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Jours tranquilles à Paris
22 janvier 2015

Quand l’art contemporain blasphème

Les années 1920 ont connu les polissonneries de Max Ernst – l'artiste est excommunié par le pape pour Sa Vierge corrigeant l'enfant Jésus ; les années 1960 la Messe pour un corps de Michel Journiac qui distribue aux visiteurs de la galerie Templon des hosties fabriquées avec son sang. Les apostats des trente dernières années, eux, s'appellent Bettina Reims, Maurizio Cattelan ou Mounir Fatmi. Des sacrilèges qui touchent principalement (sans forcément la viser) une Eglise catholique iconophile. En ces temps de débat sur le droit au blasphème, retour sur cinq œuvres accusées d'impiété.

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INRI : l'impudique

On est en 1998. Trois ans après avoir tiré le portrait officiel du président Jacques Chirac, la reine de l'érotisme Bettina Rheims publie l’ouvrage INRI, réalisé en collaboration avec le romancier Serge Bramly. Sur la couverture : une femme nue en croix que les clous semblent à peine caresser ; à l’intérieur : des scènes de la vie du christ transposées au XXème siècle –  Noces de Cana façon orgie lounge, annonciations bucoliques, rois mages kitsch, Judas en éphèbe sexy, Vierge baroque allaitante. Sensualité, homo-érotisme, androgynie, nudité de papier glacé débrident, déshabillent l’iconographie chrétienne. Rien de bien méchant, de diablement sacrilège, si ce n’est ce Jésus topless, ce Christ transgenre qui suffit à déclencher la polémique. Deux plaintes sont déposées respectivement par l’AGRIF (une association ultra-catholique proche du Front national) et l’abbé traditionaliste l’abbé Laguérie. Le second obtient partiellement gain de cause, le juge interdisant l’exposition (et non la commercialisation) de l’ouvrage. L’affaire fait beaucoup de bruit. INRI, et par conséquent Bettina Rheims, en retirent une notoriété exceptionnelle. Le blasphème participe à la consécration de son auteur.

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Nona ora : l'absoute

S’inscrivant dans une longue lignée de portrait papal, l’artiste italien signe un Jean-Paul II hyperréaliste percuté par une météorite. Or icône sur rouge cardinal, la Nona ora (1999) sonnerait le glas d'une religion catholique abandonnée par son Dieu? La communication entre le Ciel et son intercesseur terrestre semble avoir été rompue, engendrant cette apocalypse cosmique. L’œuvre tragico-burlesque fait grincer quelques dents épiscopales, sans plus, jusqu’à son exposition dans une galerie à Varsovie en 2001. Là, les dévots s’insurgent ; le scandale éclate. La télé et les partis nationalistes s'en mêlent. La galeriste ferme au public la salle où l'installation est exposée. Une quinzaine d'années et son rachat par le collectionneur François Pinault (à 3 millions de dollars) plus tard, le pape de Cattelan a survécu. Il s'est même racheté une conscience. En 2014, la sculpture en cire est présentée au Musée des beaux-arts de Rennes en complément d'une exposition sur Jean Paul II. Provocation «salutaire» d'après l'Archevêque Monseigneur d'Ornellas qui y va de son interprétation. «Je vois un homme portant le poids des fautes du monde, celui de l'antisémitisme et de la Shoah, de l'esclavage; le poids de sa maladie aussi» confie t-il à l'AFP. Dans l'Evangile, la nona ora correspond à l'heure de la mort du Christ. Tout est pardonné.

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CruciFiction : la marxiste photogénique

Avril 2008. Le Mickey en croix du collectif français Taroop et Glabel fait la Une de la revue d'art Mouvement. Le symbole du divertissement est crucifié le sourire aux lèvres à l'idée du règne (capitaliste) à venir. Le numéro à peine dans les kiosques et des flots d'insultes pleuvent sur la messagerie du magazine. On crie au blasphème. « Face aux musulmans, ou pire, aux juifs, votre créativité semble bien plus asservie ! » éructe l'un des mails. C'est l'entrée en scène (médiatique) du groupuscule catholique intégriste Civitas, ardent promoteur d'une rechristianisation de la France et de la restauration de la «Royauté sociale» de Jésus-Christ. Les mêmes qui tenteront en 2011 d'empêcher les représentations de la pièce Golgotha Picnic de Rodrigo Garcia à Avignon. Les mêmes encore qui lanceront des œufs et des injures à la tête des spectateurs de Sur le concept du visage du fils de Dieu de Romeo Castellucci, programmé au Théâtre de la Ville à Paris. Taroop et Glabel, eux, récidivent. Dans Eucharistie, Taz (le personnage morfal des Looney Tunes) dévore un crucifix ; ailleurs, une Vierge Marie coloriée se prosterne au pied d'un épouvantail. En 2012, le collectif publie Dieu n'aime pas les religions aux éditions Sémiose, chroniques ubuesques inventoriant la mort accidentelle de pèlerins. Une impertinence intacte qu'on retrouve exposée jusqu'au 28 février 2015 à la galerie bordelaise La Mauvaise réputation.

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Piss Christ : l'éternel condamné

«Je n'ai aucune sympathie pour le blasphème» déclare l'artiste new-yorkais Andres Serrano au quotidien Libération. C'est pourtant le chef d'accusation revendiqué par les intégristes catholiques de Civitas quand ils s'en prennent en 2011 à son œuvre Piss Christ, photographie d'un crucifix baignant dans le sang et l'urine. Cette dernière est présentée depuis quelques semaines à la Collection Lambert à Avignon dans le cadre de l'exposition «Je crois aux miracles». Civitas lance une pétition et organise un rassemblement de protestation. De son côté, l'AGRIF (l'Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne) saisit la justice pour obtenir le retrait de l'impie. Le 17 avril, en guise de poing final, un commando vandalise l'oeuvre au pic à glace. Piss Christ avait déjà subi des attaques similaires, en Australie (1997) et en Suède (2007), mais jamais avec une telle hargne. La Collection Lambert porte plainte. Choqué, Andres Serrano déplore la mécompréhension de son travail. Rebelote en 2014 lors d'une exposition de l'artiste au Palais Fesch d’Ajaccio. Le Musée des beaux-arts se voit obligé de fermer ses portes 24 heures pour calmer les esprits échauffés par Piss Christ Fora (Dehors le Piss Christ en corse), un blog créé peu de temps auparavant pour «l'honneur de Jésus». Face à la violence, la prudence s'impose. L'auto-censure peut incuber tranquillement.

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Technologia et Sleep : les muselées

A deux reprises, le travail de l'artiste français d'origine marocaine Mounir Fatmi sera jugé blasphématoire. A deux reprises, il quittera, forcé, les salles d'exposition. Cette fois la polémique aboutit à la censure. L'acte 1 se déroule à Toulouse en 2012, à l'occasion du Printemps de Septembre (aujourd'hui Festival international d'art de Toulouse). L'oeuvre visée, une installation vidéo projetant sur le sol des versets du Coran associés aux rotoreliefs de Marcel Duchamp, provoque la colère d'un groupe de musulmans. On ne marche pas sur les textes sacrés. La manifestation dégénère ; des altercations entre manifestants et passants éclatent. Selon la police, une jeune femme est giflée pour avoir foulé les paroles du prophète. L'iman Mokhtar El Meddah lance un appel au calme. Quinze jours auparavant, Charlie Hebdo publiait ses caricatures de Mahomet. Dans ce contexte sensible, Mounir Fatmi prend l'initiative de retirer l'oeuvre. «Je suis forcé de devenir mon propre censeur» déclare t-il à France 24. L' acte 2 survient quelques jours plus tard. Sa vidéo Sleep est supprimée de l'exposition «Vingt-cinq ans de créativité arabe» à L'IMA à Paris sur décision de l'institution. L'oeuvre, référence directe au film éponyme d'Andy Warhol, représente Salman Rushdie en image de synthèse. L'écrivain des Versets sataniques, menacé d'une fatwa depuis 1989, est plongé dans un profond sommeil, quelque part entre la vie et la mort. «Comment ne pas parler de religion ?» insiste Mounir Fatmi dans une interview donnée à l'occasion de son premier solo show chez Yvon Lambert. En 2014, il publie le livre «Ceci n'est pas un blasphème: créer contre les intégrismes et prophètes de tous horizons». Un titre qui fera office de conclusion.

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