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Jours tranquilles à Paris
27 janvier 2019

L’homme est un objet érotique comme les autres

Par Maïa Mazaurette - Le Monde

Les arguments avancés par les hommes pour refuser de s’embellir sont nombreux et d’une mauvaise foi épatante. La chroniqueuse de « La Matinale » Maïa Mazaurette s’emploie à les réduire en pièces…

LE SEXE SELON MAÏA

Le corps des hommes existe-t-il ? Quand on entend certains d’entre eux exiger des femmes l’impossible (mettons, la jeunesse éternelle), sans s’interroger une seconde sur leur propre vieillissement ou sur leur propre apparence, on est en droit de se poser la question. Quand on en entend d’autres se plaindre d’une libido féminine défaillante, sans rien faire pour la stimuler, on croit rêver : le désir féminin serait-il si cérébral, si mystérieux, qu’il ferait abstraction de pectoraux en acier ? A d’autres.

D’ailleurs, si nous décollons le nez un instant des polémiques du moment, il devient impossible de nier le timide essor d’une corporéité masculine. Par exemple, les hommes ont des complexes. Selon des études menées par NBCnews sur plus de 100 000 hommes hétérosexuels, 5 % évitaient les rapports sexuels par honte de leur apparence, 5 % avaient du mal à se déshabiller devant l’autre, 14 % rentraient le ventre pendant l’amour, et 4 % cachaient leurs parties génitales (note pratique : il est temps de bander les yeux de vos compagnes et compagnons). Les 4 000 homosexuels interrogés rapportaient des chiffres encore plus élevés : 20 % esquivaient le sexe parce qu’ils se trouvaient moches, et 28 % rentraient le ventre.

Si les deux tiers des hommes hétérosexuels ont tenté de s’embellir par le régime, l’exercice ou la chirurgie, si 22 % d’entre eux se sentent mis sous pression par les médias… c’est bien qu’un certain message est passé : la beauté compte. Et son royaume s’étend bien au-delà de l’aspect purement sexuel (l’essai incontournable sur la question s’appelle Le Poids des apparences, par Jean-François Amadieu, paru aux éditions Odile Jacob en 2002).

Si vous voulez être désiré, soyez désirable

En ce qui concerne l’accès au plaisir sexuel, les bénéfices d’une belle allure sont indéniables. Nous ne sommes pas encore « sapiosexuels » (attirés uniquement par le cerveau de nos partenaires). Nous ne pouvons pas encore réellement faire l’amour à travers des avatars informatiques. Au risque de contrarier les purs esprits : le rapport charnel implique la présence de chair. Qui sera observée, jugée certainement, et appréciée si tout se passe bien. Pour le dire clairement : si vous voulez être désiré, soyez désirable. Si vous ne voulez pas être désirable, contentez-vous de la masturbation.

Au regard de cette équation pourtant basique, la passivité masculine surprend. C’est comme si nous redécouvrions le sujet tous les cinq ans : ah mince, les femmes ont des yeux ! Les tendances se suivent, se ressemblent plus ou moins, et disparaissent dans une indifférence paresseuse : qui se souvient encore des métrosexuels, lumbersexuels et autres spornosexuels surgonflés ?

Les arguments avancés pour refuser de s’embellir sont nombreux et d’une mauvaise foi épatante. Si vous le permettez, je vais les réduire en pièces à la hache. Tout d’abord, le stéréotype des femmes « non visuelles » est invalidé par les tests d’imagerie cérébrale depuis Mathusalem. Si les hommes veulent continuer de croire que leur apparence n’intéresse pas les femmes, ils se plantent le doigt dans l’œil – mais dans l’œil des femmes (et c’est de la maltraitance). Dans les années 1980, on pouvait encore s’en tirer avec l’argument Gainsbourg. Plus aujourd’hui. Par ailleurs, si vous êtes Serge Gainsbourg, faites signe.

Deuxième point : toute esthétisation constituerait une féminisation. Déjà en 1669, un poète anonyme se moquait d’un homme de cour qui, « métamorphosant et son corps et son âme, pour devenir un bel homme, il est devenu une femme » (la citation vient de l’excellent ouvrage La Crise de la masculinité, autopsie d’un mythe tenace, de Francis Dupuis-Déri, aux éditions du Remue-Ménage, paru en 2017).

Cet argument fonctionnerait si la beauté était excluante : plus précisément, si la beauté des femmes prenait la place de celle des hommes (car comme chacun sait, la beauté surgirait en quantité limitée, avec des quotas). Ce postulat absurde se double d’un mépris des préoccupations féminines puisque se comporter comme une femme, c’est la honte.

Solidarité masculine

Ce qui nous amène au troisième point : l’homme concerné par l’existence, mettons, des peignes, est un bellâtre stupide, serait un traître à son genre. Car, dans le cadre d’une certaine solidarité masculine, le calcul est vite fait : si aucun homme ne s’embellit, alors idéalement, l’accès à la sexualité est égalitaire et s’opère au mérite (intellectuel bien sûr).

S’embellir constituerait alors une forme de triche – et non, comme on pourrait l’imaginer, une forme de compensation face aux inégalités de naissance (la vraie triche restant évidemment la loterie génétique qui nous fait beaux, médiocres ou laids, et qu’une maîtrise des codes esthétiques permet justement de subvertir). Pour éviter cette forme de compétition, les hommes traditionnels intimident les esthètes. Le courage le plus élémentaire consisterait à refuser cette intimidation.

Quatrième point, nous manquerions de repères culturels clairs. J’admets que la transmission père-fils se limite souvent à ne pas s’entailler la jugulaire au premier poil poussant sous le menton. Cependant, les magazines masculins et autres coachs en séduction sont de très bon conseil sur ce plan-là. S’intéresser à ce que racontent ces experts vaut mieux que demander aux femmes (comme c’est généralement le cas) « ce qu’on doit faire ». Les femmes ne demandent pas constamment aux hommes comment s’embellir : leurs compétences appartiennent à une culture, dont elles sont responsables et qu’elles font constamment évoluer.

Cinquième argument, les canons de beauté actuels seraient inatteignables. De fait, le corps hollywoodien stéroïdé est désormais officiellement hors de portée des mortels… mais aussi de ceux qui en arborent les scintillants atours (les stars elles-mêmes sont les premières à dire que l’entraînement pour incarner James Bond ou Captain Ouzbek n’est pas gérable sur le long terme). Cet argument tiendrait dans un univers parallèle où la beauté demandée aux hommes serait « parfaite, sinon rien ». Personne ne demande aux hommes d’être parfaits. Seulement de faire des efforts – et s’ils refusent d’en faire, d’éviter de se plaindre.

Le canon existe

Enfin, la beauté masculine n’existerait pas. Dans ce paradigme, le désir n’est possible que parce que le masculin et le féminin sont différents, voire opposés (prenez ça dans les dents, les LGBTQ [lesbiennes, gays, bisexuels, trans, queer] !) : si les femmes sont belles (une généralisation pour le moins curieuse), alors les hommes ne peuvent pas l’être. A ceux qui pensent que la beauté aurait un genre, rappelons donc que les athlètes grecs concouraient nus, et qu’on organisait à l’époque des concours de beauté masculine, de virilité et de prestance, à la fois pour les enfants, les adolescents, les adultes et les vieillards (Concours de beauté et beautés du corps en Grèce ancienne. Discours et pratiques, Vinciane Pirenne-Delforge, 2016). Plus près de nous, les hommes en France ont porté draperies, robes, maquillage, perruques, cheveux longs et talons pendant des siècles.

Oh, et bien évidemment, vous ne vous en tirerez pas en prétendant que la beauté soit « dans l’œil de celui qui regarde » ou « pas quantifiable » : de multiples études ont montré que, lorsqu’il s’agit de reconnaître les visages les plus attirants, nous sommes remarquablement cohérents. Non seulement le canon existe, mais il nous met d’accord.

L’autre chose qui nous met d’accord, en 2019, c’est que les femmes en ont marre d’être culpabilisées pour leur prétendu manque de désir, sans que les hommes (d’accord, certains hommes) s’interrogent sur leur responsabilité personnelle. Nous ne parlons pas ici d’une délicieuse innocence masculine, mais de paresse, d’arrogance et de mépris pour le désir des femmes. Envie de plaisirs charnels ? Remplaçons le déni du corps par le corps du délice.

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