Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
22 mai 2018

L’Europe face au défi du vieillissement

Par Marie Charrel - Le Monde

La chute de la population active va mettre le financement des dépenses sociales à rude épreuve et peser sur la croissance.

Les Finlandais appellent cela « äitiyspakkaus », et ils sont très fiers de cette tradition. Chez eux, chaque future mère reçoit de l’Etat, avant la naissance, une boîte en carton contenant tout le nécessaire pour le nourrisson. Une fois vide, elle se transforme en couffin.

Symbole de la politique familiale généreuse du pays nordique, cette « baby box » fut créée en 1938 pour encourager la natalité. Mais aujourd’hui, elle ne suffit plus : en 2016, pour la première fois depuis cent quarante-huit ans, le nombre de morts (53 629) a dépassé celui des naissances (52 645) en Finlande. « Un choc, raconte Timo Hirvonen, économiste chez FIM Bank, à Helsinki. Cela nous a brutalement rappelé que nous vieillissons. Et que le déclin démographique va nous poser un défi majeur. »

« Chute de la natalité »

Ce n’est pourtant rien à côté de celui qui attend l’Italie. Il y a quelques mois, le maire d’Ollolai, pittoresque village de Sardaigne, a mis en vente 200 maisons pour 1 euro chacune, dans l’espoir de repeupler son bourg : en cinquante ans, la population a chuté de 2 250 à 1 300 habitants. Une ­dizaine de villages italiens ont déjà tenté l’expérience, avec plus ou moins de succès. Et d’autres devraient suivre : en 2017, la population de la péninsule, où les décès surpassent également les naissances, a fondu de 100 000 personnes. L’équivalent de la ville de Pise rayée de la carte.

Ces dix dernières années, l’Union européenne (UE) s’est concentrée sur l’urgence : réparer les dégâts de la crise de 2008, nettoyer son secteur bancaire, relancer l’économie. Elle en a presque oublié l’autre mutation à l’œuvre, susceptible de transformer son économie en profondeur. « Com­me l’ensemble des pays industrialisés, l’Europe vieillit rapidement du fait de l’allongement de l’espérance de vie et de la chute de la natalité », dit Laurent Chalard, géographe de la population à Paris-Sorbonne.

Ces prochaines années, la plupart des pays membres vont voir leur population en âge de travailler diminuer. D’après les projections d’Eurostat, celle-ci (20-64 ans) devrait baisser de 0,4 % par an d’ici à 2040. Sans apport migratoire, l’Europe pourrait perdre 16 % de sa population d’ici à 2060. Et pour cause : à 1,6 enfant par femme, son taux de fécondité est inférieur au seuil nécessaire (2,05, soit 205 enfants pour 100 femmes) pour assurer le renouvellement des générations.

Cette mutation représente aussi une opportunité

Tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne. « La France est mieux lotie, elle vieillit moins vite que l’Italie, l’Espagne ou l’Allemagne », rappelle Gérard Cornilleau, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

D’après les projections de la Bundesbank, la population en âge de travailler (45,8 millions d’individus aujour­d’hui) devrait diminuer de près de 2,5 millions de personnes d’ici à 2025 outre-Rhin. Le basculement observé en Europe de l’Est est plus vertigineux encore : après la chute du bloc communiste, la natalité s’est effondrée tandis que l’émigration a explosé. Vingt millions de personnes ont quitté la région depuis les années 1990, soit 5,5 % de la population. Si bien qu’aujourd’hui, les entreprises polonaises, tchèques ou hongroises font face à une pénurie de main-d’œuvre si sérieuse qu’elle risque de freiner le rattrapage économique de ces pays.

Les optimistes soulignent qu’à l’Ouest, cette mutation représente aussi une opportunité. C’est l’eldorado de « l’économie argentée », en référence aux cheveux poivre et sel des seniors. Selon ­Natixis, celle-ci pèse aujourd’hui 8 900 milliards de dollars (7 500 milliards d’euros) annuels dans le monde, et contribuera pour un tiers à la croissance des principales économies ces trente prochaines années. Car les têtes grises consomment. Bénis soient les baby-boomers, aujourd’hui au seuil de la retraite.

Envolée des dépenses publiques

Grâce à la forte croissance des « trente glorieuses », dont ils ont profité à plein, ils disposent d’un pouvoir d’achat et d’un patrimoine relativement confortables. Pour le tourisme, l’industrie pharmaceutique ou la finance, ils représentent un marché considérable.

« Au début des années 2000, l’Allemagne vivait son vieillissement avec angoisse, remarque Cécile Oberlé, spécialiste de la société allemande à Paris-I et à l’UMR Sirice, un laboratoire spécialisé sur l’Europe. Aujourd’hui, il est vu de façon bien plus positive : les seniors s’engagent, bougent, participent à la société de façon dynamique. »

Mais il ne faut pas s’y tromper : la génération du baby-boom est une exception dans l’histoire. Celles qui suivront ne disposeront probablement pas des mêmes marges de manœuvre financières. Et dans tous les cas, le vieillissement mettra le financement des dépenses sociales à rude épreuve.

Dans l’UE, les dépenses publiques des pays membres liées à la retraite et à l’aide aux personnes âgées devraient gonfler de 50 % d’ici à 2060 pour atteindre 12 % du produit intérieur brut (PIB), selon Bruxelles. Sans parler des dépenses de santé. Pour y faire face, nombre d’Etats ont d’ailleurs engagé des réformes afin d’assurer la pérennité de leurs systèmes de retraite.

Des spécificités nationales

Mais le vieillissement aura aussi une incidence sur la croissance de long terme. Elle est délicate à évaluer. Certaines études théoriques estiment que le déclin démographique est une opportunité pour gérer le ralentissement de l’économie – voire la décroissance promue par certains pour adapter notre consommation aux ressources limitées de la planète. D’autres jugent qu’il devrait se traduire par un niveau de richesse par habitant plus élevé, et nous amènera à innover davantage pour remplacer le départ des travailleurs. D’autres, enfin, soulignent que le vieillissement des actifs provoquera une baisse de la productivité, une moindre diffusion du progrès technique et le déclin de l’innovation.

Il est probable que cela dépende beaucoup des spécificités nationales, comme des politiques publiques mises en œuvre pour accompagner (et freiner) le phénomène. Décaler l’âge du départ à la retraite ne suffira pas. « Former les seniors afin qu’ils conservent leur emploi et continuent de développer leurs compétences est tout aussi indispensable », souligne Mathil­de Lemoine, chef économiste du groupe Edmond de Rothschild, dans une note sur le sujet. En particulier en France, où les plus de 45 ans peu qualifiés bénéficient rarement de formation.

Autre piste : l’ouverture à l’immigration, à laquelle s’essaye, par exemple, l’Allemagne. Mais aussi, le développement du taux d’emploi des femmes, trop faible dans certains pays. Notamment dans le sud de l’Europe, où beaucoup de mères cessent de travailler pour élever les enfants, ou sont cantonnées aux emplois précaires.

Ici, l’enjeu n’est pas seulement de compenser le déclin de la population active. Il est aussi de réduire les inégalités parmi les retraités. Car selon Eurostat, les pensions des femmes européennes sont, en moyenne, 37 % plus basses que celles des hommes.

Publicité
Commentaires
Publicité