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Jours tranquilles à Paris
21 novembre 2018

Enquête : « No Bra », la révolution du sans soutien-gorge est en marche

Par Catherine Rollot

Exit le soutif ? Plébiscité par les stars américaines, le mouvement a gagné l’Hexagone. L’accessoire de lingerie est désormais considéré par de nombreuses femmes comme inutile, voire néfaste. Une libération qui ne va pas de soi.

Adieu baleines, bretelles, bonnets, balconnet ! Se délester de sa lingerie fine est devenu synonyme de liberté pour une communauté grandissante de femmes, adeptes du « No Bra » (« pas de soutien-gorge »). Fini les seins entravés et les poitrines obligatoirement hautes, fermes et rebondies. Place au naturel, à l’acceptation de son corps sans artifices.

Repéré sur les podiums, encouragé par des stars américaines comme Rihanna ou Jennifer Lawrence, le mouvement « No Bra » séduit aujourd’hui une frange d’anonymes. Sur les réseaux sociaux, posts de blog et vidéos vantent les avantages de la vie sans maintien. Et on se motive à grands coups de hashtags tel #NoBraChallenge. Comme on le ferait pour arrêter de fumer ou perdre du poids. Deux mois, un an, trois ans… le passage du push-up au rien du tout est célébré comme une révélation par les sevrées du soutif.

« LE LUNDI MATIN, J’AI REGARDÉ MON SOUTIEN-GORGE ET JE N’AI PAS PÛ ME RÉSOUDRE À LE PORTER. » CLÉMENTINE LAVOTE, CHARGÉE DE COMMUNICATION À NANTES

« J’ai toujours adoré la lingerie, mais porter un soutien-gorge n’a jamais été une partie de plaisir, raconte Clémentine Lavote, 26 ans, chargée de communication à Nantes. Les armatures me faisaient mal, les triangles en dentelle ne gardaient jamais mes seins à leur place. Finalement, je ne me sentais libre que le soir, lorsque ma poitrine n’était plus enfermée. » Avec son 90B, la jeune femme se considère pourtant dans « la norme », et n’a eu de cesse qu’elle ne trouve « le soutien-gorge idéal », depuis qu’elle a commencé à en mettre, « comme tout le monde, à l’adolescence, autour de 12 ans ».

La transition s’est faite lors d’un long week-end de mars 2017, après des lectures sur le sujet. « On portait encore des pulls, je me suis dit que c’était le bon moment d’essayer car ça ne se verrait pas trop. »

« Me réapproprier mon corps »

Pour Clémentine Lavote, aucun doute, « il s’agit d’une libération physique. Le lundi matin, j’ai regardé mon soutien-gorge et je n’ai pas pu me résoudre à le porter. Pour la première fois de ma vie, je suis allée travailler sans et depuis je ne l’ai plus jamais remis. »

Si le confort est l’une des principales raisons évoquées par les adeptes du « No Bra », il s’agit aussi de s’affranchir des normes esthétiques. « Aujourd’hui, j’accepte ma petite poitrine ; un 85B. Je ne cherche plus à la faire paraître plus sexy par des artifices, explique Gala Avanzi, 28 ans, autoentrepreneuse et blogueuse lifestyle (www.galasblog.com), longtemps adepte des push-up. Le “No Bra” m’a aidée à reprendre confiance en moi, à me défaire de mes complexes et à me réapproprier mon corps. »

Dans la veine du « body positive », un mouvement féministe américain en faveur de l’acceptation de toutes les beautés, le « No Bra » relève aussi d’un acte militant, contre l’hypersexualisation de la poitrine. « Les seins, il faut les montrer, il faut les voir, mais jusqu’à une certaine limite : la zone téton, s’insurge Gala Avanzi. Celle-là, elle est classée X : le téton féminin pose problème, contrairement à celui des hommes. » Les voir pointer sous un tee-shirt gêne encore. En juin, une serveuse canadienne de 25 ans a porté plainte contre son ancien employeur, qui exigeait qu’elle porte un soutien-gorge. Sur les réseaux sociaux, les images de tétons ont été longtemps bannies. Une censure dénoncée par le mouvement #FreeTheNipple (#LibérezLeTéton) né aux Etats-Unis en 2014, ou encore par Katie Vigos, une infirmière américaine qui s’est battue pour que les photos d’accouchement et d’allaitement soient autorisées (depuis mars 2018 seulement) sur Instagram et Facebook.

Face à cette pression sociale, pour ne pas paraître trop « aguicheuses », beaucoup de femmes ayant renoncé au soutien-gorge avouent prendre quelques précautions. « J’évite les hauts blancs, les transparences. Même si c’est rare, j’en ai gardé deux que je remets dans certaines circonstances professionnelles, si je dois faire une intervention par exemple », reconnaît Virginie Oks, documentariste indépendante. Cette mère de famille de 42 ans a lâché le soutien-gorge à l’occasion d’un film réalisé sur le sujet, Ma vie sans soutif (2013). « Je suis sortie du geste réflexe par étapes. D’abord, je n’en ai plus porté chez moi, ensuite plus tous les jours à l’extérieur et quasiment jamais aujourd’hui. »

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Une certaine idée de la féminité

Pour toutes ces femmes, un jour la question s’est posée : pourquoi je porte un soutien-gorge ? « Par automatisme, parce que j’ai toujours vu ma mère en mettre », se risque Laurence (certaines femmes ont requis l’anonymat), 35 ans, commerciale chez un géant de l’agroalimentaire, qui alterne périodes avec et sans selon les saisons et les circonstances. « L’achat du premier soutien-gorge est souvent une étape symbolique, qui relève de la transmission mère-fille, d’un rituel de la féminité », confirme l’historienne de la mode Catherine Örmen. Il se fait aux premiers signes de la puberté, parfois dès l’âge de 10 ans, pour masquer l’apparition des bourgeons mammaires.

A 90 ans, Irène Montifroy, elle, n’en a jamais porté. « Maman ne m’en a jamais acheté – de fait avec mes deux œufs sur le plat, je n’en avais pas besoin », se rappelle la vieille dame, qui a travaillé jusqu’à sa retraite dans une exploitation maraîchère dans les Yvelines. Pour cette fille d’agriculteurs, toujours aux champs, le sujet n’était pas abordé en famille. « Seul le travail comptait, alors les seins, pensez… » Un schéma familial qu’Irène n’a pas reproduit avec sa fille unique, Claudine, 62 ans, avec qui elle a parlé « chiffons ».

Au-delà de leur utilité sur le soutien et la fermeté des seins, contestée par de rares études sur le sujet, dentelles et tulles participent à une certaine idée de la féminité, voire de la séduction. Un aspect qui ne semble pas être un problème pour l’entourage des « No Bra ».

« Mon mari n’a pas spécialement tiqué, et je n’ai pas l’impression d’être moins séduisante sans cet accessoire vestimentaire », témoigne Elodie, 39 ans, consultante en ressources humaines en région parisienne, qui laisse ses seins libres de toute entrave le week-end et de façon moins systématique en semaine. « En revanche, quelques réflexions sont venues d’amies qui m’ont dit : “Tiens, tu ne portes plus de soutien-gorge, moi je ne pourrais pas, j’ai une trop grosse poitrine”, ou alors la sempiternelle question : “Tu n’as pas peur que ça tombe ?”. »

Effet « Slow Bra »

Œillades un peu trop appuyées, petite gêne chez le médecin quand, à l’injonction « mettez-vous en culotte, soutien-gorge », on se sent obligée de préciser « ah désolée, je n’ai pas de haut »… De l’avis de toutes, l’inconvénient majeur de ce choix tient au regard des autres. Pour autant, rares sont celles qui, une fois franchi le pas, envisagent de revenir en arrière, même si elles sont nombreuses à garder une ou deux reliques à bretelles au fond de leur tiroir.

Les fabricants s’adaptent eux-mêmes à ce désir de décorsetage. Ils proposent de plus en plus de brassières et de dessous sans armatures. Dans un marché global de la lingerie en léger recul (– 1,9 % en valeur en 2017 par rapport à l’année précédente), baleines et push-up ont les ventes dans les chaussettes.

Chez Princesse tam-tam, qui cible les 30-40 ans, Marion Grandrie, responsable marketing de l’offre, scrute les envies de cette « nouvelle génération de clientes qui plébiscitent le confort et la légèreté, qui veulent être bien et belles dans leurs sous-vêtements. Pour elles, et non pour le plaisir des hommes. » Les chiffres du fabricant en disent long : en 2017, les soutiens-gorge avec armatures ne représentaient plus que 30 % des achats (contre 50 % en 2016), au profit des modèles souples comme les brassières ou les triangles, en augmentation de 105 %.

Même les marques plus traditionnelles, comme Lejaby, « corsetier créateur depuis 1930 », n’échappent pas à l’effet « Slow Bra », comme le qualifient blogueuses et instagrameuses. Le best-seller du moment est un modèle triangle tout en dentelle élastique, de la collection « l’air du temps ». La bien-nommée.

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