Par Maïa Mazaurett
Et si nos smartphones, télévisions et ordinateurs étaient tout simplement plus addictifs que les autres plaisirs ? La chroniqueuse de La Matinale Maïa Mazaurette souligne que, même si les pratiques se libèrent, le nombre de rapports sexuels décline.
Au pays des moutons noirs et des pattes blanches, Internet est roi ! Nous avons depuis vingt ans accusé les réseaux d’à peu près tous les maux possibles et imaginables : le débordement du travail sur nos vies privées, nos insomnies, nos solitudes, notre malaise devant la vie parfaite des mangeurs de quinoa, le déferlement de peste bubonique (bientôt sur vos écrans)… Qu’on ait raison ou pas, que certains faits soient prouvés ou invalidés, nous étions au moins d’accord sur une chose : Internet était le royaume du sexe. Bon ou mauvais.
Sous son influence, les jeunes avaient accès plus tôt à l’information sexuelle, nous adultes trouvions plus facilement des partenaires sexuels, nous obtenions toujours en deux clics des contenus « motivants » pour nous inspirer les soirs d’ennui, nous pouvions consulter les sites médicaux pour nos petits bobos et grosses débandades, nous avions toujours quelqu’un avec qui partager nos fantasmes les plus secrets… bref, nous avions accès au parfait catalogue sexuel – selon la très fameuse règle 34 d’Internet, qui veut que « si une chose existe, alors Internet en propose une version pornographique ».
Mais si c’était l’inverse ? Car les chiffres s’accumulent en ce moment qui montrent un déclin du nombre de rapports sexuels. Selon l’université de San Diego (citée dans les Archives of Sexual Behavior) et sur les quinze dernières années environ, les couples mariés sont par exemple passés d’une galipette et demie par semaine à seulement un rapport. Une réduction d’un tiers ! Parmi les raisons avancées par les chercheurs à cette déprime sexuelle généralisée, choisissez votre némésis personnelle : l’augmentation du nombre de célibataires (un aspect qui ne concerne pas les couples mariés, évidemment), la prise d’antidépresseurs et… tadam, Internet. Vous me direz : ça se passe aux Etats-Unis, alors qu’ici, nous sommes de chauds lapins – sauce chasseur.
Moins de joints, plus de textos
Auquel cas je vous opposerai un chiffre, tiré du Monde en décembre 2016 et qui concerne nos petits Français : « La proportion d’élèves ayant eu des rapports sexuels en 4e et en 3e reste modérée (respectivement 9 % et 18 %), et régresse par rapport à 2010. » Une tendance générale, puisque en Europe, 29 % des garçons et 23 % des filles de 15 ans avaient eu des rapports en 2010 – nous sommes désormais à 24 et 17 % respectivement.
Pourquoi se préoccuper à ce point des habitudes sexuelles des jeunes ? Parce que si nous réfléchissons à l’impact d’Internet sur nos vies sexuelles, ceux qui ont grandi bercés aux smartphones se trouvent évidemment en première ligne. Il n’est d’ailleurs pas innocent que cette semaine soit tombée du ciel une autre étude, concernant un autre Grand Interdit, mais étrangement similaire : selon le très sérieux New York Times, les jeunes se droguent moins, notamment les 12-17 ans, qui passeraient la bagatelle de six heures et demie par jour devant leur écran.
La cigarette et l’alcool ont décliné de moitié en dix ans sur cette population spécifique. En soirée, les jeunes laissent passer le joint pour envoyer des textos. Encore une fois, inutile d’imaginer que ce soit mieux « chez nous » : en France, les collégiens atomisent les jeunes Américains du haut de leurs… sept heures et quarante-huit minutes d’écrans par jour.
Corrélation n’est pas causalité : des corrélations qu’on aligne pourtant sans cesse. Le viol qui déclinerait à mesure qu’Internet se répand ? Le retour de certaines maladies vénériennes ? Les pratiques qu’on supposait rares et qui s’approchent de la norme – la sodomie, la bifle, l’échangisme, le BDSM (pour « bondage, discipline, sado-masochisme »), les poupées en silicone ? Faute de métadonnées vraiment fiables, on n’en sait rien. Il est tout simplement trop tôt pour que nous puissions tirer des conclusions.
Etalage tue-l’amour
Trop tôt pour donner des réponses, mais pas pour poser des questions. Et si Internet prenait la place d’autres addictions ? Et si nos smartphones, télévisions et ordinateurs étaient tout simplement plus addictifs que les autres plaisirs – une seule prise, et vous voilà à tout jamais condamnés ? Des chercheurs se penchent actuellement sur les circuits de récompense propres à nos « innocents » loisirs numériques : selon les derniers chiffres dont nous disposons, nous consultons nos smartphones en moyenne 221 fois par jour. Bon courage pour arriver à fumer autant de cigarettes…
Et si notre série préférée présentait plus de rebondissements que nos matelas, des personnages plus attachants et complexes que nos conjoints ? Et si les plages horaires consacrées à ces feuilletons entamaient, comme par hasard, le temps normalement dévolu aux rapports sexuels (plutôt en fin de semaine, plutôt de 23 heures à 2 heures du matin) ?
Quid encore de la pornographie – tue-t-elle nos libidos à petit feu, à force de les désincarner ? On sait déjà que les pratiques et formats irréalistes du X (du moins la plupart des productions appartenant à ce genre) ont un impact négatif sur l’image que nous avons de nos corps et de nos performances (sans vouloir insister : notamment quand nous sommes jeunes et sans autres repères). Mais, même d’un point de vue esthétique, on pourrait se demander si cette sexualité tout accessible n’est pas un tue-l’amour plus efficace que la dernière vidéo d’abattage de bovins.
Soyons honnêtes un instant : quand on arrive sur la page d’accueil des tubes de pornographie, l’étalage flanque parfois la pétoche. Les premiers résultats proposent des gros plans pas piqués des hannetons – justement parce que ces images sont spectaculaires ou choquantes, elles « remontent » en première ligne. Et nous exposent à des contenus moins ragoûtants qu’on le voudrait…
Pas d’alarmisme
Au point que certaines explorations semblent nous plonger droit dans le monde du fait divers : l’herpès sous tous les angles, le montage Photoshop ignoble, et puis évidemment la contrainte, les corps marqués, les visages crispés, les pratiques extrêmes. Un peu comme si lorsque nous tapions « roman » sur Google, nous tombions en premier lieu sur les descriptions les plus graphiques de crimes de tueurs en série. Ce dont nous sommes, au passage, responsables : ces contenus sont populaires… et parfois, ce qui nous fascine, c’est justement que ce soit moche.
Mais ne nous arrêtons pas au champ sexuel, ni à celui de la fiction. Et si les informations étaient trop anxiogènes pour laisser place au désir ? Et si nos flux Twitter nous déprimaient ? Et si les e-mails de boulot consultés vite fait avant de se coucher nous trottaient dans la tête ? C’est tout à fait possible.
Cela dit, pas d’alarmisme ! Déjà, parce que poser des questions ne donne aucune réponse – et aucune valable universellement. Ensuite parce que la quantité de rapports sexuels n’est pas connectée à la satisfaction. Et même, rêvons un instant ! Peut-être qu’en cessant de considérer la quantité comme barème absolu, nous nous concentrons mieux sur la qualité. Absolument aucune donnée scientifique ne permet d’étayer mon optimisme, mais je vous prierais de ne pas ruiner ma journée – sinon la semaine prochaine, je vous préviens, je me venge.