Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
22 octobre 2017

Egalité femmes-hommes - Comment l’affaire Weinstein a ouvert la boîte de Pandore des violences faites aux femmes

Par Violaine Morin, Gaëlle Dupont

Dans le sillage des révélations sur le producteur américain, célébrités et anonymes partagent au grand jour leurs témoignages d’agressions sexuelles.

Cette fois, la honte semble vraiment avoir changé de camp. La révélation des accusations de harcèlement sexuel portées contre le producteur américain Harvey Weinstein par le New York Times du 5 octobre a fait l’effet d’une bombe à fragmentation planétaire. Partout dans le monde, des femmes célèbres et anonymes ont dénoncé avoir subi des violences sexuelles de tous types, allant de l’interpellation salace, au harcèlement, à l’agression ou au viol, en pointant l’impunité de leurs agresseurs. Au risque de mettre en cause nommément des hommes qui n’ont pas les moyens de répondre à ces accusations. Mais le plus souvent en ne révélant pas leur identité.

Les vedettes de cinéma Gwyneth Paltrow, Asia Argento, Léa Seydoux, Rosanna Arquette, et d’autres, ont d’abord dénoncé le producteur américain. Puis la chanteuse islandaise Björk a mis en cause un célèbre réalisateur danois. Au Québec, neuf femmes ont témoigné contre le producteur d’humoristes Gilbert Rozon, rendu célèbre en France par sa participation à l’émission « La France a un incroyable talent », qui a démissionné mercredi 18 octobre de ses fonctions et présenté des excuses à « toutes celles et ceux qu’[il a] pu offenser ».

En France, Pierre Joxe, ancien ministre de François Mitterrand, est désormais accusé d’agression sexuelle par l’écrivaine Ariane Fornia, fille de l’ancien ministre Eric Besson, ce que l’intéressé dément. Dans les colonnes du Journal du dimanche du 14 octobre, Isabelle Adjani n’a relaté aucun événement la touchant personnellement, mais a dénoncé « l’impunité et le silence qui entourent encore le harcèlement sexuel » dans son milieu de travail, le cinéma.

« Pour la plupart des gens, si une actrice doit coucher pour y arriver, ça reste naturel, voire normal, selon l’idée qu’il faut bien donner un peu de soi quand on veut obtenir beaucoup, écrit-elle. Et cette question est trop peu souvent considérée sous l’angle du harcèlement et du viol. (…) Dans les maisons de production ou chez les décideurs, j’ai souvent entendu : “Toutes des salopes, toutes des putes de toute façon, ces actrices !” »

Arsenal classique du militantisme

Les célébrités ne sont pas les seules concernées. Sur les réseaux sociaux, le hashtag #balancetonporc, lancé le 13 octobre par la journaliste Sandra Muller, et #moiaussi, la déclinaison française du #metoo anglais, ont rassemblé plusieurs dizaines de milliers de personnes sur Twitter. « C’est une révolution, une prise de conscience, une incroyable libération de la parole des femmes », observe Fatima Benomar, porte-parole de l’association Les Effrontées, dans un communiqué du 18 octobre.

La mobilisation virale fait désormais partie de l’arsenal classique du militantisme. Mais son ampleur est sans précédent sur un sujet touchant aux droits des femmes. Elle est aussi inédite par sa nature, car elle n’émane d’aucune organisation féministe et dépasse largement les cercles militants. Chacune raconte ce qu’elle a vécu sur son compte Twitter ou Facebook. L’angle d’attaque choisi n’est pas non plus celui d’une campagne de sensibilisation féministe ordinaire.

« Là où une organisation choisira d’alerter sur les réseaux avec un angle précis, comme les transports en commun ou le monde du travail, #balancetonporc est universel. C’est n’importe quel harceleur, n’importe où », analyse Claire Blandin, professeure en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris-XIII. La prise de parole collective résulte de la convergence de plusieurs facteurs : le climat médiatique créé par l’affaire Weinstein, bien sûr, mais aussi un élément « générationnel ».

« Raconter son agression, avec des détails parfois très intimes, suppose une acculturation aux réseaux sociaux et à leur fonctionnement », poursuit Claire Blandin. Cette mobilisation est en outre intervenue en France dans un contexte particulier. La décision du parquet de Pontoise de poursuivre pour atteinte sexuelle (passible de 5 ans de prison) et non pour viol (passible de 15 ans) un homme de 28 ans ayant eu des relations sexuelles avec une petite fille de 11 ans avait suscité l’indignation.

Tous les milieux concernés

La « Une » que le magazine Les Inrocks consacrait le 11 octobre au chanteur Bertrand Cantat, condamné pour l’homicide de sa compagne, Marie Trintignant a suscité la riposte du magazine Elle, qui faisait savoir le 17 octobre qu’il consacrait son éditorial à Marie Trintignant. « Son visage est devenu celui de toutes les femmes victimes de la violence des hommes, écrit la journaliste Dorothée Werner. Le visage des 123 anonymes tuées par leur conjoint l’an dernier. Celui des 33 inconnues qui, chaque jour, dénoncent un viol en France. Celui des femmes harcelées ou agressées – 216 000 plaintes déposées en 2016. A toutes ces femmes comme aux actrices contre Weinstein, comme à Flavie Flament contre Hamilton, il en faut, du courage. »

C’est comme si un couvercle avait sauté. Les médias s’emparent du sujet, invitant juristes, psychiatres, et militantes féministes à s’exprimer. Un phénomène qui était sous-jacent, banalisé, souvent intériorisé par les victimes, est dénoncé au grand jour. Plus d’une femme sur deux en France (53 %), et plus de six jeunes femmes sur dix (63 %) ont déjà été victimes d’agressions ou de harcèlement sexuel au moins une fois dans leur vie, selon un sondage Odoxa pour Le Figaro réalisé sur 995 personnes les 18 et 19 octobre.

Chacune, ou chacun peut faire le compte – les hommes sont également concernés (10 % selon le sondage Odoxa), souvent lorsqu’ils sont mineurs. « Le harcèlement sexuel touche tous les milieux, avec une prédilection pour ceux où un rapport de pouvoir s’exerce », affirme au Monde Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’Association contre les violences faites aux femmes au travail.

La question des lendemains de cette mobilisation se pose déjà. Aura-t-elle un impact sur les comportements dans les rues, les entreprises, les universités, les familles ? « Il faut que la prise de conscience continue », espère Raphaëlle Rémy-Leleu, porte-parole d’Osez le féminisme !. Dimanche 29 octobre, un rassemblement « #metoo, dans la vraie vie », créé sur Facebook, est organisé à Paris. De son côté, le gouvernement a lancé le 16 octobre une concertation avant la présentation en 2018 d’un projet de loi « contre les violences sexistes et sexuelles », qui doit notamment comprendre un volet de lutte controversé contre le harcèlement de rue. La secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes Marlène Schiappa dit être ouverte « toute question qui émergera des discussions ». Nul doute que l’affaire Weinstein et ses suites les alimenteront.

Publicité
Commentaires
Publicité