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Jours tranquilles à Paris
12 janvier 2018

« Les années en 8 ont scandé avec une saisissante régularité notre histoire contemporaine »

Par Gérard Courtois, éditorialiste au Monde

1958, 1968, 2008… « Difficile, devant les soubresauts ou les tumultes des années en 8, d’imaginer de quoi 2018 sera porteuse », estime l’éditorialiste au « Monde » Gérard Courtois dans sa chronique hebdomadaire.

Emmanuel Macron a attendu le 8 janvier 2018 pour aller à la rencontre de la Chine. Sage précaution si l’on en croit la symbolique des chiffres, fort prisée dans l’empire du Milieu : signe de plénitude et de prospérité, le 8 y est considéré comme un porte-bonheur. Pékin n’avait-elle pas mis un point d’honneur, il y a dix ans, à inaugurer « ses » Jeux olympiques le 8 août, autrement dit le 8/8/8…

Il sera bien temps de vérifier si 2018 confirme, à Paris, les prédictions de la numérologie chinoise. Une chose est sûre, cependant. Même si elles furent loin de garantir à tout coup réussite et sérénité, les années en 8 ont scandé avec une saisissante régularité notre histoire contemporaine.

Prenez 1958, date évidemment inscrite à l’agenda des commémorations officielles des prochains mois. Nul ne doutait, en janvier de cette année-là, que la IVe République était à bout de souffle, minée par la guerre d’Algérie et empêtrée dans l’écheveau de ses intrigues. Mais le jeune Félix Gaillard, président du conseil depuis quelques semaines, tentait encore un énième rafistolage. Hormis chez les gaullistes les plus activistes, l’hypothèse d’en appeler à l’homme du 18 juin pour sortir le pays de l’ornière était encore évanescente.

En peu de temps, pourtant, l’Histoire bascula. Le 13 mai, c’est l’insurrection, à Alger, des partisans de l’Algérie française. Le 15 mai, le général de Gaulle se dit « prêt à assumer les pouvoirs de la République ». Le 1er juin, il est investi président du conseil par l’Assemblée nationale avec, pendant six mois, les pleins pouvoirs. Le 28 septembre, par référendum, les Français approuvent à 85 % la Constitution de la Ve République. Le 21 décembre, de Gaulle est élu président de la République. Beaucoup, alors, croyaient le régime taillé aux seules mesures du « général ». Soixante ans plus tard, consolidé par l’élection présidentielle au suffrage universel, il a démontré une plasticité à toute épreuve. Emmanuel Macron, à son tour, y puise son autorité.

1968 et 1978 ont laissé des traces

Dix ans passent. « La France s’ennuie… », écrit Pierre Viansson-Ponté dans ces colonnes, le 15 mars 1968. Et d’un coup, la tornade du mois de mai balaie tout sur son passage, enflamme l’université et la jeunesse, hérisse de barricades les rues de Paris, déborde les syndicats, provoque une grève générale digne du Front populaire, paralyse l’Etat et ébranle son vieux chef. Un ultime sursaut permettra à de Gaulle de reprendre la main. Ultime sursis en réalité : moins d’un an plus tard, après un dernier référendum perdu, il jette l’éponge.

En attendant, les valeurs et hiérarchies du vieux monde ont été assez contestées et bousculées pour que, aujourd’hui encore, une droite revancharde feigne de voir dans ce mois de mai libertaire la source de tous nos maux, ou presque. Nicolas Sarkozy, en 2007, fustigeait le « relativisme intellectuel et moral » de Mai 68 et voulait en « liquider l’héritage » pernicieux. Laurent Wauquiez a repris l’antienne il y a peu, datant de ces événements « le début de la déconstruction »…

Moins présente dans les mémoires, la trace de 1978 n’en fut pas moins profonde. Depuis quatre ans, la crise économique avait douché les espoirs portés par Valéry Giscard d’Estaing et la gauche, vent en poupe, paraissait en mesure de remporter les élections législatives. Las, le leader communiste, Georges Marchais, finit par comprendre le piège patiemment tendu par François Mitterrand : l’union de la gauche risquait d’assurer aux socialistes un ascendant irrémédiable (et inédit depuis des décennies) sur les communistes. Marchais se mit donc à tirer à boulets rouges contre les rivaux socialistes et cette désunion suffit pour que la droite sauve sa majorité.

L’habile Mitterrand sut en tirer le bénéfice trois ans plus tard. Unitaire pour deux mais libéré du compagnonnage avec le Parti communiste et ses encombrants parrains soviétiques, il remporta l’élection présidentielle de 1981, imposa l’hégémonie du PS sur la gauche, réconcilia celle-ci avec le pouvoir et fixa le cadre du système politique – droite et socialistes alternant au pouvoir – dans lequel la France a vécu jusqu’en 2017.

Aléas de la numérologie politique

Et l’on peut poursuivre cette déambulation décennale. 1988 ? Le triomphe de Mitterrand, réélu haut la main après deux ans de cohabitation avec la droite de Jacques Chirac, certes. Mais aussi le début du crépuscule d’un trop long règne, miné par l’âge et la maladie du capitaine, et plus encore par les scandales financiers, la corrosion du pouvoir et le renoncement aux ambitions transformatrices de la gauche. Comme quoi les seconds mandats, quand ils adviennent, sont à haut risque…

1998 ? La démonstration que la glorieuse incertitude de la politique n’a rien à envier à celle du sport, en l’occurrence de la coupe du monde de football que la France accueillait. Au printemps, le modeste entraîneur de l’équipe nationale, Aimé Jacquet, était cloué au pilori ; le 12 juillet, après la victoire de Zidane et des siens, il était porté aux nues et les Français clamaient leur bonheur devant cette France « black-blanc-beur » réconciliée et triomphante. Dans les banlieues actuelles, c’est peu dire que cette illusion a fait long feu.

2008, enfin ? Une crise financière puis économique mondiale sans précédent depuis les années 1930 et dont nous sortons à peine. Difficile dans ces conditions, devant les soubresauts ou les tumultes des années en 8, d’imaginer de quoi 2018 sera porteuse. D’autant qu’un autre chiffre magique pour les uns, fatidique pour les autres s’est imposé ces derniers temps. Le 7, comme 1997 et la victoire inattendue de Lionel Jospin, 2007 et le triomphe annoncé de Nicolas Sarkozy, 2017 et la réussite stupéfiante d’Emmanuel Macron. C’est dire les aléas de la numérologie politique.

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