitation du rosaire. Et, bien sûr, pour se confesser.

Cette fidélité a un prix pour ceux qui l’assument. Arrivé à 20 ans dans la paroisse, entraîné par sa petite amie de l’époque, et tombé peu après « dans les griffes du prédateur », le père Eugenio de la Fuente n’a pas subi d’abus sexuel – « mais un abus de conscience, cette souffrance infinie, oui ». Il raconte aujourd’hui comment, pendant vingt ans, il a enduré la tyrannie du « Santo », ses colères, son autoritarisme.

Comme les autres, il était convaincu qu’El Bosque était pourtant un lieu « privilégié ». « En partir, c’était être incorrect vis-à-vis de Dieu, qui avait été assez bon avec nous pour nous y placer », se souvient-il. Aussi interprète-t-il les humiliations, les cris, les mauvais traitements comme un moyen de sanctification « dans le sacrifice de sa propre volonté » : « On se dit : le malpropre, c’est moi. Lui, c’est un saint. »

Son lien à Karadima apparaît dans toute son ambivalence au moment où, ordonné depuis un an, l’archevêque le renvoie à El Bosque pour y exercer les fonctions de vicaire. « D’un côté, on est heureux d'être choisi pour cette paroisse si vivante. Mais au plus profond du cœur, on ressent une intense angoisse de se dire qu’on va être enfermé, qu’on va devoir demander la permission pour tout. » « Je t’invite à déjeuner avant que la mer Rouge ne se referme sur toi », lui dit un ami prêtre quelques jours avant sa prise de fonctions, en 2001.

« Un grand mensonge pendant vingt ans »

La fidélité de cette phalange de prêtres-maison demeurera intacte jusqu’à ce que, le 26 avril 2010, James Hamilton, Juan Carlos Cruz, José Andrés Murillo et Fernando Batlle témoignent, dans un reportage de la chaîne de télévision nationale TVN, de l’emprise mentale dans laquelle Fernando Karadima les avait enfermés pendant des années pour en faire ses proies et abuser d’eux.

Ce jour-là, devant son écran, le père Eugenio de la Fuente tombe des nues. Quelques jours auparavant, un article de presse avait bien évoqué les accusations des quatre hommes, recueillies lors de la procédure en nullité de mariage engagée par James Hamilton, mais il ne les avait pas crues. Après tout, ayant été vicaire pendant huit ans, n’aurait-il pas été forcément au courant s’il y avait eu des abus sexuels dans sa paroisse ?

Mais ce soir-là, devant sa télévision, il entend ces hommes mettre des mots sur l’angoisse, l’accablement, « l’abus existentiel » qu’il éprouve lui-même depuis tant d’années sans avoir su les formuler. « C’était un moment de rage, témoigne-t-il. On se rend compte que tout cela a été une escroquerie, un grand mensonge pendant vingt ans. Mais c’est aussi un moment de bonheur de comprendre que tout ce monde n’était pas vrai, qu’on a été victime d’une pure misère humaine. Progressivement, on se réveille de tout ce qui s’est passé, on commence à relire ce qu’on a vécu, à tout examiner. Il faut alors reconstruire. »

Il les croit, donc. Et signe quelques semaines plus tard, avec neuf autres prêtres de la Pia Union, une lettre publique de prise de distance avec leur « formateur ». D’autres attendront pour le faire l’année 2011 et la condamnation par Rome de ce même Fernando Karadima à une vie de prière et de pénitence pour s’être rendu coupable « d’abus de mineurs », de « délit contre le sixième commandement [“tu ne commettras pas l’adultère”] commis avec violence » et « d’abus dans l’exercice du ministère » sacerdotal.

« Faire émerger la souffrance liée à ce personnage »

La Congrégation pour la doctrine de la foi, chargée au Vatican de juger les abus sexuels commis par des clercs, a recommandé, dans sa sentence, d’« éviter absolument » tout contact entre le prêtre et ses ex-paroissiens, les membres de la Pia Union et « les personnes qu’il a dirigées spirituellement ». Une poignée, enfin, lui demeurent fidèles aujourd’hui encore, alors qu’il est âgé de 88 ans et vit dans une maison de retraite du diocèse.

Après cela, il a fallu des années aux victimes pour se réapproprier ce passé. Eugenio de la Fuentes se souvient d’une véritable « catharsis » entre les dix signataires de la première lettre, pour « faire émerger toute la souffrance liée à ce personnage ».

« La vérité, ajoute-t-il, est qu’il était un très mauvais guide spirituel. A bien y réfléchir, il ne m’a jamais dit quelque chose d’essentiel pour que je sois prêtre. » « Nous étions des jeunes pleins d’énergie, lumineux, avec l’envie de changer le monde, conclut James Hamilton. Personne ne se laisse embringuer ainsi s’il n’a pas un désir énorme de changer le monde et qu’il n’est pas prêt à donner sa vie. Ce qu’on ne savait pas, c’est qu’on nous la prendrait effectivement pour la détruire. »

16 août 2018

Agressions sexuelles : la pression s’accentue sur le Saint-Siège

Par Cécile Chambraud - Le Monde

Le rapport de la justice américaine sur la Pennsylvanie mettant en cause 300 prêtres s’ajoute à une série d’affaires concernant des hiérarques catholiques pendant l’été.

Quelque trente ans après les premiers grands scandales publics, l’Eglise catholique est loin d’en avoir fini avec les affaires de pédophilie et, plus largement, d’agressions sexuelles.

L’atterrant rapport de la justice américaine sur soixante ans d’agressions et de viols commis dans les diocèses de Pennsylvanie par 300 prêtres sur au moins 1 000 enfants et adolescents, publié mardi 14 août, l’a encore montré.

Les auteurs admettent que « beaucoup de choses ont changé depuis quinze ans » dans cette institution, en particulier parce qu’elle est plus encline à saisir la justice. Mais ils constatent que des exactions continuent d’être commises et doutent manifestement que la protection accordée pendant des décennies à leurs auteurs par leur hiérarchie ait totalement disparu : « Jusqu’à ce que cela change, nous pensons qu’il est trop tôt pour refermer le livre des scandales sexuels de l’Eglise catholique. »

« Culture de l’abus »

Le pape François ne peut être en désaccord avec ce constat, lui qui a récemment évoqué la « culture de l’abus » et de la protection des agresseurs par leur hiérarchie. Depuis sa désastreuse visite au Chili, en janvier, et l’accusation de « calomnie » lancée aux victimes d’un prêtre prédateur, cette question domine totalement son pontificat et la pression grandit pour que des décisions soient prises.

Une bonne partie de son emploi du temps est consacrée à trouver comment sauver du naufrage l’Eglise chilienne, dont tous les évêques lui ont remis leur démission en mai. Il a reçu des victimes de prêtres abuseurs et accepté la démission de cinq prélats. Mais plusieurs hiérarques encore en fonction sont accusés d’avoir couvert les agissements des dizaines de clercs soupçonnés ou convaincus d’agressions.

Les critiques visent en particulier le cardinal Francisco Javier Errazuriz, membre du C9, le conseil de neuf cardinaux dont s’est entouré François, et le cardinal Ricardo Ezzati, archevêque de Santiago. Ce dernier est convoqué le 21 août par le procureur qui enquête sur plusieurs affaires d’agressions sexuelles. Le 4 août, le cardinal a annoncé qu’il renonçait à présider, le 18 septembre, le traditionnel Te Deum pour la patrie, événement auquel participe largement le personnel politique.

S’en tenir à une « vie de prière et de pénitence »

Selon la presse chilienne, le président de la République, Sebastian Pinera, aurait menacé de ne pas s’y rendre en cas de présence du cardinal Ezzati. Pendant ce temps, la justice du pays continue d’enquêter. Mardi, elle a ainsi perquisitionné le siège de la conférence épiscopale. Le 1er août, le procureur national a officiellement demandé à l’Etat du Vatican d’avoir accès aux dossiers canoniques de neuf clercs soupçonnés d’agressions sexuelles.

Le Chili n’est pas le seul cas dont le pape a eu à traiter cet été. Le 30 juillet, François a obtenu la démission d’un archevêque australien, Philip Edward Wilson, condamné le 3 juillet à un an de prison pour avoir couvert des actes de pédophilie, et qui jusqu’à présent avait refusé de démissionner. Les autorités politiques australiennes avaient aussi exercé une pression sur le Saint-Siège pour que des décisions soient prises. « Le temps est venu pour le pape de le limoger », avait déclaré le premier ministre australien, Malcolm Turnbull, le 19 juillet.

Un autre prélat australien, et non des moindres, attend son procès pour des accusations d’agressions sexuelles. Il s’agit du cardinal George Pell, membre lui aussi du C9 du pape et responsable des affaires économiques du Vatican.

Le 28 juillet, le pape François a accepté la démission du collège des cardinaux de Theodore McCarrick, 88 ans, ancien archevêque de Washington, accusé d’abus sur mineurs et sur de jeunes majeurs. Fait sans précédent, avant même que le procès ait lieu, il lui a demandé de s’en tenir à une « vie de prière et de pénitence ».

« Grave faute morale »

La mise en cause de cette éminente figure de l’Eglise américaine n’a pas fini de soulever des questions gênantes dans la mesure où il semble que sa conduite sexuelle n’était pas précisément un secret pour tout le monde. Le président de la conférence épiscopale américaine, le cardinal Daniel DiNardo, a lui-même reconnu que le fait que des plaintes contre Theodore McCarrick aient été tenues secrètes « pendant des décennies » était une « grave faute morale ».

Aux Etats-Unis, les regards se sont déjà tournés vers le plus haut responsable américain au sein de la curie romaine, le cardinal Kevin Farrell, chef du dicastère (ministère) pour la famille et les laïcs. Ordonné par Theodore McCarrick, il a été son vicaire général à Washington jusqu’en 2006. Interrogé par l’agence Associated Press sur ce qu’il savait de la conduite de son mentor, il a affirmé qu’il n’avait jamais eu ne serait-ce qu’un soupçon et n’avait jamais eu connaissance d’aucune plainte.

Le 20 juillet, enfin, sans explications, le pape a accepté la démission d’un évêque auxiliaire de Tegucigalpa (capitale du Honduras), Juan José Pineda, 57 ans. Le prélat était l’adjoint du cardinal Oscar Rodriguez Maradiaga, lui aussi membre du C9 de François. En 2017, le Vatican avait conduit une enquête sur Juan José Pinera à la suite, semble-t-il, d’accusations concernant sa vie sexuelle.

Les 25 et 26 août, François se rendra en Irlande pour une visite à l’occasion des Rencontres mondiales sur la famille. Dans ce pays où tant de violences sexuelles contre des mineurs ont eu lieu, notamment dans le cadre d’institutions dirigées par l’Eglise, la parole du chef de file des catholiques sur ces questions sera attendue

22 mars 2016

Affaires de pédophilie dans l'Eglise Catholique

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