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Jours tranquilles à Paris
29 septembre 2017

C’est une sex doll qui fait non, non, non...

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Par Maïa Mazaurette

Que penser des poupées sexuelles programmées pour résister ? Selon la chroniqueuse de « La Matinale du Monde » Maïa Mazaurette, ces robots participent à flouter la notion de consentement.

Le futur du sexe, c’est pour quand ? Maintenant. A condition de laisser tomber un instant les électrodes et les prothèses pour plonger dans le monde des robots sexuels. Utopie, dystopie ? Commençons par le positif : ces compagnes sexuelles (le marché est dominé de manière écrasante par des modèles féminins destinés aux hommes) pourraient apporter une solution à la misère sexuelle, proposer des cadres sûrs pour perdre sa virginité, autoriser la réalisation de fantasmes spécifiques.

Débarrassés de nos limitations physiques, les robots redéfiniront également notre rapport à la sexualité – ils seront capables d’apporter des plaisirs différents, novateurs dans les sensations, les situations et les émotions. Si les ajustements sur mesure sont pour l’instant plutôt réservés aux aspects physiques (les plus gros acteurs du marché vous laissent choisir jusqu’au diamètre des tétons), rien n’empêchera de nourrir l’intelligence artificielle de nos machines avec les variables de notre choix – pour obtenir des partenaires parfaitement adaptés jusque dans leurs réactions, leur langage, leur « passé ».

Tout cela est très enthousiasmant (et incroyablement coûteux). Malheureusement, nous ne vivons pas dans un monde idéal – ce qui logiquement ne laisse pas présager de lendemains qui chantent (ou qui ahanent de plaisir). En ce moment, l’actualité technologique nous transporte d’ailleurs plutôt côté cauchemar.

Une poupée qui floute la notion de consentement

En 2016, 40 % des Allemands se déclaraient prêts à coucher avec des robots. Cette année s’est ouvert, à Barcelone, le premier bordel ne proposant que des rapports avec des poupées (100 euros de l’heure, quatre choix offerts). Au Kontakthof de Vienne, la prostituée favorite des clients est la poupée Fanny (80 euros de l’heure) – au point que son succès a obligé les patrons à acheter un autre modèle. C’est cette même Fanny qui accueille les clients sur la page consacrée aux « filles », par un texte qui lui prête une personnalité : « Je n’ai pas de tabous, je réalise tous tes souhaits sexuels… j’ai TOUJOURS envie. »

Vous vous rappelez l’attaque informatique de l’an dernier, menée par une armée de frigos et de routeurs ? On imagine dès maintenant que les poupées sexuelles puissent être piratées pour attaquer leurs possesseurs : leur sécurité serait faiblarde. Même chose du côté des sex-toys connectés, mal protégés contre les hackeurs.

Là où le débat se corse, c’est que les possibles catastrophes ne toucheront pas que les amateurs de belles machineries. Une robote américaine propose ainsi un mode appelé « Frigid Farrah » (elle vous fera savoir qu’elle n’apprécie pas votre contact) tandis que d’autres modèles, très répandus au Japon, arborent l’apparence d’enfants ou de préadolescentes. Dans ces deux cas, la poupée floute la notion de consentement.

Et c’est bien là le problème : jusqu’à présent c’était simple, les robots faisaient tout ce qu’on voulait… contrairement aux humains, et sans nuances. Mais si les robots brisent leur devoir d’obéissance, au moins en apparence, cette construction intellectuelle s’écroule. Déjà parce que certains individus n’auront plus envie de se coltiner la complexité des rapports intimes, du consentement, des négociations. Ensuite parce que si ces robots imitent les humains (certains ont la peau chaude, gémissent, « respirent »), on voit mal par quel miracle certaines catégories de partenaires apparemment semblables seraient abusables et pas d’autres.

Les émotions des femmes pas prises au sérieux

Comment justifier que les machines se mettent à résister activement, tout en restant légalement passives ? Le consentement est-il une question de personne ou de refus ? S’il faut du libre-arbitre pour dire non, peut-on violer des femmes dans le coma ou handicapées mentales ? Que penser de la psyché masculine suggérée par ces préférences ?

Du côté du constructeur, on botte en touche avec une mauvaise foi confondante : « Quand notre robot Roxxxy utilise sa personnalité Frigid Farrah (une parmi d’autres), elle donne son opinion et son feedback, comme toute personne le ferait à un rendez-vous. Par exemple vous n’embrasseriez pas passionnément un ou une inconnu(e). De la même manière, Frigid Farrah vous dira que vous allez trop vite. Elle peut aider les acheteurs à comprendre comment être intime avec un partenaire. »

Vous avez bien lu : non seulement ne pas vouloir être embrassée catégorise comme « frigide », mais ce mode de résistance servirait à s’éduquer émotionnellement… avec des partenaires sans émotions. Parmi les 4 566 problèmes que cette assertion soulève, la plus consternante est que nous vivons déjà, ici et maintenant, dans un univers où les émotions des femmes ne sont pas prises au sérieux : 19 % des Français estiment que les femmes disent non mais qu’elles pensent oui, 21 % jugent qu’elles aiment être forcées (Ipsos, 2015).

La justification du mode frigide par l’apprentissage émotionnel implique en outre que la volonté d’une intelligence artificielle soit respectée. Que les lecteurs n’ayant jamais « forcé » une application à s’éteindre me jettent la première pierre : nous abusons nos machines à longueur de temps. Nous rebootons nos ordinateurs. Nous insultons nos télécommandes. Nous massacrons nos adversaires dans les jeux vidéo.

Catharsis ou encouragement ?

Comment régler ces problèmes éthiques ? Les pro-robots les plus pragmatiques laissent tomber les justifications et assument : certaines personnes ont des fantasmes de viol, qu’ils pourront exprimer sans blesser de vraies personnes. A quoi des détracteurs tout aussi pragmatiques répondent : sauf si les modes « frigide » permettent de s’entraîner au viol. Nous revenons à l’éternel débat virtuel-réel, qui concerne autant les jeux vidéo que la pornographie généraliste. Catharsis ou encouragement ? Pulsions assouvies ou entretenues ?

Cette question n’est pas tranchée. Les populations fragiles peuvent déborder, les autres recalibreront leur empathie : soit en refusant de violer des robots, soit en reportant l’intégralité de leur empathie sur leurs camarades humains. Peut-être éviterons-nous les erreurs de jugement.

Il se trouve que nous autres, êtres de chair et de sang, sommes parfaitement capables de respecter l’intégrité physique de robots, surtout s’ils sont anthropomorphes. Le problème ici, c’est que nous abordons un sujet où nos principes sont faibles, et notre lucidité pas franchement garantie (tout le monde sait que tuer est mal, tout le monde ne sait pas que violer est mal – sans même parler de s’accorder sur la définition).

Notre société reste immature en termes de consentement : on n’arrive déjà pas à comprendre les femmes qui disent non – comment comprendre des robots ? Dans ces eaux troubles, nos fantasmes ont des conséquences. Et de manière profondément ironique… les droits des machines garantiront les nôtres.

Pour retrouver un complément d’information non pas en silicone, mais en bonne chair et en os, venez nous rejoindre à ce dimanche à 17 h 30 à l’Opéra Bastille. Le Monde Festival présentera un débat sur le futur du sexe, modéré par votre dévouée servitrice, avec Agnès Giard, anthropologue et journaliste, Catherine Dufour, écrivaine de science-fiction, et Yann Minh, artiste multimédia.

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