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Jours tranquilles à Paris
7 janvier 2019

5G, la course est lancée

Par Charles de Laubier

Les enjeux géopolitiques autour de la cinquième génération de téléphonie mobile se mêlent aux défis financiers et concurrentiels. Les opérateurs télécoms craignent de perdre la main.

Personne ne l’a encore vue, mais tout le monde en parle. Alors que les déploiements commerciaux de la 5G ne sont pas attendus avant 2020, cette cinquième génération de téléphonie mobile échauffe déjà les esprits et sera de toutes les conversations à la grand-messe mondiale l’électronique grand public qui se tiendra à Las Vegas du 8 au 11 janvier 2019.

Au point que cette technologie est devenue un enjeu géopolitique majeur entre la Chine et les Etats-Unis. L’empire du Milieu montre ses muscles depuis trois ans avec son plan de développement industriel « Made in China 2025 », sur lequel Pékin compte pour devenir la référence mondiale dans les nouvelles technologies comme la robotique, les semi-conducteurs, l’espace, les voitures électriques, l’impression 3D et les télécommunications, dont, bien sûr, la 5G.

Cette ambition fait peur à Washington. C’est « effrayant », avait lâché en avril 2018 le secrétaire au commerce des Etats-Unis, Wilbur Ross, craignant non seulement pour les droits de propriété intellectuelle américains, mais surtout pour la sécurité nationale. La 5G est perçue par certains Etats comme la boîte de Pandore à ne pas ouvrir car elle transportera les données sensibles des gouvernements, des citoyens, des patients, des objets connectés, demain des voitures autonomes. Donald Trump a aussi dans le collimateur les équipementiers télécoms chinois tels que ZTE et Huawei – champions potentiels des infrastructures 5G.

« Le déploiement de la 5G va permettre l’essor de nouveaux services développés par les entreprises et de nouveaux usages dans notre quotidien. Ce déploiement intervient dans un contexte de tensions commerciales et géopolitiques », déplore Steeve Bourdon, un porte-parole de Huawei. La politique protectionniste de Trump, assortie de son slogan « America First », touche de plein fouet la 5G, qui fait l’objet d’une « guerre froide » technologique.

Le chinois Huawei, qui dispute au sud-coréen Samsung le titre de numéro un mondial des smartphones après avoir détrôné cette année Apple de la deuxième place, est également en pole position pour fournir aux opérateurs de mobile des équipements 5G. Le premier marché de la firme de Shenzhen est, bien sûr, la Chine, mais à l’exportation, ce sont les Etats-Unis. L’Australie est également en pointe sur l’ultra haut débit mobile. Or les autorités américaines et australiennes veulent justement barrer la route aux fournisseurs chinois, Huawei et ZTE en tête.

La 5G, nouvelle ligne Maginot

Selon le quotidien The Australian, Donald Trump s’apprête à bannir – sans les nommer – les chinois du marché américain de la 5G pour des raisons de sécurité nationale, en prenant exemple sur l’Australie qui a annoncé une décision en ce sens le 23 août 2018. La Maison Blanche réfléchit à des mesures de restrictions à l’encontre des fabricants chinois de produits 5G. Verizon, dirigé depuis 2017 par le Suédois Hans Vestberg, ancien patron d’Ericsson, a devancé l’appel en démarrant dans quatre villes américaines sa pré-5G fixe avec… Ericsson.

Et selon le Wall Street Journal du 23 novembre 2018, le gouvernement américain tente même de dissuader ses alliés d’acheter chinois en leur proposant de les aider financièrement à acquérir des équipements « politiquement corrects ».

A peine sortie des limbes de sa normalisation technique par l’Union internationale des télécommunications (UIT), cette cinquième génération – après les 2G, 3G et 4G – est donc prise en otage par les politiques au risque de ralentir les investissements et les lancements commerciaux. « L’Europe n’est pas en retard sur la 5G, mais elle doit veiller à ne pas en prendre… Il importe, après les expérimentations techniques de 2018 et les expérimentations précommerciales en 2019, de tenir le calendrier des lancements commerciaux prévus pour 2020-2021 », prévient Jean-Pierre Bienaimé, secrétaire général de la 5G Infrastructure Association (5G-IA), basée à Bruxelles, où l’on retrouve des opérateurs de télécoms comme Orange, Telecom Italia ou Telenor mais aussi des équipementiers tels que Huawei aux côtés d’Ericsson ou Nokia.

Or la Grande-Bretagne, où des fréquences 5G ont été vendues dès avril 2018, a mis en garde ses opérateurs télécoms – BT et sa filiale mobile EE en tête – sur le choix de leurs équipements mobile de nouvelle génération. Ils devront être conformes aux exigences de sécurité des « infrastructures critiques nationales » en vigueur depuis juillet 2018. Comprenez : les fournisseurs chinois ne sont pas les bienvenus.

L’Allemagne, qui va, début 2019, vendre aux enchères ses fréquences 5G, s’interroge. Cette défiance occidentale envers Huawei et ZTE – voire Xiaomi et ses smartphones – joue en faveur des équipements réseaux du sud-coréen Samsung, du suédois Ericsson et du finlandais Nokia, ou encore des puces 5G pour smartphones de l’américain Qualcomm.

La France n’en est pas encore là. SFR n’a pas eu de scrupule à réaliser en mai 2018 ses premiers tests 5G « en conditions réelles » avec des équipements Huawei – dont une box 5G. En plus du nouveau siège parisien Altice Campus de sa maison mère, où de la vidéo en ultra haute définition 4K est diffusée en 5G, d’autres expérimentations d’ultra haut débit mobile sont prévues à Toulouse et à Nantes.

Des essais sont aussi en cours avec Nokia. De son côté, Bouygues Telecom étend à la 5G le partenariat qu’il avait déjà avec Huawei dans la 4G. La filiale française du chinois détenu entièrement par ses employés se veut rassurante : « Depuis sa création il y a trente ans, et sa présence en France depuis seize ans, il n’y a jamais eu le moindre problème de cybersécurité sur un équipement Huawei », indique son porte-parole.

Quant à Orange, il expérimente la 5G avec Ericsson, à Lille-Douai notamment, mais reste vague pour la suite. « Orange n’a pas encore arrêté ses choix en matière de fournisseurs 5G, dont les équipements retenus devront en tout état de cause respecter les réglementations nationales en vigueur et à venir », répond Mari-Noëlle Jégo-Laveissière, directrice générale adjointe d’Orange, chargée de la technologie et de l’innovation. Avant que son patron, Stéphane Richard, ne lance le 12 décembre : « Nous n’avons pas prévu de faire appel à Huawei dans la 5G ».

« La fibre sans fil » n’a pas fini de jouer les trouble-fête

L’opérateur teste aussi la technologie en Roumanie, en Belgique, en Espagne et en Pologne, où les éventuelles consignes gouvernementales ne seront pas forcément les mêmes qu’en France. Au Japon, où les fréquences 5G seront attribuées en mars et opérationnelles à l’occasion des Jeux olympiques de l’été 2020, les équipementiers maison (Fujitsu, NEC, Mitsubishi) devraient bénéficier d’une préférence nationale de la part des opérateurs NTT Docomo, Softbank et KDDI.

Quoi qu’il en soit, « la fibre sans fil », comme on la surnomme déjà, n’a pas fini de jouer les trouble-fête dans les télécoms. La 5G pourrait fragiliser les opérateurs de réseaux confrontés à de lourds investissements tels que la fibre à domicile (FTTH), elle-même menacée de cannibalisation par les futures « box 5G ». La fin annoncée du distinguo entre fixe et mobile pourrait déstabiliser le marché. Selon Deutsche Telekom, les opérateurs télécoms européens devront mettre sur la table jusqu’à 500 milliards de dollars (438 milliards d’euros) rien que dans l’ultra haut débit mobile. « Cette estimation intègre l’achat et l’installation de matériels ainsi que l’achat de fréquences », précise Flavien Vottero, directeur d’études économiques chez Xerfi.

En Italie, premier pays européen à avoir vendu aux enchères ses fréquences 5G, l’Etat a engrangé, début octobre 2018, 6,5 milliards d’euros (dont 2,4 milliards payés par Vodafone et 1,2 milliard par Iliad). L’Allemagne espère 4 à 5 milliards d’euros de ses enchères ! Aux Etats-Unis, où la Commission fédérale des communications (FCC) a lancé le 14 novembre 2018 sa première vente aux enchères de fréquences 5G, le dernier kilomètre est quatre fois moins cher à déployer en 5G (600 dollars par foyer) qu’en fibre (jusqu’à 2 900 dollars à la campagne).

Mais c’est sans compter le prix des fréquences. Au sein du think tank européen Idate, la consultante Carole Manero se veut prudente : « La question des investissements liés à la 5G est extrêmement sensible, tout d’abord parce que peu de chiffres circulent, que les rares estimations apparaissent parfois fantaisistes et divergentes, et qu’enfin, peu de gens ont une idée claire sur le sujet. »

« Logique de complémentarité »

En France, où le régulateur des télécoms et le gouvernement n’ont pas encore arrêté leur décision sur le mode d’attribution des fréquences 5G, attribution qui commencera à l’été 2019 (enchères, « concours de beauté » ou gratuité contre une couverture généralisée du territoire), le régulateur des télécoms ne s’attend pas à la cannibalisation du très haut débit fixe par le très haut débit mobile.

« Les pays qui se lancent dans la 5G fixe [pour la télévision ou l’Internet à domicile], comme les Etats-Unis, sont très en retard sur la fibre, contrairement à la France. Chez nous, on sera plus dans une logique de complémentarité. D’abord parce que la 5G va être plus une “4G +” pendant quelques années, avant de pouvoir atteindre sa réelle promesse technologique. Ensuite, elle restera une technologie mobile, avec des débits variables, qui peuvent être dégradés par le nombre d’utilisateurs ou des usages très consommateurs de bande passante », temporise Sébastien Soriano, le président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep).

EN FRANCE, LES OPÉRATEURS TÉLÉCOMS ORANGE, SFR, BOUYGUES TELECOM ET FREE FONT DES APPELS DU PIED AUX POUVOIRS PUBLICS (GOUVERNEMENT, ARCEP, AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE) POUR PASSER DE QUATRE À TROIS ACTEURS

Handicapés par leurs investissements en couverture 4G à terminer et par la coûteuse fibre à domicile où les abonnés manquent à l’appel (sur 12 millions de prises FTTH en France, seules 4 millions font l’objet d’un abonnement), les opérateurs télécoms Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free font des appels du pied aux pouvoirs publics (gouvernement, Arcep, Autorité de la concurrence) pour passer de quatre à trois acteurs. L’objectif de cette consolidation viserait à faire cesser la guerre des prix qui lamine leurs marges et, selon eux, permettrait d’accroître leur capacité d’investissement dans le très haut débit – alors que les fréquences 5G s’annoncent coûteuses.

« Sur la consolidation dans les télécoms, la porte de l’Arcep est désormais entrouverte », avait lancé M. Soriano le 22 mai 2018. L’a-t-il refermée depuis ? « Le secteur peut fonctionner à quatre opérateurs et notre régulation pro-investissement est adaptée à cette configuration, dit-il au Monde. En particulier, nous les autorisons à partager leurs coûts, comme Bouygues et SFR le font déjà avec un réseau commun hors des principales agglomérations. J’aimerais que les opérateurs, au premier rang desquels Orange, me parlent davantage de leurs ambitions pour la France. J’appelle tous les acteurs à être au rendez-vous de la 5G ! »

D’une guerre de la capacité à une concurrence sur les contenus ?

Mais les difficultés de Free et de SFR pourraient faire revenir l’idée de consolidation par la fenêtre… En Allemagne, le régulateur veut au contraire profiter de la 5G pour faire entrer un quatrième opérateur afin de concurrencer Deutsche Telekom, Vodafone et Telefonica Deutschland. Les Européens ne semblent pas prêts à payer plus cher leur consommation « mobile ». Or les opérateurs, eux, espèrent augmenter leur ARPU (le revenu moyen par abonné). La bataille des forfaits va-t-elle passer d’une guerre de la capacité (quantité de données inclue en gigaoctets) à une concurrence sur les contenus ?

Autre facteur de rupture pour les opérateurs télécoms en place : le fait que l’Europe ait décidé d’autoriser des utilisateurs dits « verticaux » – industries, transports, constructeurs automobiles, banques, collectivités, voire les géants du Net (les GAFA) – à acquérir eux aussi des fréquences 5G. Imaginons la SNCF, PSA, Google ou Facebook devenant leur propre opérateur mobile.

Les « telcos » ne voient pas d’un très bon œil cette ouverture du marché. « En spécialisant les fréquences par usage, on dégrade l’expérience client et la capacité d’investissement des acteurs économiques. D’ailleurs, cela ne répond pas vraiment aux besoins de nos clients de l’entreprise, qui demandent à pouvoir justement bénéficier de la connectivité des opérateurs mobile (pour accéder à Internet, etc.), tout en disposant pour certains de fonctionnalités professionnelles. Avec la 5G, ce type de solutions sera bien plus simple et facile à mettre en œuvre par les opérateurs », met en garde Mari-Noëlle Jégo-Laveissière chez Orange.

Il n’empêche qu’une attribution plus large des fréquences 5G permettra à certains « verticaux » de s’affranchir des opérateurs télécoms. Déjà enfer géopolitique, la boîte de pandore de la 5G ouvrira alors sur une nouvelle donne économique.

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