Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
16 mars 2017

LONDRES : La tyrannie des talons aiguilles recule dans les bureaux de la City

Par Philippe Bernard, Londres, correspondant

Le Parlement de Westminster a débattu d’une mesure interdisant le port obligatoire des talons hauts sur le lieu de travail.

LETTRE DE LONDRES

Grâce à Nicola Thorp, une actrice londonienne de 28 ans, la tyrannie des talons aiguilles vient de reculer dans les bureaux de la City. Gagnant sa vie comme réceptionniste, la jeune femme avait été limogée sans solde en 2015 pour avoir refusé de troquer ses ballerines pour les talons de 5 à 10 cm qu’exigeait de ses employées Portico, l’agence qui l’avait recrutée pour le compte du cabinet d’audit PriceWaterhouseCoopers.

Révoltée, elle avait lancé sur le site du Parlement une pétition destinée à « rendre illégale l’exigence des talons hauts pour les femmes au travail ». Son initiative a déclenché un torrent de réactions. Twitter a été inondé de photos de talons plats mis en ligne par des salariées rebelles tandis que le texte de la réceptionniste recueillait plus de 152 000 signatures, dépassant le cap des 100 000 exigées pour déclencher un débat parlementaire.

Pour nourrir cette discussion, qui a eu lieu lundi 6 mars à Westminster, la commission parlementaire sur les femmes et l’égalité a mené l’enquête et ouvert un forum en ligne où les témoignages ont afflué : 730 rien qu’au cours de la première semaine.

Une vendeuse a raconté qu’on lui demandait de porter des jupes plus courtes et de se déboutonner à l’approche de Noël, au moment où la clientèle se masculinise. Une hôtesse de l’air a témoigné qu’elle se sentait « prostituée » par l’exigence des talons hauts. Coloration blonde et décolletés obligatoires sont aussi de rigueur dans certaines entreprises.

Une question de santé publique

Le code vestimentaire que l’agence Portico avait tenté d’imposer à Nicola Thorp était d’une insolente précision : ses employées devaient porter des collants « non opaques », les racines de leurs cheveux devaient être « invisibles » et leur maquillage être « réajusté régulièrement ».

Quant à leurs chaussures, elles devaient effectivement comporter des talons « de 2 à 4 pouces » (5 à 10 cm). La firme exigeait aussi le choix de l’une des quatorze nuances de vernis à ongles répertoriées par elle.

« J’ai refusé de travailler pour une société qui demande aux femmes de porter du maquillage, des talons et une jupe, a témoigné la pétitionnaire. On dit que le sexisme n’est plus un problème. Mais quand un homme qui a avoué publiquement harceler sexuellement les femmes est le leader du monde libre, il est plus crucial que jamais d’avoir des lois qui protègent les femmes. »

Au sexisme s’ajoute une question de santé publique : les souffrances et les troubles articulaires causés par le port prolongé de talons aiguilles. Consulté par les parlementaires, le Collège de podologie en a dressé la liste : « équilibre réduit, mobilité de la cheville limitée, force musculaire du mollet affaiblie » pouvant provoquer « des douleurs invalidantes ».

Intitulé « Talons hauts et codes vestimentaires sur le lieu de travail », le rapport de la commission parlementaire publié en janvier a établi que « les codes vestimentaires discriminatoires demeurent courants dans certains secteurs de l’économie ». Les élus ont réclamé au gouvernement une application de la loi anti-discrimination de 2010 qui prohibe toute règle dont l’application est « moins favorable » aux personnes de l’un des sexes. Ils demandent également que les pénalités prévues soient effectivement infligées.

Theresa May, amoureuse de ses escarpins

Le 6 mars, le Parlement de Westminster a débattu d’une mesure interdisant le port obligatoire des talons hauts sur le lieu de travail. « Nous avons repéré des attitudes qui relèvent davantage, j’allais dire des années 1950, mais peut-être même plus des années 1850, que du XXIe siècle », a déclaré Helen Jones, la députée (Labour) qui préside la commission parlementaire des pétitions en ouvrant la discussion.

La séance a aussi mis en lumière les obstacles rencontrés par les salariés désireux de porter plainte. Depuis 2013, la saisine de l’équivalent britannique des prud’hommes est soumise au paiement d’une taxe qui, en matière de discrimination, atteint 250 livres (286 euros) pour la plainte et 950 (1 088 euros) pour l’audience. D’où une chute nette du nombre des recours. Les coupes budgétaires imposées à la Commission de l’égalité et des droits humains (équivalent du Défenseur des droits) n’ont pas aidé non plus les employés, en particulier les précaires, à faire valoir leurs droits.

Ni sur ce point ni sur les talons hauts, le gouvernement de Theresa May n’a l’intention de changer la loi : « Les dress codes des entreprises doivent être raisonnables et formuler des exigences équivalentes pour les hommes ou les femmes, a seulement rappelé Downing Street. C’est la loi et les employeurs doivent la respecter. »

L’ironie est que l’image de Mme May dans l’opinion britannique est intimement liée à l’originalité de ses chaussures qui, a-t-elle plaisanté un jour, sont « le plus grand amour » de sa vie. Ses escarpins à impression léopard et ses chaussures basses aux talons sertis de diamant sont légendaires.

Nicola Thorp n’est décidément pas en phase avec la première ministre. Celle-ci, lorsqu’elle était chargée des femmes et de l’égalité au gouvernement en 2011, avait déclaré que « les codes vestimentaires traditionnels en fonction du sexe » favorisent « un sentiment de professionnalisme ».

Même l’agence Portico, par qui le « scandale des talons aiguilles » est arrivé, ne le prétend plus. Peu après avoir été mise en cause, elle a changé son dress code : ses exigences vestimentaires ne se réfèrent désormais plus au sexe des employés. Les talons plats ont conquis droit de cité à la City.

Publicité
Commentaires
Publicité