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Jours tranquilles à Paris
9 janvier 2019

Le « grand débat » ou la difficile reconquête de l’opinion par Macron

Par Cédric Pietralunga, Olivier Faye

Chantal Jouanno, qui devait garantir l’indépendance de la consultation, a jeté l’éponge après une polémique sur son salaire.

Emmanuel Macron espérait en faire l’outil de sa reconquête de l’opinion. Ce pourrait être un nouvel épisode de son annus horribilis. Conçu pour répondre à la crise des « gilets jaunes », le « grand débat » voulu par le chef de l’Etat, dont le lancement est prévu mardi 15 janvier, ne sera finalement pas conduit par Chantal Jouanno. La présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP), qui devait garantir l’indépendance et la transparence de la consultation, a préféré jeter l’éponge, après une polémique sur son salaire.

« J’ai décidé de me retirer du pilotage de ce débat », a déclaré l’ancienne ministre de Nicolas Sarkozy, mardi 8 janvier sur France 2, estimant que si les interrogations exprimées par des « gilets jaunes », mais aussi des membres de l’opposition, à propos de son niveau de rémunération (14 666 euros par mois) étaient « légitimes », les « conditions de sérénité nécessaires pour ce débat » n’étaient plus assurées. « C’est une décision que j’ai prise parce que je crois en ce débat (…) plus que nécessaire », a-t-elle ajouté.

Mis devant le fait accompli, même si Chantal Jouanno avait prévenu Emmanuel Macron, le chef du gouvernement Edouard Philippe et le ministre de la transition écologique François de Rugy de sa décision avant de l’annoncer, l’exécutif se retrouve dans la situation de devoir improviser à quelques jours du lancement de la consultation.

« Le gouvernement (…) proposera à l’issue du séminaire gouvernemental [organisé mercredi à l’Elysée] une organisation et un mode de pilotage du grand débat national qui présenteront des garanties équivalentes en termes d’indépendance et de neutralité », a réagi Matignon mardi soir, sans donner plus de détails.

Opération « reconquista »

Cet épisode intervient alors que Chantal Jouanno avait exprimé des inquiétudes sur le bon déroulement de la consultation. Dans une lettre adressée à Matignon, le 15 décembre 2018, elle avait notamment pointé le risque que les réunions, qui doivent se dérouler partout en France jusqu’au 15 mars, soient perçues comme des « meetings politiques ». « Il est primordial de ne jamais laisser entendre que le gouvernement pilote directement ou indirectement la méthode du débat », avait-elle insisté, alors que l’opposition dénonce par avance « une opération d’enfumage ».

De la même façon, la présidente de la CNDP avait estimé légitime que le gouvernement fixe le cadre du débat, mais lui déconseillait de tracer des « lignes rouges ». « Afficher une telle position avant l’ouverture du grand débat en videra les salles ou en radicalisera plus encore les oppositions », avait-elle écrit.

Invité de BFM-TV le 8 janvier, Benjamin Griveaux a pourtant annoncé que ni le droit à l’interruption volontaire de grossesse, ni l’interdiction de la peine de mort, ni le mariage pour tous ne « seront sur la table », donnant le sentiment de vouloir verrouiller par avance les discussions. « On ne tergiversera pas sur les valeurs », a justifié le porte-parole du gouvernement.

La décision de Chantal Jouanno est d’autant plus dommageable pour l’exécutif que celui-ci a fait du « grand débat », dont les contours doivent être précisés par Emmanuel Macron dans une lettre aux Français publiée mi-janvier, l’élément central de son opération reconquista. « Beaucoup de Français, mais aussi les élus, les syndicats, veulent sortir de ce conflit. La consultation lancée par le président peut être la solution », estime Sacha Houlié, député La République en marche (LRM) de la Vienne.

Signe de son implication, le chef de l’Etat a lui-même prévu d’y participer, malgré les préventions de la CNDP quand aux accusations de partialité.

Ne pas ralentir le rythme des réformes

Le 15 janvier, Emmanuel Macron se rendra ainsi dans l’Eure, fief de son ministre chargé des collectivités locales, Sébastien Lecornu, où il a prévu de rencontrer plusieurs dizaines de maires, notamment ceux des petites communes qui ont ouvert des « cahiers de doléances » pour permettre à leurs administrés d’exprimer leurs attentes. Deux jours plus tard, il récidivera dans le Lot. « Le président sera dans une posture d’écoute, à l’image de celle qu’il a eue avec les syndicats le 10 décembre », rassure-t-on à l’Elysée.

Ces déplacements, les premiers en public du chef de l’Etat depuis sa visite mouvementée du Puy-en-Velay, le 4 décembre, où il avait été insulté et même poursuivi par des « gilets jaunes », donneront une indication de la capacité d’Emmanuel Macron à renouer le contact avec les Français. « On est pas dans une angoisse qui nous obligerait à mettre un périmètre de sécurité de cinquante mètres autour de lui », assure-t-on à l’Elysée, où l’on n’exclut pas que le président improvise des bains de foule si l’occasion se présente.

Mais si ces déplacements ou le « grand débat » se passent mal, c’est toute la stratégie de l’exécutif qui pourrait se voir remise en cause. Un temps paralysé par la violence exprimée lors des manifestations des « gilets jaunes », le chef de l’Etat et son premier ministre affichent depuis le début de l’année leur résolution à ne pas ralentir le rythme des réformes. « L’impatience, que je partage, ne saurait justifier aucun renoncement », a lui-même déclaré M. Macron lors de ses vœux télévisés aux Français, le 31 décembre, persuadé que le mouvement n’est pas une invitation à l’immobilisme.

« Les “gilets jaunes” ne traduisent pas une envie de statu quo mais un besoin de résultats. Ce qu’ils nous reprochent, c’est de ne pas voir l’impact des réformes dans leurs vies. Les gens veulent voir les choses bouger », estime-t-on à l’Elysée, où les cars Macron sont souvent cités comme l’exemple à suivre des mesures visibles par les Français. « Peut-être avons nous trop composé avec certains conservatismes, nous allons changer cela (…) nous allons aller plus loin dans le changement, être plus radicaux », a résumé Benjamin Griveaux, à l’issue du conseil des ministres le 4 janvier.

Ne pas jeter de l’huile sur le feu

« Nous n’avons pas tout réussi, il faut davantage de dialogue, de co-construction. Mais l’élan est là, nous n’avons pas de doutes, abonde l’entourage d’Edouard Philippe à Matignon. Nous avons transformé beaucoup de choses, atteint le niveau d’ambition des réformes Hartz chez Schröder. Il faut que maintenant les acteurs s’en saisissent. » L’exécutif compte notamment porter plus d’attention à l’application des réformes une fois qu’elles sont votées, en mobilisant notamment les directeurs d’administrations centrales. « Les gens nous disent : faites avancer les choses ! », plaide Amélie de Montchalin, députée (LRM) de l’Essonne.

Soucieux de ne pas jeter de l’huile sur le feu, l’exécutif a néanmoins décidé d’adapter son calendrier. Sur les trois chantiers inscrits à l’agenda 2019 par le président de la République – les retraites, l’assurance chômage et la fonction publique –, priorité devrait être donnée à la réforme de l’Etat. Un premier texte sera présenté en conseil des ministres fin janvier puis détaillé par M. Macron devant les 1 800 plus hauts cadres de l’administration, lors d’une « convention des managers » prévue en février à l’Elysée.

A la tête de l’Etat, on estime en effet que la réforme de la fonction publique est le chantier le moins susceptible de provoquer des polémiques. « Les fonctionnaires, c’est cinq millions de personnes, alors que les retraites, ça touche tout le monde », souffle un conseiller, persuadé que les « gilets jaunes » ne se mobiliseront pas contre une baisse des dépenses de l’Etat. « Si on réussit cette réforme, cela peut nous redonner de la dynamique, comme une première marche sur laquelle on s’appuie pour prendre l’impulsion », estime même cette source.

A l’inverse, les grandes lignes de la réforme des retraites ne seront pas dévoilées avant le début de l’été. Pas question de polluer les élections européennes, prévues le 26 mai, avec un sujet aussi éruptif. Interrompue début décembre 2018, la négociation avec les syndicats, menée par Jean-Paul Delevoye, ne devrait pas reprendre avant le 21 janvier.

« Le président a la patate »

Au sein de la majorité, certains plaident même pour reporter le sujet à 2020. « Ce n’est pas la priorité du moment, il faut d’abord réussir le grand débat citoyen », a ainsi estimé Olivier Damaisin, député (LRM) de Lot-et-Garonne, dans Le Figaro du 7 janvier. Selon un ministre, la « teneur du grand débat » aura nécessairement une influence sur cette réforme. « Il n’y a pas grand-chose de déconnecté », estime-t-il encore.

En attendant, l’exécutif n’entend pas céder au découragement. A écouter ses proches, Emmanuel Macron serait rentré ragaillardi de ses vacances de Noël au fort de Brégançon (Var), où il a pu s’offrir quelques promenades privées à Saint-Tropez et à Borme-les-Mimosas malgré la menace des « gilets jaunes ».

« Le président a la patate », assure un proche. Un sondage publié par l’IFOP le 8 janvier lui donne il est vrai des raisons d’espérer. Selon l’institut, la cote de popularité d’Emmanuel Macron a repris cinq points en janvier, pour atteindre 28 % d’opinions positives. Un rebond inédit depuis le mois d’octobre.

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