Vent de fronde contre la réduction des dessertes TGV des villes moyennes
Par Laurie Moniez, Lille, correspondance, Éric Bézia
La SNCF lance mi-février des rencontres avec les maires de villes concernées par la suppression de dessertes TGV sur des lignes classiques. Dans les Hauts-de-France, des élus s’inquiètent pour leurs territoires.
En pleine crise des « gilets jaunes », la SNCF va-t-elle sacrifier des territoires desservis jusqu’ici par le TGV ? C’est la crainte de nombreux maires, notamment dans le Nord et le Pas-de-Calais qui voient leurs villes de Valenciennes, Lens, Calais, Béthune, Hazebrouck, Boulogne-sur-mer ou Dunkerque s’éloigner un peu plus de Paris.
Comme tous les ans, la SNCF prépare son service annuel (SA 2020), une feuille de route réactualisée en décembre. Dans le futur document, le projet d’évolution des dessertes TGV allongerait par exemple les trajets des Valenciennois ou des Calaisiens souhaitant se rendre dans la capitale, les obligeant à prendre une correspondance à Lille ou Arras.
Usagers et élus sont inquiets. Au point que le Conseil régional des Hauts-de-France a voté lors de sa séance plénière du 31 janvier une motion d’urgence « pour le maintien des dessertes régionales TGV ». « On ne peut pas laisser passer ça. Quand j’ai su que le directeur régional de la SNCF prenait rendez-vous avec les maires un par un, je l’ai interpellé, précise le vice-président transports à la région Hauts-de-France, Franck Dhersin (groupe Les Républicains). Mais la SNCF m’a fait comprendre que ce n’était pas mes oignons ! »
Provocation
De quoi déclencher la colère de l’élu proche de Xavier Bertrand. « Politiquement, comment la SNCF, société 100 % publique, peut-elle se permettre de lancer ce genre de concertation en plein grand débat national et à quelques semaines de l’examen de la loi d’orientation des mobilités [LOM] ? C’est presque de la provocation », s’insurge M. Dhersin.
Depuis quelque temps, la menace plane de voir la SNCF réduire ses dessertes TGV sur ligne classique. En décembre 2018 – pour le SA 2019 –, la fréquence des trajets sans correspondance concernant plusieurs villes moyennes a été fortement abaissée, en particulier dans l’Est de la France. Plusieurs liaisons directes de Paris avec les Savoie (Chambéry, Annecy) ont aussi été supprimées.
COLCANOPA
Mais ce sont surtout les liaisons TGV province-province qui ont été réduites ou ont disparu : Lorraine (Metz, Nancy) vers Nice, Montpellier et Toulouse ; Strasbourg vers Lyon et Marseille par Lons-le-Saunier. Le 29 janvier, élus et usagers des communes situées sur la ligne du TGV franco-suisse Lyria, entre Dijon et Lausanne (Dole, Frasne, Mouchard, Pontarlier), se sont émus de la perte d’une desserte directe avec Paris et Lausanne programmée l’an prochain.
Retour dans les Hauts-de-France où la grogne est la plus palpable. A Douai (Nord) par exemple, la rumeur inquiète le maire socialiste Frédéric Chéreau. Jeudi 7 février, il a organisé une manifestation devant la gare autour d’un slogan : « Défendons nos TGV ! » Depuis de nombreuses années, la SNCF a supprimé plusieurs dessertes TGV à destination de Paris ou de la province comme Rennes ou Nantes. L’idée de voir supprimer une ou plusieurs des sept liaisons quotidiennes TGV avec Paris est aujourd’hui inconcevable pour l’élu local.
« Ils préfèrent moins de trains mais plus remplis »
« Douai, c’est 40 000 habitants mais avec l’agglomération, on est 300 000, souligne M. Chéreau. Il y a un vrai sujet sur les villes moyennes : la tentation c’est de tout concentrer dans les métropoles. » Frédéric Chéreau reconnaît avoir du mal à attirer les cadres dans sa ville. Avec le renforcement de la métropolisation, il craint de les voir partir à Lille.
Douai avait pourtant été identifiée officiellement comme une ville à revivifier. En septembre, à la suite d’une visite du premier ministre Edouard Philippe, la cité nordiste avait été retenue, avec 221 autres communes, pour faire partie du plan national de revitalisation des centres-villes. Ironie du sort, il était prévu de faciliter le stationnement autour de la gare, de mettre en place des services afin de confirmer la place de Douai comme gare TGV.
De leur côté, les usagers du train se sentent « démunis ». « On ne va pas s’asseoir devant les trains, ce serait contre-productif », estime Gilles Laurent, vice-président de la Fédération nationale des usagers des Transports (Fnaut) des Hauts-de-France. Présent à la manifestation douaisienne, il s’interroge sur la politique de la SNCF. « Ils préfèrent moins de trains mais plus remplis. Ils oublient que l’intérêt du TGV, c’est de faire profiter les usagers au-delà des lignes à grande vitesse. »
Les associations, conscientes que certains TGV sont loin de faire le plein, ont d’ores et déjà proposé des solutions : « si ces dessertes terminales sont actuellement peu utilisées on demande depuis des années que les usagers TER puissent les utiliser à la manière d’un “TER-GV”, explique la Fnaut Hauts-de-France. Une idée gagnant-gagnant que la SNCF a toujours refusé de mettre en œuvre. Elle préfère supprimer ses trains ! »
Le gouvernement « très vigilant »
Au plan national, les représentants des usagers fustigent le malthusianisme ferroviaire de la SNCF au nom de la réduction des coûts. « Toutes les expériences de terrain le montrent : ce n’est pas en réduisant l’offre ferroviaire que l’on améliore l’équilibre économique, argumente Bruno Gazeau, le président de la Fnaut. En outre, en faisant de tels choix, la SNCF fragilise son propre gestionnaire d’infrastructure, SNCF Réseau, qui a besoin d’une augmentation des circulations – et donc des recettes de péages – pour garantir son équilibre financier. »
Face à toutes ces inquiétudes, la SNCF reste silencieuse. Elle n’a pas démenti les rumeurs de suppressions de dessertes et confirme « un projet d’évolution pour développer les mobilités TER et grande vitesse ». Au service communication des Hauts-de-France, on précise avoir choisi de « réserver cette présentation aux élus pour expliquer les futures évolutions et le cadre global qui est de développer la mobilité et de mettre des trains là où les clients en ont besoin tout en jouant avec la complémentarité TER et TER-GV ».
Au gouvernement, on se dit « très vigilant » sur le sujet. « Une concertation a déjà été engagée avec la région Hauts-de-France, explique-t-on au ministère des transports. La ministre Elisabeth Borne a reçu cette semaine le président de la SNCF Guillaume Pepy pour évoquer cette question. Plus largement, le gouvernement est très attaché à la qualité du dialogue entre la SNCF et les territoires. La réforme ferroviaire a ainsi prévu de créer, à partir de 2021, des procédures de consultation et d’information obligatoires des territoires avant toute évolution de desserte. »
En attendant, la SNCF rencontrera tous les maires concernés entre la mi-février et la mi-mars. Le maire de Douai prévient : « Je suis prêt à revoir les horaires mais si on me supprime une seule des sept liaisons directes TGV avec Paris, je quitte la table ».