Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
1 mars 2019

Paris préfère maintenir son « profil bas » sur la crise algérienne

Par Marc Semo

Pour l’Elysée, qui ne veut pas froisser le pouvoir algérien, la situation fait l’objet d’une « politique d’observation active ».

Il y a en diplomatie différentes formes de silence. Très prudentes, plutôt embarrassées et inquiètes face à de possibles violences des forces de l’ordre ou des manifestants qui depuis plusieurs jours défilent dans toute l’Algérie contre un cinquième mandat du président Bouteflika, les autorités françaises font profil bas.

« On sait que tout ce que l’on dit sera scruté à la loupe et surinterprété », reconnaît un haut diplomate français tout aussi conscient des défis de cette crise que de l’ampleur des contentieux, y compris mémoriels, entre la France et son ex-colonie. Ce mutisme au plus haut niveau n’empêche pas Paris de lancer des signaux explicites sur le fait que la situation algérienne est suivie « de très près ».

Le président Emmanuel Macron a parlé longuement au téléphone avec l’ambassadeur de France à Alger Xavier Driencourt, venu à Paris mercredi 27 février pour s’entretenir avec le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, qui a fait part de sa « grande vigilance ». La situation algérienne a été évoquée le même jour au conseil des ministres.

boute

« C’est au peuple algérien et à lui seul qu’il revient de choisir ses dirigeants, de décider de son avenir, et cela dans la paix et la sécurité », a déclaré le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, faisant le « vœu » que l’élection présidentielle du 18 avril réponde « aux aspirations profondes » de la population algérienne.

« Ni ingérence, ni indifférence »

« Partout ailleurs ou presque ce serait une lapalissade que d’affirmer que c’est au peuple de choisir librement ses dirigeants dans des élections. Mais aux yeux d’un pouvoir algérien traditionnellement très susceptible voire paranoïaque une telle déclaration signifie prendre le parti de la rue », relève une spécialiste de la politique maghrébine.

Le porte-parole du gouvernement était-il conscient de la portée de tels propos, en théorie soigneusement pesés ? « Nous sommes sur une étroite ligne de crête : ni ingérence, ni indifférence », explique-t-on au Quai d’Orsay. Ne rien dire, c’est être accusé de soutenir le régime et l’actuel statu quo mais toute prise de position publique sera dénoncée comme une scandaleuse ingérence de l’ex-colonisateur.

La diplomatie française marche donc sur des œufs tout en reconnaissant l’importance du dossier. « C’est aujourd’hui une priorité absolue de notre politique étrangère car ce qui se passe en Algérie est un enjeu tout à la fois français, régional et international », souligne l’Elysée, évoquant « une politique d’observation active ».

Tourner la page

Emmanuel Macron connaît le pays. En tant que ministre de l’économie lors de la présidence de François Hollande il avait eu plusieurs fois l’occasion de s’y rendre dans le cadre du Comité mixte économique franco-algérien (Coméfa), l’instance qui chapeaute les relations économiques entre les deux pays.

Né après la fin de la guerre d’Algérie, il entend aussi être le président qui va tourner la page des contentieux mémoriels et, lors de sa visite à Alger pendant sa campagne électorale il n’avait pas hésité à qualifier la colonisation de « crime contre l’humanité ».

Lors de la visite « de travail et d’amitié » effectuée à Alger en décembre 2017, il avait aussi pu constater lors d’un bain de foule le grand désespoir de la jeunesse algérienne – la moitié des 40 millions d’Algériens a moins de 20 ans – et ses désirs de franchir la Méditerranée pour venir en France. « J’ai vu trop de jeunes qui m’ont simplement demandé un visa, un visa n’est pas un projet de vie », avait alors déclaré le chef de l’Etat, qui avait dû renoncer pour des questions d’emploi du temps à la visite d’Etat promise en 2018.

Enjeu économique et sécuritaire

Les autorités françaises craignent que les manifestations ne dégénèrent en une révolte incontrôlée contre le régime. Elles sont préoccupées par l’incapacité des différents clans au pouvoir qui s’entre-déchirent à se mettre d’accord sur un candidat de compromis plus crédible qu’un Abdelaziz Bouteflika impotent depuis l’AVC qui l’a frappé en 2013.

Or une déstabilisation de l’Algérie aurait des conséquences importantes. En politique intérieure, alors qu’il y a une forte communauté d’origine algérienne en France. Et sur le terrain économique, car les échanges entre les deux pays représentent quelque 5 milliards d’euros et l’Algérie fournit 10 % du gaz naturel importé par la France.

L’enjeu sécuritaire est tout aussi crucial y compris dans la lutte contre le djihadisme au Sahel. Avec son immense frontière de plusieurs milliers de kilomètres avec le Mali, le Niger et la Libye, l’Algérie est un acteur clé, même si elle fait aussi l’objet de suspicions de double jeu avec certains groupes djihadistes.

« La question est moins celle de l’aide de l’Algérie sur laquelle on ne peut pas vraiment compter que sa neutralité et le fait qu’elle ne nous mette pas des bâtons dans les roues », confie une source proche du dossier s’inquiétant de nouvelles incertitudes alors même que l’opération militaire française « Barkhane » (4 500 militaires), confrontée à la difficile montée en puissance de la force africaine du G5 Sahel (Mauritanie, Tchad, Mali, Niger, Burkina), piétine.

Publicité
Commentaires
Publicité