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Jours tranquilles à Paris
27 décembre 2016

L'inquiétude de la Tunisie face au terrorisme

Trois proches de l'auteur de l'attentat de Berlin, le Tunisien Anis Amri, ont été arrêtés dans le centre du pays

Une semaine après l'attentat contre un marché de Noël à Berlin qui a fait 12 morts et 48  blessés, la Tunisie poursuit ses investigations autour d'Anis Amri, l'auteur de l'attaque, citoyen tunisien de 24 ans, originaire de la région de Kairouan (Centre-Est). -Samedi 24  décembre, le ministère de l'intérieur a annoncé que trois de ses proches avaient été arrêtés, dont son neveu. Tous seraient membres d'une " cellule terroriste (...) liée " à Anis Amri, tué vendredi en cavale à Milan, en Italie.

L'attaque de Berlin a remis la Tunisie dans la lumière et rappelé sa situation de grande fragilité face au terrorisme. Ce n'est pas la première fois qu'un Tunisien est au centre d'un attentat en Europe. Le 14  juillet, l'attentat de Nice (86 morts) avait été perpétré par un jeune Tunisien, Mohamed Lahouaiej Bouhlel, âgé de 31 ans et originaire de M'saken (dans l'est du pays). En Tunisie même, les attentats les plus meurtriers de ces dernières années ont été commis par des jeunes du pays. Dans la station balnéaire de Port El-Kantaoui, près de Sousse, Seifeddine Rezgui, 23 ans, originaire du Kef (Nord), avait tué 38 touristes sur la plage d'un hôtel le 26  juin 2015. Quelques mois plus tôt, le 18  mars 2015, la tuerie du musée du Bardo à Tunis (22 morts) avait été perpétrée par un commando de deux assaillants âgés de 20 et 27 ans, passés par la Libye.

Au total, selon l'ONU, 5 500 Tunisiens ont rejoint les rangs de groupes djihadistes en Irak, en Syrie et en Libye, 6 000 selon le Soufan Group, un institut américain spécialisé dans le renseignement. Un chiffre qui révèle la difficulté des autorités à contrôler les déplacements mais aussi à comprendre l'ampleur de ces départs depuis un pays salué dans le monde pour sa transition démocratique, fragile mais spectaculaire comparée aux autres Etats ayant connu des soulèvements depuis 2011.

Il aura fallu du temps pour que les autorités tunisiennes, longtemps recluses dans une forme de déni, reconnaissent la gravité du phénomène. La première génération de djihadistes ayant suivi la révolution de 2011 est partie combattre dans les monts Chaambi et Semmama, à l'ouest de la Tunisie, près de la frontière algérienne. Intégrés dans la brigade Okba Ibn Nafaa, liée à Al-Qaida au Maghreb islamique, évalués à une centaine d'hommes, ces djihadistes ont visé les forces de sécurité tunisiennes, dans les régions montagneuses. C'est en  2015, avec les attentats contre le musée du Bardo et à Port El-Kantaoui, que la présence croissante de l'organisation Etat islamique a éclaté au grand jour, ciblant non plus les Tunisiens mais les étrangers, et dans les villes.

Flottement sécuritaire

Le pays a cumulé les handicaps : une frontière de 450  km avec la -Libye, une armée restreinte et inexpérimentée qui se retrouve en première ligne après la chute de l'Etat policier de Ben Ali, mais aussi une révolution qui, pour une partie de la population, n'a pas tenu ses promesses. Outre la période de grave flottement sécuritaire observée en  2012 et 2013 sous le gouvernement d'Ennahda (islamiste), le pays a vécu une démocratisation qui ne s'est pas accompagnée d'une amélioration des conditions de vie. L'étude du profil des jeunes radicalisés montre la complexité du phénomène : chômeurs, mais aussi étudiants et travailleurs, de toutes les régions, dont la radicalisation a souvent été soudaine, pas toujours saisie par les proches.

Les autorités tunisiennes estiment avoir progressé dans la lutte contre le terrorisme. Depuis la fin de l'année 2015 et l'attaque contre un bus de la garde présidentielle (12 morts), le pays n'a pas connu d'attentat d'ampleur en milieu urbain. Il a néanmoins vécu une sérieuse alerte avec l'attaque spectaculaire de la ville de Ben Gardane, à la frontière libyenne, où, le 7  mars, plusieurs dizaines de djihadistes, dont certains venus de Libye, avaient mené l'assaut avant d'être repoussés par les forces de l'ordre (70 morts dont 50 assaillants). La saisie en novembre, au même endroit, d'importantes caches d'armes - dont un stock de missiles sol-air SAM-7 - a souligné les progrès des forces de sécurité, mais aussi la persistance de la menace.

Désormais, à l'inquiétude des départs massifs s'ajoute celle de voir ces djihadistes revenir en Tunisie. Selon le ministre de l'intérieur, Hédi Majdoub, quelque 800 d'entre eux sont déjà rentrés, mais " les autorités détiennent toutes les informations sur ces individus ", a-t-il assuré vendredi devant le Parlement. Des déclarations qui ne calment pas les craintes exprimées jusque dans les rangs des forces de l'ordre. " Le retour en Tunisie des terroristes en provenance des foyers de tension est alarmant et peut conduire à la somalisation du pays ", a affirmé ce week-end, dans un communiqué, le Syndicat national des forces de sécurité intérieure. Ces djihadistes " ont reçu des formations militaires et appris à manipuler toutes sortes d'armes de guerre sophistiquées ", souligne l'organisation, qui appelle le gouvernement à prendre des " mesures exceptionnelles ".

" Pas assez de prisons "

La question du retour a pris des proportions polémiques après des déclarations faites par le président de la République, Béji Caïd Essebsi, en décembre. Le chef de l'Etat avait indiqué que personne ne pouvait empêcher un Tunisien de rentrer, ajoutant : " Nous n'allons pas les mettre tous en prison, parce que si nous le faisons, nous n'aurons pas assez de prisons, mais nous prenons les dispositions nécessaires pour qu'ils soient neutralisés. " Ces propos avaient été interprétés par une partie de l'opinion tunisienne comme une porte ouverte à l'impunité des terroristes. Des rumeurs autour d'une " loi du repentir " ont circulé, jusqu'à une mise au point mi-décembre de la présidence : le pays ne graciera pas les djihadistes de retour d'Irak, de Syrie ou de Libye, auxquels il appliquera la loi antiterroriste.

Au-delà de ce sujet, les débats sont à nouveau vifs ces derniers jours en Tunisie, une partie de la presse étant prompte à interpréter la mise en lumière du phénomène djihadiste - proportionnellement à sa population de 11  millions d'habitants, la Tunisie est le plus important pourvoyeur de djihadistes - comme une attaque contre une courageuse transition.

Dans une tribune publiée le 25  décembre sur le site Kapitalis, l'écrivaine Rabâa Ben Achour-Abdelkéfi souligne surtout la solitude du petit pays face à de tels défis : " Pauvre et endettée, minée par un régime mafieux et dictatorial durant des décennies, délaissée par les investisseurs, agitée par les ambitions personnelles de la classe politique, par la contestation sociale, par le régionalisme, le corporatisme et le manque de civisme, obligée d'acheter des armes au prix fort afin de protéger ses frontières et celles de l'Europe (...), la Tunisie ne peut faire face au fléau qui menace la démocratie à laquelle elle aspire. " Article de Charlotte Bozonnet

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