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Jours tranquilles à Paris
25 août 2017

La pornographie et les femmes, pourquoi tant de violence ?

Par Maïa Mazaurette

Si nos requêtes pornographiques disent quelque chose de notre érotique, il est indéniable que l’association entre sexe et agression se porte comme un charme, rappelle la chroniqueuse de « La Matinale du Monde », Maïa Mazaurette.

« Les requêtes concernant la pornographie violente sont environ deux fois plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes. » Cette déconcertante assertion provient du statisticien Seth Stephens-Davidowitz, dans une entrevue pour The Atlantic. L’originalité des travaux de ce chercheur consiste en ce qu’il s’appuie non sur des informations déclaratives mais sur nos recherches Google. In vino veritas ? Aujourd’hui, l’ivresse est dans le big data. Il est vrai qu’au contraire des humains, la machine a l’avantage de ne jamais nous juger (et le désavantage de très bien se rappeler nos préférences).

Si nos requêtes pornographiques disent quelque chose de notre érotique, il est indéniable que l’association entre sexe et agression se porte comme un charme. L’université de Montréal annonçait en 2014 que 64 % des femmes et 53 % des hommes aimeraient être dominés sexuellement. 29 % des femmes avaient le fantasme de subir un viol, et 30 % des hommes. L’impact du genre est plus marqué quand on retourne la question : à peine 10 % des femmes ont le fantasme de vouloir abuser de quelqu’un (ou de profiter de son inconscience), contre 22 % des hommes. Les universités du Nord-Texas et de Notre-Dame, dans l’Indiana, avaient obtenu en 2008 des résultats similaires : 62 % de fantasmes de viol chez les étudiantes – fantasmes répétés dans l’année, jusqu’à être hebdomadaires pour 15 % des concernées.

Si nous sommes en présence d’une norme statistique, posons les questions qui fâchent. Pourquoi le viol ? Plusieurs explications sont possibles et superposables. On pourrait avancer qu’une société qui maltraite les femmes tout en les encensant, qui considère leur plaisir comme « préliminaire » tout en cherchant frénétiquement comment leur en donner, crée logiquement des comportements paradoxaux – chercher le désir dans le dégoût, le plaisir dans la douleur. Mais on pourrait aussi penser qu’à force d’affirmer que « les femmes sont plus douces, plus maternelles », il se crée un énorme ras-le-bol, voire un désir de contradiction. On ne laisse pas aux femmes l’occasion d’exprimer leur agressivité ? Très bien, elles la déplaceront ailleurs – et éventuellement la retourneront contre elles-mêmes.

Moins dramatique : on pourrait estimer que le fantasme de viol relève du suprême narcissisme : « Je suis si désirable que je fais perdre le contrôle aux hommes. » Ou encore : les femmes étant censées bouder la pornographie, elles ont déjà transgressé un tabou en se connectant aux tubes – dans ce cas, pourquoi ne pas pousser la transgression jusqu’au bout ? Autre option : si les femmes sont jugées négativement pour leur désir sexuel (le fameux slut-shaming), le fantasme de viol permet de se déresponsabiliser. On a le sexe brut, sans chichis ni négociation, sans sentiments ni mariage… et sans avoir à se justifier.

Entre amour et abus

Une autre explication classique repose sur le masochisme féminin. Sans détailler les thèses freudiennes, on nous a bien expliqué que « la » femme (laquelle ?) ne triomphe que dans la défaite, que son « vrai » pouvoir réside dans la soumission. On associe la pénétration avec l’effraction, y compris dans un cadre consensuel. Ce masochisme-là est enseigné à l’école, parfois comme un fait médical : il intègre alors le socle culturel. Et ce sans que jamais soit posée la question pourtant évidente : à qui profite la thèse ?

Certaines performeuses et spectatrices expliquent en outre que la pornographie violente constitue une reprise de pouvoir sur un traumatisme – si j’ai été violée ou agressée ou menacée, je peux cette fois jouer au viol devant mon écran, avec un partenaire choisi, je peux même jouir du viol selon mes termes (en gagnant de l’argent, ou en pressant le bouton pause). Le masochisme fantasmatique est présenté comme moyen de survivre – ce que certains thérapeutes contestent en faisant remarquer qu’on ne guérit pas une plaie en y retournant le couteau.

Cette sublimation de la victimisation repose par ailleurs sur un a priori culturel contestable : le déni de toute guérison possible après un viol. Un désespoir dommageable, exprimé dans l’expression ravageuse de « meurtre psychique » – on peut se relever d’un traumatisme, certes, mais jamais du royaume des morts. Cette disqualification de notre résilience en dit plus long sur notre culture que sur les réalités thérapeutiques : le sexe n’est pas une damnation éternelle, de même qu’il n’est pas forcément une dégradation.

Nous pouvons enfin chercher des responsables (et coupables) dans un imaginaire féminin préexistant à la pornographie et enseigné très jeune : celui des contes de fées. Le prince vient prendre au lit la femme inconsciente, la déresponsabilisant de son désir sexuel, et son intrusion (c’en est une : normalement, on demande la permission) constitue un acte d’amour total. A ce titre, notre civilisation ne connaît pas seulement une association entre sexualité et violence, mais entre amour et abus.

Jouer avec le feu

C’est dire si la situation est complexe, multifactorielle, et possiblement inconsciente. Les chercheurs du Texas et de l’Indiana ont donc classé les raisons avancées par les étudiantes. Selon leurs résultats, ce sont les femmes les moins anxieuses qui ont le plus de fantasmes de viol : leur attirance reposerait essentiellement sur une combinaison de narcissisme et d’ouverture d’esprit (la liberté absolue de l’imaginaire, jusque dans la transgression).

On pourrait se satisfaire de cet état des lieux, qui fait du viol une simple option fantasmatique de femme « vraiment » libérée. Pour ma part, je n’y crois pas une seule seconde, et je pose la question du contexte de la libération. Nos fantasmes ne poussent pas dans des bulles mais dans une société, dont l’histoire nous influence. Une culture qui érotise le drame a peut-être intérêt à ce qu’un flou artistique soit maintenu dans le consentement. La survie du patriarcat a très certainement intérêt à encourager le triomphe dans la défaite (en attendant que 2 et 2 fassent 5).

Il n’est pas question de censurer. Nous sommes adultes, nous pouvons jouer avec le feu. A une seule condition : reconnaître que ce soit du feu, et qu’il puisse y avoir des blessés.

Quand on parle d’imaginaire, on imagine des contrées inexplorées. Rien n’est moins vrai, surtout quand on se connecte à une plate-forme pornographique. Les fantasmes y sont limités, définis par des algorithmes, classés selon leur popularité – il y a autant de choix entre deux vidéos pornographiques qu’entre deux boîtes de céréales au supermarché, c’est-à-dire pas beaucoup. La facilité est privilégiée, or, dans une culture judéo-chrétienne, faire du sexe une souillure est une facilité.

A tous ces titres, il serait surprenant que les femmes ne regardent pas de pornographie violente. La double virtualisation induite par Internet et par l’imagination pourrait nous faire penser qu’il n’y a pas « mort d’homme » : peut-être. Pour les grands optimistes. Mais, si nos fantasmes n’avaient jamais de conséquences, ça se saurait.

pornographie et violence

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