Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
16 juillet 2015

La Bombe, soixante-dix ans après par Bruno Tertrais (*)

La date du 6 août 1945 est généralement retenue comme le début de « l’âge nucléaire ». C’est pourtant le 16 juillet de cette même année qu’a véritablement commencé l’ère atomique. Ce jour-là, la première bombe atomique explosait dans le désert d’Alamogordo, au Nouveau-Mexique. En secret. Sans témoins dans cette région désolée des États-Unis, même si certains habitants remarquèrent une étrange lueur au lointain. Il est remarquable que la Bombe n’ait pas été employée depuis les frappes sur Hiroshima et Nagasaki, les 6 et 9 août 1945. Jusque dans les années 1980, la majorité des experts estimaient à peu près inévitable un nouvel usage de l’arme dans les dix à vingt ans suivants. C’est à bon droit qu’il y a dix ans, lors de son discours de récipiendaire du Nobel, l’économiste et stratège américain Thomas Schelling soulignait que l’événement le plus important depuis 1945 était tout simplement… le fait qu’aucune guerre nucléaire n’ait eu lieu. La dissuasion a donc fonctionné. Tous les pays qui se sont dotés, légalement ou pas, de l’arme atomique, ont adopté cette logique. Ils considèrent que les armes nucléaires ne sont pas des moyens militaires comme les autres : elles ont pour vocation essentielle de prévenir une agression militaire majeure. Même en Corée du Nord… Les craintes que l’on pouvait avoir au sortir de la Guerre froide sur l’émergence de nouveaux États nucléaires qui verraient leurs armes comme des moyens de « bataille » n’avaient donc pas lieu d’être. Mais quid de l’avenir ? La dissuasion fonctionnera-t-elle toujours ?

« Les risques de conflit nucléaire subsistent »

Depuis la fin de la Guerre froide, le nombre d’armes nucléaires dans le monde a diminué de plus de la moitié. Le risque d’un conflit atomique « total », aux conséquences effroyables pour la planète, n’est plus d’actualité. Mais il suffit de quelques bombes pour faire une guerre nucléaire… Or, le nombre de détenteurs de cette arme a augmenté : Inde, Pakistan, Corée du Nord. Même si l’on s’inquiète à juste titre des bruits de bottes en Europe orientale, et que la crise iranienne est loin d’être définitivement réglée, c’est en Asie que les risques de conflit atomique sont les plus grands. Cinq États nucléaires – six en comptant les États-Unis, dont la présence militaire dans la région va croissant – s’y font face. Ils développent leurs arsenaux, tout en entretenant des contentieux territoriaux et idéologiques majeurs. Le risque le plus fort est sans doute celui d’un emploi délibéré de l’arme nucléaire par le Pakistan. Le scénario n’est pas difficile à imaginer : un nouvel attentat terroriste en Inde du même type de celui de Mumbai (2008) ; la mobilisation des forces du pays par le gouvernement nationaliste de M. Modi ; une crise qui s’envenime et débouche sur une action militaire indienne sur le territoire pakistanais ; l’escalade des deux côtés… Le risque d’emploi par la Corée du Nord n’est pas non plus négligeable. Le régime de Kim JongUn est en effet particulièrement enclin à la prise de risques, et ici encore, un scénario d’escalade militaire incontrôlée est loin d’être exclu. Voilà pourquoi, soixante-dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les enjeux stratégiques de l’Asie sont toujours aussi importants pour l’Europe. (*) Maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique.

Publicité
Commentaires
Publicité