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Jours tranquilles à Paris
3 septembre 2020

Avec «Un temps troublé», Jospin revient parmi les siens

Par Rachid Laïreche — Libération

L’ex-Premier ministre, qui s’était abstenu de commenter la vie politique depuis sa défaite en 2002, décrypte dans un livre les bouleversements advenus depuis 2017. Un retour plutôt bien accueilli par les socialistes.

Un temps troublé. C’est le nom du dernier livre de l’ancien Premier ministre Lionel Jospin, 83 ans. Il donne son regard sur plusieurs sujets (politique internationale, économie, écologie…). Les mots du socialiste étaient attendus par les siens. Ils se sont faits trop rares. En politique, beaucoup racontent des histoires : ils font mine de tourner la page afin de vivre une autre vie… puis ils reviennent par la fenêtre avec une casquette de sauveur. Pas lui. Lionel Jospin est à l’ombre depuis sa défaite à la présidentielle. C’était en 2002. Une éternité. Depuis, la gauche est revenue au pouvoir avant de le perdre. Et un jeune homme a bousculé les vieux partis pour s’installer à l’Elysée. Le silencieux Jospin a tout observé avec précision.

Dans un long entretien à l’Obs, il dit : «Je n’ai pas quitté la vie politique active en 2002 pour me transformer en commentateur de l’actualité. Je me suis surtout exprimé dans des livres. Et puis, au cours des quatre dernières années, j’avais un devoir de réserve comme membre du Conseil constitutionnel. Une fois ma liberté de parole retrouvée, j’ai voulu répondre à un besoin : comprendre le bouleversement qui a saisi le système politique français en 2017.»

«Errements»

L’ancien Premier ministre aime décrypter Emmanuel Macron. Il souligne que sa victoire à la présidentielle a vu le jour après de nombreux rebondissements, notamment le retrait de François Hollande et les déboires judiciaires de François Fillon. Lionel Jospin le cogne en finesse : «Cet homme jeune, énergique, talentueux et ayant le sens du moment opportun, le kairos, comme disaient les anciens Grecs, a su saisir l’occasion qui se présentait. Mais il s’est peut-être leurré sur sa force véritable (limitée à 24 % des voix au premier tour) et sur la nature de l’adhésion des Français à ce qu’il proposait (66 % des voix au second tour, dans un barrage à l’extrême droite). Avoir le sens du kairos ne préserve pas toujours de l’hubris.» Le socialiste qualifie en trois mots son rapport au président de la République : «Il m’intéresse, m’intrigue et m’inquiète.»

Le week-end dernier, lors de la rentrée des socialistes à Blois, un ancien député se frottait un peu les mains en attendant le bouquin : «J’espère qu’il parlera de François Hollande, en privé il dit qu’il regrette de lui avoir donné le parti en 1997.» Dans les colonnes de l’Obs, Jospin félicite le président «normal» d’avoir été à la hauteur lors des attaques terroristes. Puis les mauvais points : l’infléchissement libéral et les «errements» sur la question de la déchéance de nationalité qui ont mené à la «perte d’une identité politique».

A gauche, une phrase revient souvent. Toujours la même avec des «si». Lionel Jospin n’y échappe pas : «Après 2002, si les choses avaient tourné autrement, nous aurions peut-être servi notre pays mieux que cela n’a été fait.» Le passé fait ruminer la gauche. Mais l’ancien Premier ministre cause également des lendemains. Il prévient toutes les nuances : «La gauche écologique rassemblée a le potentiel pour être présente au second tour et peut-être gagner. Le volontarisme économique, l’exigence de justice sociale, l’engagement écologique et la préoccupation démocratique répondent aux besoins du présent et de l’avenir. Les mouvements, les partis et les leaders qui les animent devront montrer une grande capacité de désintéressement et le sens de l’intérêt général. Car nul d’entre eux ne pourra gagner en s’isolant.»

«Discret»

Lionel Jospin compte peu d’ennemis à gauche. Mais quelques critiques existent. Parmi elles : il n’a pas su rassembler la gauche et les écologistes au premier tour à cause de sa «rigidité». L’insoumis Jean-Luc Mélenchon ne fait pas partie de ceux-là. Il dit du bien du «grand», c’est le surnom qu’il lui donne. D’ailleurs, ils ont repris contact récemment. Le «grand» avait pris ses distances après le référendum sur la Constitution européenne, en 2005. Lionel Jospin était pour le «oui» et Jean-Luc Mélenchon pour le «non».

De nombreux socialistes tapent sur l’insoumis en chef. Pas leur ancien chef. Il choisit la finesse : «Il a su conquérir ce qu’il désirait : être reconnu, hors des bornes du Parti socialiste, pour son talent, ses intuitions politiques, son sens du verbe, et il a créé son propre mouvement, un mouvement qui compte. Peut-il aller plus loin et plus haut ? Je ne sais. Il y aura peut-être un conflit entre son intelligence et son tempérament. Saura-t-il rassembler ou sinon accepter que d’autres le fassent ? Les insoumis devront faire un choix entre l’exaltation de l’opposition radicale et la sagesse qu’impose la recherche d’une véritable responsabilité en vue d’une transformation profonde.»

Les mots de Lionel Jospin font du «bien», glisse un dirigeant socialiste. Il ne se raconte pas de fausses histoires : «Lionel ne revient pas pour prendre la lumière, il va continuer à se faire discret. J’espère que ses mots et son livre vont permettre de mesurer l’urgence.» A gauche, tout le monde mesure «l’urgence», le souci est ailleurs : chaque tête se pense en capacité d’y répondre.

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