Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
27 octobre 2017

Après la polémique, un site de « sugar daddies » visé par une enquête judiciaire

Par Louise Couvelaire - Le Monde

Rich Meet Beautiful se vante de mettre « en relation » des étudiant(e)s précaires avec des personnes aisées. Une enquête pour proxénétisme a été ouverte.

Sur la photo de son profil Facebook, Sigurd Vedal affiche un large sourire, des dents blanches à l’américaine, une mèche blonde bien peignée et un physique de gendre idéal ; le genre propre sur lui. Mais derrière ce cliché policé, se cache un homme d’affaires de 46 ans dont le business et les manières font scandale.

Fondateur de plusieurs sites Internet spécialisés dans les relations sexuelles éphémères, les rencontres adultères et entre parents divorcés, ce patron norvégien a lancé une nouvelle plateforme baptisée Rich Meet Beautiful (RmB). Le principe ? Mettre en relation des messieurs fortunés – appelés les « sugar daddies » – avec de jeunes étudiantes fauchées – les « sugar babies ». Et le 23 octobre, une camionnette a entamé une tournée promotionnelle dans les rues de Paris, en stationnant devant les universités et les grandes écoles. Sur l’affiche XXL de la remorque, on pouvait lire : « Hey, les étudiant(e)s ! Romantique, passion et pas de prêt étudiant. Sortez avec un sugar daddy ou une sugar mama. » La campagne a déclenché une avalanche de réactions indignées.

« Publicité honteuse », a ainsi condamné sur Twitter la mairie de Paris ; « prostitution déguisée », ont dénoncé des associations, comme Equipes d’action contre le proxénétisme (EACP) ; « est-ce qu’il s’agit de rencontres consenties ou est-ce qu’il s’agit de proxénétisme et d’une forme d’incitation à la prostitution qui pourrait tomber sous le coup de la loi ? », s’est interrogée Marlène Schiappa, la secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, à l’antenne de Sud-radio ; « cette publicité a pour objet d’attirer les étudiant-es en situation de précarité (…) et de les inciter à accepter de se livrer à des actes sexuels avec des personnes plus âgées », s’est indigné dans un communiqué le syndicat étudiant la FAGE.

« Gros coup de pub et cynisme absolu »

Jeudi, le parquet de Paris a ouvert une enquête ; elle a été confiée à la brigade de répression du proxénétisme (BRP), pour « circulation de véhicule publicitaire en agglomération dans une zone où la publicité est interdite » et « proxénétisme aggravé ».

Dans la foulée, la remorque publicitaire a été saisie par la police. « Ce site a réalisé un gros coup de pub avec un cynisme absolu », commente Frédéric Dardel, le président de l’université Paris-Descartes, qui a porté plainte.

Aux hommes, RmB fait miroiter « 1 000 jeunes femmes magnifiques qui attendent leur mentor ». Aux femmes, il promet des papas gâteaux qui les soutiendront « en leur offrant de généraux cadeaux ou de l’argent ». « En retour, précise le site, la Sugarbaby doit comprendre qu’il faut être agréable, belle et un élément relaxant dans la vie de son Sugardaddy. »

D’autres sites avant RmB ont profité d’un flou juridique qui leur a permis d’éviter toute condamnation. En 2014, la plainte pour proxénétisme déposée par l’EACP contre SugarDaddy.fr, dont l’offre est similaire, avait été classée sans suite. Motif ? « Absence de caractérisation de l’infraction. » En d’autres termes, il ne propose pas clairement aux femmes de se prostituer, ni aux hommes de payer pour des relations sexuelles.

« Une approche comme une autre »

« Notre site se contente de mettre en relation des adultes libres de leur choix, se défend Sigurd Vedal, dont l’objectif est d’atteindre 100 000 utilisateurs en France d’ici à la fin de l’année. La situation économique de l’un des partenaires figure très souvent parmi les critères de sélection de l’autre. C’est une approche comme une autre, nous mettons simplement l’accent dessus. » « Il y a bien des sites pour les gays, pour les vieux…, poursuit le PDG de Digisec Media, société domiciliée à Malte, qui planche actuellement sur une plateforme de rencontres dédiée aux personnes en surpoids. Nous aussi nous segmentons. »

Lancé le 21 août dans une trentaine de pays, RmB compterait déjà 250 000 adhérents. Fin septembre, en Belgique, la campagne chargée de promouvoir le site avait été suspendue après plusieurs jours de polémique et l’ouverture d’une enquête pour « incitation à la débauche d’une personne majeure dans un lieu public ».

Le patron norvégien croyait avoir résolu « le problème » en procédant à « quelques ajustements » dans sa stratégie de communication. A Bruxelles, l’affiche ne s’adressait qu’aux étudiantes et aux sugar daddies. A Paris, elle faisait mention d’« étudiant(e)s » et aussi de sugar mamas. La photo qui accompagnait le slogan mettait aussi en scène un couple de jeunes gens. « Vous voyez, il n’y a aucune différence d’âge entre eux, se félicite Sigurd Vidal. C’est comme dans le film Fifty Shades of Grey : c’est son train de vie qui l’a séduite. »

Sauf que le profil type du sugar daddy est loin d’avoir les traits (et l’âge) de Christian Grey, le fringant milliardaire porté sur grand écran. Et qu’Anastasia Steele n’a rien d’une sugar baby qui peine à payer son loyer.

« Des sites qui cartonnent »

Le modèle économique de RmB s’appuie sur un double phénomène : la précarisation des étudiants – dont 20 % vivent sous le seuil de pauvreté, selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales publié en 2015 – et la multiplication des sugar babies – qui seraient 40 000 dans l’Hexagone.

« Ces jeunes femmes font Sciences Po, HEC, l’Edhec, pharmacie… Leurs parents sont au chômage, dans l’impossibilité de les aider financièrement alors que la vie étudiante est de plus en plus chère. Elles travaillent beaucoup et n’ont pas le temps pour un petit boulot, raconte Nadia Le Brun, qui a recueilli les témoignages d’une dizaine d’entre elles pour son livre intitulé Les nouvelles courtisanes (éditions Kero, 192 pages, 15,90 euros). Ces sites vantent des relations romanesques et hédonistes, et déculpabilisent les jeunes filles qui n’ont pas l’impression de se prostituer. Résultat, ils cartonnent. »

Et ils se diversifient. Le précurseur américain Seeking Arrangement, qui a investi le marché français il y a trois ans, a ainsi créé, aux Etats-Unis, une école de coaching : « Let’s talk sugar », ou l’art de séduire un sugar daddy. En ligne ou en live, des expertes ès « sugaring » prodiguent leurs conseils tarifés aux aspirantes sugar babies…

suggar

Publicité
Commentaires
Publicité