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Jours tranquilles à Paris
18 décembre 2017

« Et si on établissait un régime d’amende propre au vélo ? »

Par Stéphane Foucart - Le Monde

Verbalisé pour avoir grillé un feu rouge à bicyclette, Stéphane Foucart, journaliste au « Monde », s’interroge dans sa chronique sur la possibilité de mettre en place un système de sanction pour les cyclistes plus vertueux.

Pressé par un chef de service inquiet de ne pas voir ses troupes sur le pied de guerre un matin de forte actualité, j’ai, tôt dans la journée du 21 novembre, sur le boulevard de l’Hôpital, à Paris, ignoré un feu rouge. Je le confesse. Il serait commode de prétexter, comme d’usage, un orange un peu mûr, mais l’exigence de vérité impose de le dire : l’orange n’était pas mûr mais pleinement consommé. Il n’était pas possible que le feu fût plus rouge. Aucune vie, cependant, ne fut mise en danger. J’étais à bicyclette, ahanant sur une pente hostile, et je me traînais à misérable allure. Eussé-je heurté un piéton qu’il n’en eût été autrement affecté que par la pitié de voir un cycliste choir sous le faible choc de la collision provoquée par lui. Nul dommage, donc, ni pour moi ni pour d’autres.

Hélas ! La maréchaussée n’était pas loin, tapie dans un véhicule banalisé. On m’arrêta donc. Avec une amabilité contenue, on me tança. On fit taire mes protestations haletantes en agitant une variété d’autres entorses au code de la route pour lesquelles il eût été possible de me verbaliser. C’était le silence consentant ou la banqueroute. En définitive, je fus affligé d’un retard et allégé de la somme de 90 euros au profit du Trésor public – mais c’est après tout la meilleure destination possible à ce dont vous vous trouvez délesté.

On dira, avec raison, que l’indignation ressentie par tout cycliste confronté à pareille situation relève d’une triviale subjectivité. C’est indéniable. Il y a pourtant moyen d’objectiver ce sentiment d’injustice. Voire d’y mettre quelques chiffres. En 2012, l’équipe du professeur Udo Becker (université technique de Dresde) a publié une estimation intégrée des « coûts externes » du transport automobile en Europe. Les chercheurs allemands ont évalué les dégâts produits par la circulation automobile et dont la réparation financière incombe à la collectivité ou bien à d’autres agents économiques que l’automobiliste.

Indemnités kilométriques

Pays par pays, ils ont pris en compte plusieurs types d’« externalités » : les dommages provoqués par le bruit, par la pollution atmosphérique (source de maladies, de dégâts sur le bâti, de réduction des rendements agricoles…), par les accidents de la route, par le changement climatique, etc. Pour la France, leur résultat est saisissant : chaque kilomètre parcouru par un véhicule à moteur thermique pèserait 12 centimes d’euro d’externalités négatives. Et encore ne s’agit-il là que d’une moyenne : pour les trajets urbains, le poids du kilomètre parcouru est bien supérieur à cette valeur.

Or un aller-retour quotidien d’environ 20 kilomètres entre domicile et lieu de travail (comme accompli par votre serviteur), et ce sont chaque année quelque 4 000 kilomètres parcourus en pédalant. Le calcul est simple : ce choix, plutôt que de se caler confortablement dans un véhicule à moteur, fait économiser la somme d’au moins 480 euros par an à la collectivité au sens large.

Il serait trompeur de prétendre que les pouvoirs publics ignorent complètement tout cela. La Mairie de Paris vient d’annoncer plusieurs subventions pour l’achat d’une variété de véhicules deux-roues sans moteur thermique. La ministre chargée des transports, Elisabeth Borne, a pour sa part annoncé, mercredi 13 décembre en clôture des Assises de la mobilité, un plan vélo sur le quinquennat. Ce dernier comprendra un effort financier qui devrait porter non seulement sur la construction d’infrastructures, mais aussi sur de possibles indemnités kilométriques.

Le risque est grand que cet effort soit insuffisant. Car la question du financement se posera crûment et le gouvernement se heurtera à la difficulté de faire appliquer le principe pollueur-payeur. On se souvient de l’abandon en rase campagne de l’écotaxe — l’un des fiascos les plus désastreux du quinquennat précédent (un milliard d’euros annuel de manque à gagner pour l’Etat et les collectivités et des centaines de millions supplémentaires pour le remboursement des portiques déployés).

Magie de la planche à billets

Une autre possibilité pour indemniser les cyclistes (et pourquoi pas tous les agents économiques qui choisissent les comportements de moindre impact environnemental ou sanitaire) pourrait être d’utiliser la magie de la planche à billets (quantitative easing pour les intimes). Mais c’est encore plus compliqué : le clergé monétaire réserve aux Marchés les bénéfices de cette sorcellerie et il n’est pas prévu que les cyclistes puissent le moins du monde en profiter – sauf à ce que l’appel lancé par Pierre Larrouturou et Jean Jouzel, endossé par de nombreuses personnalités et publié le 9 décembre par Le Monde, ne soit entendu. Les signataires n’évoquent pas explicitement le vélo, mais demandent que les liquidités créées par la Banque centrale européenne soient consacrées à financer tout ce qui peut nous sortir de l’addiction aux fossiles.

Le lecteur étant dûment informé du conflit d’intérêts qui mine la neutralité de cette chronique, osons une suggestion : ne serait-il pas judicieux de commencer par le plus simple, c’est-à-dire établir un régime d’amende pécuniaire propre à la bicyclette ? Avant de songer à indemniser les cyclistes, ne serait-il d’abord pas plus simple de les plumer avec moins d’entrain ? Ou dans de plus justes proportions ? Car, après tout, est-il vraiment aussi grave de brûler un feu rouge au volant d’un Hummer qu’au guidon d’une petite reine ?

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