Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
28 janvier 2019

A Paris, des « foulards rouges » bien sages défilent pour « défendre les libertés »

Par Allan Kaval, Florence Aubenas - Le Monde

Plus de 10 000 personnes ont manifesté contre « contre les violences » des « gilets jaunes ». Sans pour autant rejeter les revendications du mouvement des ronds-points.

Partir avant que la nuit tombe. Partir avant d’éventuelles casses. Partir vite. Il n’a fallu que quelques minutes et un seul appel au mégaphone pour que la manifestation se volatilise : il n’est pas encore 17 heures, dimanche 27 janvier et la place de la Bastille à Paris est déjà presque vide. C’est à ce moment-là que le chiffre est tombé. 10 500. Un couple de marcheurs s’arrête, se demandant s’il a bien entendu. 10 500 ? Oui, c’est bien ce que la préfecture de police vient d’annoncer : 10 500 personnes ont défilé « contre les violences » des « gilets jaunes ».

La trouille des organisateurs – les « foulards rouges » – était là, avant que le cortège démarre : « Etre moins de 10 000 et se ridiculiser. » Vont-ils mettre en doute le bilan de la police, régulièrement suspectée de minorer les chiffres ? « Certainement pas, s’écrie Corinne Chabert, une des porte-parole. On a justement manifesté pour ça : ne pas contester tout ce qui se fait dans la République. »

Etrange marche que celle-là, cheminant de la Nation à la Bastille à une allure de promenade sous une averse têtue, piquée de drapeaux français – ou quelquefois européens –, avec des pancartes, rares et polies, commençant généralement par « non ». « Non à la pensée unique des “gilets jaunes” », a écrit un monsieur en casquette de tweed. Un autre sous un chapeau de feutre : « Non aux populismes ». Les plus osées : « Non à la chienlit » ou « Non à la peste jaune ». Ceux-là se font d’ailleurs rabrouer. « On avait dit ni insultes ni débordements. Il faut être exemplaire. »

« Merci la police »

De temps en temps, on scande quelques slogans minimalistes comme « Démocratie ! », « le peuple, c’est nous aussi » ou « Merci la police ». Suit parfois une Marseillaise. Plus souvent, le silence.

Des petits groupes se forment, au hasard du cortège. A certains moments, on pourrait se croire sur un rond-point. C’est la première surprise. Dans les rangs, la plupart trouvent que les « gilets jaunes » ont bien fait de bouger. « Ça faisait des années qu’on ne nous entendait pas », dit une jeune femme en fauteuil roulant. Elle se présente : « Une Gauloise réfractaire venue de Normandie. »

Une aide-soignante estime que les « gilets jaunes » avaient raison, au début, de dénoncer les inégalités, l’injustice fiscale. « Même pour la voiture, avec les 80 km/h, les radars, le prix du carburant, je trouvais moi aussi que ça faisait beaucoup », continue un cadre venu de Lille. Certains ont même porté – un temps – le gilet jaune. « Comment ne pas être ému par ces gens-là, les mères célibataires surtout ? », dit une radiologiste.

Et puis, il y a eu un point de bascule. Les images des avenues à Quimper, à Toulouse, à Paris « dévastées comme après une guerre ». Ou, pire, revenant dans toutes les bouches : « L’Arc de Triomphe saccagé. » Une dame : « Depuis, je me réveille le matin, j’ai peur. Qu’est-ce qu’il va se passer ? » La République lui paraît soudain bien fragile.

« Il faut défendre les libertés »

Les institutions, le Parlement, les élections : et si tout ce qui semblait sacré hier allait voler en éclat ? « Menacer les députés de mort, lyncher les journalistes dans les cortèges, insulter les homosexuels : il faut défendre les libertés », dit Christelle, sculpteure parisienne, « de gauche ». Un couple arrive d’Alsace, pour la deuxième fois à Paris. La première, c’était après l’attentat à Charlie Hebdo. Le référendum d’initiative citoyenne leur paraît une folie, capable de revenir sur l’abolition de la peine de mort ou l’avortement.

Autour d’Avignon, Orange ou Bollène (Vaucluse), la plupart des ronds-points sont dirigés par l’extrême droite, affirme de son côté Tiffanie, 35 ans, e-commerçante là-bas. Pour Tang, venu avec elle, « Ils sont comme une dictature. La crainte s’est instaurée. » Ce n’est pas un hasard, disent-ils, si le mouvement des « foulards rouges » est né dans la région, en protestation. Eux ont voté France insoumise.

« Bravo aux courageux qui osent manifester à Paris le 27 janvier », disent des messages sur les réseaux sociaux. Ils parlent de la peur de s’afficher ou de violences possibles contre le cortège. Un groupe de trois financiers internationaux devisent : « Ça devait péter. Mais il y a une forme d’injustice à ce que Macron paie l’addition alors qu’il n’est pas le pire. »

Macron. Le nom du président plane sur le cortège, mais on évite en général de le prononcer. Beaucoup se fâchent si on leur en parle : « On dirait que les journalistes sont payés pour nous mettre mal à l’aise. » Un carré VIP regroupe une vingtaine d’élus, députés et sénateurs sans écharpe, venus « en citoyen » et tous La République en marche (LRM). Autour, les uns leur en veulent d’être là ; d’autres, au contraire, les voudraient plus nombreux.

Le groupe Stop, maintenant ça suffit, organisateur aussi, voulait baptiser la marche « Pour Macron ». Un groupe de jeunes des Républicains a tenté de négocier une place en tête. Un proche de Benoît Hamon voulait venir avec des « gilets jaunes pacifiques ». Refusé, refusé, refusé.

Il y a quelques vrais fans quand même, comme on en avait plus vu depuis la campagne présidentielle. « Je suis à fond pour Macron, ma fille m’a offert son livre pour la fête des mères, dit une retraitée de Drancy. Il a fait des bêtises, mais il ne peut pas être toujours au top. »

Ou ce jeune homme : « C’est Macron qui m’a réveillé, j’aime sa manière de parler, d’avoir l’air toujours en forme. » Lui voudrait devenir acteur et, en attendant, « serveur dans un restaurant très classe ». Il a vu des « gilets jaunes », une fois sur l’autoroute, mais sans leur parler : « Tout m’énerve chez eux, leur façon d’attaquer mon président, de n’être jamais contents. » Il tient à ce que son nom soit écrit : « Thomas Ferrier, 20 ans. »

Plus loin, une ravissante étudiante en classe préparatoire est entourée de photographes : une des rares jeunes à défiler. « Sur 40 élèves, du même milieu social dans le 6e arrondissement, une dizaine sont “gilets jaunes”, d’extrême droite surtout. Nous, on est un peu moins, mais personne n’a voulu venir pour ne pas être récupéré. » Et au milieu ? « Une majorité silencieuse. Le pouvoir d’achat, les étudiants ne se sentent pas concernés. »

« On est le peuple »

Quand le cortège arrive à la Bastille, trente gilets fluo l’attendent sur les marches de l’Opéra. Un chantier boueux et des rangées de CRS séparent les deux groupes. Impossible à cette distance de distinguer le visage des autres ou ce qu’ils crient. On entend parfois juste : « On est le peuple », que rouges et jaunes se renvoient en écho. Très vite, la dispersion commence.

Trois « gilets jaunes » tombent nez à nez avec un homme en écharpe rouge, un peu chic. Tout de suite, ça discute violences. Mais pas les mêmes. « Pourquoi vous ne dégagez pas les casseurs ? On n’est pas contre vous, on est contre la violence », dit Echarpe rouge, très ému. Gilet jaune : « Vous savez ce que c’est une grenade de désencerclement ? Ça balance des billes et moi je m’en suis pris une. »

Marion Biot, 27 ans, naturothérapeute et lui aussi en fluo s’enflamme : « Les foulards rouges remercient la police et nous traitent de fachos. Le jour où quelqu’un foutra la merde dans leurs manifs, ils comprendront. » Récit contre récit, deux réalités.

Un adolescent, 14 ans pas plus, les interrompt. « Je peux faire une photo de vous deux, s’il vous plaît ? » Ils se rapprochent, presque par réflexe. « Plus près », dit le gosse. Ça y est. Les yeux d‘Echarpe rouge se plissent. « Voilà ça me fait chialer tout ça ! Faut arrêter cette violence ! » Et Gilet jaune : « On veut tous que les gens vivent mieux. » Ils se serrent la main.

Publicité
Commentaires
Publicité