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Jours tranquilles à Paris
15 septembre 2017

Raymond Depardon: "Le voyage m'a sauvé la vie"

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La Fondation Henri Cartier-Bresson propose une rétrospective intime de cette légende vivante de la photographie. Rencontre avec Raymond Depardon, un homme animé par la curiosité.

La Fondation Henri Cartier-Bresson, à Paris, invite le visiteur à "traverser" l'oeuvre de Raymond Depardon. Comment parcourir l'immense territoire exploré par le photographe français, de ses premiers tirages à la ferme familiale du Garet dans les années 1950, à ses escapades sur les hauts plateaux boliviens, en passant par ses reportages pour les agences et la presse ? Agnès Sire, la directrice des lieux et commissaire de l'exposition Traverser, a dégagé quatre pistes : "La terre natale", "les voyages", "la douleur" et "l'enfermement". Des thèmes qui se répondent, se croisent, se superposent. Difficile en effet de réduire une photo de Raymond Depardon à un seul de ces champs. Mais il faut bien tirer un fil pour dérouler la pelote d'images en noir et blanc et en couleurs que cet homme libre a constitué au fil des années, auscultant les marges du monde.

Au premier étage de la Fondation, on découvre sa "terre natale" : les paysans des campagnes françaises, ses parents, l'intimité de l'exploitation familiale qu'il saisit avec pudeur et discrétion. On arpente aussi le bitume parisien. "Paris, c'est un lieu où j'habite, une famille, une base arrière, une retraite pour réfléchir et fini les travaux en cours", peut-on lire à côté des clichés. Cette base, il l'a bien souvent quittée. "Les voyages" dévoilent le nomadisme de Depardon : New York, le Vietnam, la Mauritanie, l'Egypte, la Bolivie, Glasgow, l'ex-RDA... Une vie sur la route pour celui qui se revendique pourtant "casanier".

Le niveau suivant dévoile à quel point la photographie est avant tout une question de distance. Jusqu'où faut-il s'approcher pour témoigner de la "douleur" des peuples ? Lors de ses expéditions sur les théâtres de guerre, que ce soit au Liban, ou en Afghanistan, Depardon a su trouver la bonne distance pour capter la souffrance humaine. Un autre aspect de son travail est son attirance pour "l'enfermement". Avec son objectif, il s'est aventuré à l'intérieur d'un Hôpital psychiatrique à Turin, dans la prison de Clairvaux, au coeur du Tribunal de grande instance de Bobigny, au plus profond des âmes.

La photographie est une question d'ouverture, de lumière et de cadre. La pratiquer entre quatre murs, tient à la fois du paradoxe et de la logique. Un laboratoire de développement n'est-il pas une forme de cellule dans laquelle le photographe décide de s'enfermer volontairement ? Au milieu de la salle du deuxième étage, dans une vitrine, on découvre des documents personnels de Raymond Depardon, dont ses premiers tirages. Une image retient l'attention. Elle montre l'entrée des "Studios et Laboratoires ATOM - Tous genres de photographies". Sur la pancarte, punaisée à une porte et réalisée à la main, ont été collées presque avec naïveté des figures détourées au ciseau : une bouteille de vin, deux chats, un gardien de but en plein arrêt, une clocher d'église. On reconnaît le visage du jeune Raymond Depardon, celui de Brigitte Bardot. Pour L'Express, le photographe raconte les débuts de sa passion.

Que sont les Studios Atom?

Après mon certificat d'études, mon papa m'a trouvé un travail d'apprenti chez un photographe de Villefranche-sur-Saône. C'est comme ça que j'ai été initié au travail de laboratoire. J'ai créé le mien par la suite dans une pièce de la ferme. J'avais acheté un agrandisseur et je suivais des cours par correspondance. Pourquoi l'ai-je baptisé "Studios Atom" ? Je ne sais plus. C'était un nom court. Vers 1956, dix ans après Hiroshima, c'était un mot dans l'air du temps. J'avais découpé le visage de Brigitte Bardot dans une carte postale reproduisant une photo de Sam Levin. Et Dieu créa la femme, venait de sortir au cinéma. Le film avait déchaîné les passions. Tout tournait autour de Brigitte Bardot à l'époque. Les voisins m'avaient commandé des photos de leur famille nombreuse. Je développais mal, l'eau était très calcaire. J'apprenais. Mes parents ont deviné bien avant moi que je ne reprendrai pas l'exploitation familiale, que je ne serai pas agriculteur. Mais ils se demandaient bien d'où pouvait venir cette passion pour la photo.

Et vous, le savez-vous ? 

Je ne sais pas. Mes parents n'ont jamais pris de photos. Je n'avais même pas d'appareil. J'empruntais celui que mon frère avait eu pour son anniversaire. On l'aperçoit ici [Il montre une "carte chasseurs d'images deux toiles" sur laquelle on voit son visage, l'oeil rivé à un appareil]. Pour mes parents, cette passion devait venir de mon grand-père, Marius Depardon, que je n'ai pas connu. En 1900, il avait pris le PLM [l'ancienne ligne Paris-Lyon-Marseille] pour visiter à Paris l'Exposition Universelle au Grand Palais. Il était abonné à des revues comme Le Miroir 1914-1918 [NDLR: une revue photographique hebdomadaire]. Il était ouvert sur le monde moderne. Un jour, je suis allé à la Poste de Villefranche-sur-Saône, j'ai pris le bottin, j'ai consulté la rubrique "reporter photographe " et j'ai écrit à une dizaine d'entre eux. Et il y en a un, Louis Foucherand, qui m'a pris comme apprenti. J'avais un petit salaire, j'habitais dans le laboratoire. Voilà, comment à 16 ans, je suis monté à Paris.

Dans cette vitrine, nous découvrons quelques-unes de vos premières photos.

Comme beaucoup de photographes amateurs, j'utilisais un filtre rouge, ce qui donne des ciels très relevés. Je faisais moi-même les tirages. Sur ces images, qui montrent des ouvriers agricoles, j'ai écrit à la main "Le possédé", "le retardataire". "Le retardataire", c'était Sylvestre un ouvrier polonais qui travaillait à la ferme. Il m'appelait toujours "Champion". Je ne sais pas pourquoi. C'était un type formidable. 

Quelle est le dernier cliché que vous avez pris?

Il y a trois jours, une photo en couleurs d'une rue de Tokyo. Tokyo c'est forcément en couleurs. J'y ai actuellement une exposition sur les Jeux Olympiques de 1964 [NDRL : Depardon/Tokyo, 1964-2016, au Chanel Nexus Hall, jusqu'au 1er octobre]. On m'avait envoyé là-bas à l'âge de 22 ans. C'était une époque formidable pour le Japon.

Quel est votre prochain voyage?

Le Brésil. A nouveau pour une exposition. Je poursuivrai sans doute mon voyage en Amérique du Sud, probablement en Argentine ou en Bolivie. J'aime beaucoup les hauts plateaux: la Bolivie, l'Ethiopie, le Tibesti [NDLR: un massif montagneux au nord du Tchad]... Les populations y sont très attachantes. Ce sont des paysans, comme mes parents. Il paraît que c'est normal que je cherche toujours à faire des photos de paysans. Je me sens bien avec eux. Je suis timide et un peu introverti, mais dès qu'il y a un mec avec une charrue je m'approche de lui. Je n'ai pas peur. 

D'où vient l'envie de photographier tous ces gens?

Cela permet de relativiser ses propres problèmes. Le voyage m'a sauvé la vie. Les chagrins d'amours, nos difficultés de petit européen, finalement ce n'est pas très grave. C'est bon de le rappeler. J'ai beaucoup parcouru l'Afrique et l'Amérique du Sud. J'ai encore du plaisir à faire des photos, à découvrir le monde. Je repense à ce grand-père parti à Paris. Ce qui l'a poussé c'est la curiosité. Au XIXe siècle, les hommes étaient de grands curieux. On le voit très bien dans les films des Frères Lumière qui viennent d'être restaurés. Si vous enlevez les moustaches et les sabots, tout est super moderne. Les cameramen réalisent des travellings dans des bus, des bateaux. La curiosité c'est le plus important. Vous savez, je ne connais pas de photographes qui sont très à l'aise dans la vie avec les gens. Ou alors, il y a le contraire, les fanfarons. J'ai connu ça un peu à Paris-Match. C'est une autre technique quand on n'est pas trop sûr de soi. Mais qu'est-ce qui pousse quelqu'un à faire des photos, à se rendre sur un marché à photographier les gens ? Henri Cartier-Bresson disait qu'il fallait faire comme l'artillerie, tirer, puis dégager. L'important, c'est de ne pas insister. 

Pourquoi ce titre, Traverser ?

Agnès Sire à la fin de son travail de sélection m'a dit : "Je ne vois d'autres mots que Traversée". J'ai dit "oui, mais alors à l'infinitif", pour montrer qu'il faut être actif, bouger, avancer. Reculer, même à la rigueur. Je suis plutôt casanier, être photographe de presse m'a forcé à voyager. Aujourd'hui, je n'ai plus de tensions quand je prends un avion. Je suis très calme. C'est grâce au photojournalisme. Même dans une grande ville étrangère, je me débrouille. Avec la presse, on passe d'une princesse à un fait divers. J'étais très timide, replié sur moi-même. La photo m'a beaucoup servi personnellement.

Traverser. Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris (XIVe). Jusqu'au 17 décembre.

Catalogue aux Editions Xavier Barral, 260 p., 39 €.

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