Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
21 janvier 2019

La Macronie divisée face à la grande marche de soutien au pouvoir du 27 janvier

Par Cédric Pietralunga, Alexandre Lemarié, Olivier Faye - Le Monde

A quelques jours de la manifestation à Paris, trois groupes s’opposent au sein de la majorité : ceux qui souhaitent participer au défilé, ceux qui sont contre, et les autres, encore traversés par le doute.

Emmanuel Macron est-il en train d’« endormir » les « gilets jaunes » avec son grand débat national, comme le craint Priscillia Ludosky, une des chefs de file du mouvement ?

En termes de mobilisation, l’« acte X » de la révolte des ronds-points a réuni près de 84 000 personnes dans toute la France, samedi 19 janvier, selon les chiffres du ministère de l’intérieur. Un niveau équivalent à celui de la précédente journée de rassemblement, une semaine plus tôt, donc.

Sauf que cette fois-ci, le rendez-vous a pris de faux airs de cortège syndical : pour la première fois depuis le début de la fronde, il y a près de trois mois, les organisateurs ont donné leur propre chiffre de la participation – soit 147 365 personnes « minimum » – et mis en place un semblant de service d’ordre. De quoi contribuer à « normaliser » le rituel du samedi, alors que le chef de l’Etat retrouve au même moment quelques couleurs dans les sondages.

Vendredi, un ministre se félicitait en petit comité des chiffres d’une enquête de l’IFOP en vue des élections européennes du 26 mai, qui donne La République en marche (LRM) en tête (23 %) devant le Rassemblement national (RN, 21 %). Une première depuis plusieurs semaines. « Jamais je n’aurais imaginé que l’on fasse plus cinq points et le RN moins trois, souffle ce macroniste de la première heure, qui voit dans ce renversement un réflexe légitimiste en faveur de l’ordre après les violences perpétrées en marge de manifestations des « gilets jaunes ». « Tout le monde n’a pas enfilé un gilet dans le pays. Certains, qui sont silencieux, trouvent que ça suffit. C’est maintenant que l’on mesure l’impact des images de destruction de l’Arc de Triomphe en décembre [2018]. »

La cote de popularité du président de la République, pour sa part, frémit à la hausse, avec 27 % de bonnes opinions (+ 4 points), selon une autre étude de l’IFOP, publiée dimanche.

Ne pas instrumentaliser les « gilets jaunes »

A l’Elysée, on se refuse néanmoins à tout triomphalisme, même si l’étau autour du chef de l’Etat semble se desserrer après pas loin de quatorze heures d’échanges cumulés avec des maires de Normandie, le 15 janvier, puis d’Occitanie, trois jours plus tard.

« Nous avançons à petits pas, le chemin sera long avant de gagner l’apaisement du pays », assure-t-on dans son entourage. Comme il l’a annoncé lui-même, M. Macron devrait continuer à se déplacer en France ces prochaines semaines pour rencontrer des élus et inciter les Français à participer à son « grand débat ».

Le prochain déplacement devrait avoir lieu, jeudi 23 janvier, dans une région et un format qui restaient encore à déterminer lundi matin. Seule certitude : l’ancien ministre de l’économie ne devrait pas rencontrer de « gilets jaunes », comme l’y incite pourtant une partie de l’opposition. « On ne veut pas les instrumentaliser, ils n’apprécieraient pas », assure un conseiller élyséen.

« L’enseignement de ces deux premiers débats, où l’on a vu un Emmanuel Macron tonique, qui n’est pas dans l’évitement, c’est que le président de la République doit être dans un travail de conviction auprès des Français, pas dans un rôle de gouvernement, qui est celui du premier ministre », estime Philippe Grangeon, l’un des proches conseillers du chef de l’Etat.

Une manière d’essayer de remettre « Jupiter » en orbite et de laisser à Edouard Philippe la gestion du quotidien avant de lancer l’« acte II » du quinquennat – ce dernier doit néanmoins participer aussi à des débats prochainement. Emmanuel Macron n’a pas prévu pour le moment d’intervenir à la télévision dans le cadre d’un débat ou d’un entretien avec des journalistes. « Nous ne sommes qu’au début de la séquence, il faut rester plastique et agile », explique-t-on à l’Elysée.

« C’est un choix cornélien »

Une agilité dont va aussi avoir besoin la majorité à quelques jours de la manifestation de soutien au pouvoir qui est prévue dans les rues de Paris, dimanche 27 janvier.

Sur la messagerie Telegram, la Macronie a beaucoup débattu ces dernières heures de l’opportunité de se rendre à cette « marche républicaine des libertés », lancée en décembre 2018 sur Facebook par deux collectifs citoyens.

Trois groupes s’opposent : ceux qui souhaitent participer au défilé, ceux qui sont contre, et les autres, encore traversés par le doute. « La question n’est toujours pas tranchée. C’est un choix cornélien », observe le délégué général adjoint de LRM, Pierre Person, qui se dit « partagé » à titre personnel.

« J’envisage d’y aller, en tant que citoyenne. Je refuse de céder à la peur, explique pour sa part la députée (LRM) des Yvelines, Aurore Bergé. Après les attentats, on a tous dit : “il ne faut pas avoir peur et ne pas changer nos habitudes”, c’est la même chose aujourd’hui. Il faut défendre les valeurs de la République face à ceux qui l’attaquent. »

« Tout ce qui va dans le sens du soutien du président de la République, je le ferai, ça va de soi », assurait aussi, le 6 janvier, le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, prêt à descendre lui-même dans la rue. Après tout, André Malraux menait bien la foule des manifestants, le 30 mai 1968, pour soutenir le général de Gaulle face à la révolte étudiante.

« Ce n’est pas le bon moment »

Mais à mesure que l’échéance approche, les certitudes s’estompent. « Il n’y a pas d’engagement ferme, les contours de l’événement ne sont pas clairs pour l’instant », freine-t-on aujourd’hui dans l’entourage de M. Blanquer. Est-il bien nécessaire de battre le pavé quand l’apaisement guette ? « Ce n’est pas le bon moment, c’est trop tard, estime un autre ministre. Il ne faut pas remettre en route ce qui pourrait être ressenti comme du mépris. » « Les élus font ce qu’ils veulent mais pour un ministre, c’est compliqué de participer à une manif’ », juge pour sa part le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux.

Cette frilosité est partagée par Stanislas Guérini, délégué général de LRM, qui a indiqué qu’il n’« ira[it] pas » à titre personnel, expliquant ne pas vouloir « prendre le risque qu’il puisse y avoir dans la rue à un moment un camp contre un autre ».

Le maintien de l’ordre public est un souci constant dans la bouche des « anti ». « Comme nous ne sommes pas sûrs de pouvoir éviter un affrontement de rue, on ne peut pas se permettre de prendre le risque d’en faire partie », juge un poids lourd de la majorité. « Je suis préoccupé à l’idée de créer nous-même un moment de confrontation potentielle », abonde un conseiller d’Edouard Philippe, qui prévient : « Ce n’est pas à nous de dire à chacun quoi faire. En tout cas, l’initiative n’est ni coordonnée ni suscitée par nous. »

« On ne sait pas trop qui organise le truc », avance même un ministre pour justifier ces réticences, feignant de s’emmêler les pinceaux au moment de nommer ce collectif des « foulards rouges » qui cherche à mobiliser en leur faveur.

Car, au fond, c’est la crainte du flop qui prédomine. « Nous ne sommes pas en mai 1968, et je ne vois pas de général de Gaulle », grince un membre éminent de la majorité. « Que les militants aient envie d’y aller, très bien, mais nous, les élus, ce n’est pas notre rôle. Nous avons été élus pour trouver des solutions à la crise », juge Aurélien Taché, député (LRM) du Val-d’Oise. Et de mettre en garde : « le clivage ne doit pas être contre les Français. Si on se met dans la logique de se compter, bloc contre bloc, on risque de renforcer les “gilets jaunes”. » Et d’exciter une contestation que l’on cherche à endormir.

Publicité
Commentaires
Publicité