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Jours tranquilles à Paris
4 septembre 2017

Rentrée des classes...

rentrée des classes

André Giordan : « Savoir lire, ce n’est plus seulement savoir déchiffrer le texte d’un livre »

Par André Giordan, Professeur à l’université de Genève, fondateur du laboratoire de didactique et d'épistémologie des sciences

Dans une tribune au « Monde », le professeur André Giordan appelle à dépasser la polémique sur les méthodes d’apprentissage de la lecture. Il faut aider les enfants à comprendre et à analyser les informations.

Apprendre à lire est fondamental pour une scolarité réussie. Mais voilà que, une fois de plus, on ressort les « vieilles lunes » ! Dans L’Obs du 24 août, le nouveau ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, interrogé sur les méthodes d’apprentissages, répond : « Pour la lecture, on s’appuiera sur les découvertes des neurosciences, donc sur une pédagogie explicite, de type syllabique et non pas sur la méthode globale, dont tout le monde admet aujourd’hui qu’elle a eu des résultats tout sauf probants. »

Les vieilles polémiques ont la vie dure… De tout temps, les partisans de l’école ancienne ont dénoncé la méthode globale. Pourtant au niveau des textes, le décès officiel de la méthode globale exclusive est acté. En 2003, une conférence de consensus indiquait : « Pour lire, il faut déchiffrer. C’est indispensable. Mais ça ne suffit pas ; il faut aussi comprendre. » Et sur le terrain, il est rare de trouver dans les classes des enseignants qui en usent… La polémique est depuis longtemps dépassée, les principaux équilibres ont été trouvés, les enseignants s’accordant sur des méthodes mixtes ou « intégratives ».

Pourtant en 2017, haro sur cette méthode de lecture une fois encore, source de tous nos maux scolaires… Pour faire moderne, on fait appel maintenant aux neurosciences, et notamment, sans le citer, aux écrits et aux dires de Stanislas Dehaene, professeur au Collège de France. A la suite de ses études sur la lecture et le cerveau, ce chercheur s’est permis d’avancer des considérations pédagogiques sans appel : on comprend notamment pourquoi la méthode globale d’apprentissage de la lecture est condamnée à ne pas bien fonctionner.

Pour lui, il suffirait d’attirer « l’attention de l’élève » vers l’aire cérébrale appropriée pour que disparaisse toute difficulté et même que soit éludé tout contexte scolaire, social, familial, culturel… Difficile en l’état des recherches de neurobiologie d’avancer une « aire de la lecture » ; cela serait en outre en contradiction avec les autres travaux sur le cerveau qui se concentrent sur des réseaux neuroniques !

Et si le problème était mal posé ?

Pourtant, la crédibilité de cette étude n’est pas assurée sur le plan de l’éducation, les preuves de son efficacité sont fragiles ou même absentes. Les arguments avancés reposent uniquement sur des données de laboratoire, rarement corroborées sur le terrain, et ils comportent nombre de biais conceptuels et méthodologiques. La variable « méthode » prise en compte est par exemple trop grossière car mal caractérisée. Comment la considérer comme un paramètre pertinent pour une véritable recherche ?

Au-delà de la polémique, si le problème restait malgré tout mal posé ? Et s’il fallait envisager les choses autrement ? Les principaux points qui posent problème dans les apprentissages actuels sont ailleurs. En premier lieu, il faut dénoncer l’apprentissage par « une » méthode. Une méthode ne « marche » généralement que pour celui qui l’a créée ! Difficile de faire entrer tous les élèves dans une seule et même approche. Ensuite, les livres de lecture ne sont pas toujours attrayants. Nombre d’enfants renoncent par manque d’intérêt pour les textes.

Enfin, pourquoi attend-on l’âge de 6 ans pour apprendre à lire ? Cela avait du sens quand l’école, seul lieu d’apprentissage, débutait à cet âge. Aujourd’hui, l’enfant est surstimulé en permanence par les mots, dès l’âge de 2-3 ans, à travers les jeux éducatifs, la publicité, la télévision ou même par les films, Internet et maintenant les smartphones. Très jeune, il ressent le désir de déchiffrer ces messages pour accéder par lui-même à ces informations.

Lire, c’est aussi comprendre et partager un message

Que veut dire apprendre à lire aujourd’hui ? Débarrassé du pensum de l’initiation à la lecture, on peut alors poser une autre « bonne » question : Que veut dire « apprendre à lire en ce début de XXIe siècle » ? Dans une société en mutation, savoir lire, ce n’est plus seulement savoir déchiffrer le texte d’un livre, c’est d’abord comprendre et partager un message écrit. C’est encore être capable de traiter les multiples informations.

Au quotidien, les élèves sont entourés de données à décoder ; en permanence, il leur est utile de rechercher, et surtout, afin de ne pas s’y perdre, de trier les informations. Avec les bases de données, les réseaux et les moteurs de recherche, il s’agit encore d’apprendre à lire en lecture rapide et en hypertexte. Pourquoi l’école n’en proposerait-elle pas quelques initiations ?

Par ailleurs, apprendre à lire, c’est également apprendre à lire les images, fixes et animées. Enfin, apprendre à lire, n’est-ce pas encore s’interroger en permanence sur les sources, la validité et la pertinence des informations ? D’où viennent-elles ? Qui les donne ? Très tôt, le jeune peut être sensibilisé à la place et aux fonctions des données. Son esprit critique demande à être aiguisé aux techniques de saisie et de décodage des différents médias, du livre au numérique.

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