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Jours tranquilles à Paris
18 octobre 2017

Entretien : « Quand les victimes de harcèlement sexuel parlent, cela se passe mal pour elles »

Par Gaëlle Dupont - Le Monde

Après l’affaire Weinstein et le succès du hashtag #balancetonporc, Marilyn Baldeck déléguée générale de l’Association de lutte contre les violences faites aux femmes au travail, estime que « le harcèlement sexuel touche tous les milieux ».

Marilyn Baldeck est déléguée générale de l’Association de lutte contre les violences faites aux femmes au travail, la principale association française de défense des victimes des violences sexuelles dans le cadre professionnel, qu’elle accompagne juridiquement.

Après la mise en cause du producteur américain Harvey Weinstein, le hashtag #balancetonporc a connu un grand succès sur Twitter. Peut-on parler de libération de la parole au sujet du harcèlement sexuel ?

Des femmes se lâchent sur Twitter et c’est tant mieux, même si elles ne représentent pas toutes les femmes victimes de harcèlement sexuel. Ce sont surtout des journalistes qui témoignent, donc des personnes qui ont plutôt l’habitude de s’exprimer.

Ce hashtag me paraît surtout révélateur du désert auquel les victimes sont confrontées quand elles cherchent du soutien concret. Dénoncer ces agissements au moment où ils sont commis expose à de tels risques qu’il vaut mieux le faire sur Twitter, dans la plupart des cas sans citer l’agresseur, de sorte qu’il n’y aura pas de conséquences.

Les faits dénoncés sont souvent passés. Pourquoi les femmes ne portent-elles pas plainte au moment des faits ?

Quand les victimes parlent, cela se passe mal pour elles. Elles sont couvertes d’opprobre par leur employeur, souvent par leurs collègues. Il leur est extrêmement difficile par la suite de rester dans leur entreprise. Certaines y laissent leur santé, leur vie de famille, leur avenir. Donc beaucoup préfèrent se taire ou parler quand les risques sur leur carrière professionnelle s’éloignent.

On leur reproche toujours de ne pas dénoncer au bon moment, c’est trop tôt ou trop tard, de ne pas avoir exprimé leur refus clairement, d’être seule… Mais quand elles sont plusieurs à témoigner on agite la théorie du complot. Alors que parler ensemble est sécurisant pour les victimes, qui se sentent plus légitimes.

Les mises en cause d’hommes célèbres, comme Dominique Strauss-Kahn, Denis Baupin, ou Harvey Weinstein poussent-elles plus de femmes à faire cette démarche ?

Pas forcément, car les femmes retiennent que ces hommes sont rarement inquiétés par la justice et que les victimes en prennent plein la figure.

En réalité, les suites judiciaires ne sont pas anodines. Les plaintes contre Denis Baupin ont été classées sans suite mais seulement en raison de la prescription. Dominique Strauss Kahn a été civilement condamné pour proxénétisme par la cour d’appel de Douai (Nord) en juin 2016. Le maire [Les Républicains] de Draveil (Essonne), Georges Tron, poursuivi pour viols et agressions sexuelles par deux anciennes employées municipales, sera jugé devant la cour d’assises de Seine-Saint-Denis en décembre.

Depuis l’affaire Baupin en mai 2016, votre association est davantage sollicitée.

Incontestablement. Nous avons ouvert 179 dossiers en 2016, soit 70 de plus que l’année précédente, ce qui est énorme car nous sommes une petite structure et que les moyens n’ont pas suivi. Et sur les trois premiers mois de 2017, nous avons trois fois plus de dossiers que sur les trois premiers de 2016, avant l’affaire Baupin.

La demande ne décroît pas. Plus de femmes nous saisissent parce que, du fait de la médiatisation du harcèlement sexuel, elles entendent parler de notre association.

Certains milieux professionnels sont-ils davantage concernés ?

Le harcèlement sexuel touche tous les milieux, avec une prédilection pour ceux où un rapport de pouvoir s’exerce. Le milieu médical par exemple. Nous sommes saisis par beaucoup de secrétaires médicales, infirmières, aides-soignantes, qui dénoncent des médecins.

C’est le cas aussi du monde politique. Les collectivités locales sont très concernées. Les petites mairies sont particulièrement à risque, du fait de l’emprise que le maire peut avoir sur tous les aspects de la vie des agents de la municipalité : emploi, logement, etc. Le secteur du nettoyage, les emplois à domicile sont également très touchés.

Les femmes de toutes les catégories sociales sont concernées ?

Les affaires Baupin ou Weinstein remettent en cause les stéréotypes sur les victimes de harcèlement, qui peuvent être des femmes puissantes et célèbres, et pas seulement situées au bas de l’échelle sociale, immigrées, précarisées.

Le risque, c’est de donner une image biaisée. Nous avons affaire à toutes les catégories de femmes, avec une prédominance de celles issues de milieux populaires. Elles ont davantage le réflexe de l’action collective et veulent un procès, là où les cadres vont plutôt se tourner vers un avocat et seront peut-être plus enclines à négocier une transaction avec leur employeur.

Le nombre de plaintes et de condamnations augmente-t-il ?

Le nombre de plaintes est stable à environ un millier par an. Les condamnations restent très rares, moins d’une centaine chaque année. Les parquets considèrent que les faits ne sont pas assez graves pour poursuivre, ou que les preuves sont insuffisantes, alors que nous estimons avoir de très bons dossiers. C’est une question de priorités pénales.

Devant les conseils de prud’hommes, l’entrée en vigueur de la nouvelle définition du harcèlement sexuel en 2012 – elle est beaucoup plus précise qu’auparavant –, n’a pas fait bouger les chiffres, mais elle permet d’obtenir des condamnations d’employeurs qui autrefois n’auraient pas été inquiétés.

Un arrêt de la cour d’appel d’Orléans a par exemple reconnu, en février, l’existence d’un « harcèlement sexuel environnemental ». La victime n’était pas visée directement par les agissements des mis en cause, qui faisaient des commentaires salaces sur les femmes, etc. Cette décision a été très commentée. La prévention du harcèlement sexuel est une obligation légale.

Les entreprises sont-elles plus sensibilisées à la faveur de la médiatisation du sujet ?

Probablement, si l’on en croit le nombre de demandes de formations que nous recevons, principalement depuis l’affaire Baupin. L’essentiel de ces demandes provient encore du secteur public (ministères, collectivités, universités…). Mais de quelques entreprises privées également. En général, ces structures ont eu en leur sein des cas de harcèlement sexuel qu’elles n’ont pas su gérer.

Les organisations syndicales s’y sont également mises depuis quelques années (la CFDT suivie par la CGT, l’UNSA, Solidaires) et elles forment désormais leurs équipes à la prise en charge des victimes.

 

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