Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
6 mars 2019

Pour Macron, la « renaissance » de l’Europe passe par plus de protection

macron jupiter europe

Par Jean-Baptiste Chastand

Dans une tribune publiée lundi dans les médias de vingt-huit pays de l’UE, le président français tourne la page du discours de la Sorbonne, qui avait marqué le début du quinquennat.

Le temps de la « refondation » de l’Europe s’est soldé par un bilan inégal, alors voici venu le temps de la « renaissance ». Dans une tribune publiée lundi 4 mars dans les médias de vingt-huit pays européens, Emmanuel Macron tourne la page du discours de la Sorbonne, qui avait marqué en septembre 2017 le début du quinquennat en promettant une refondation de l’Europe. A moins de trois mois des élections européennes du 26 mai, l’heure est à un programme moins large, mais peut-être plus applicable.

Finie l’époque du grand discours proeuropéen qui devait déclencher un vaste débat sur tous les sujets dans tout le continent, face aux « nationalistes sans solution » et au Brexit. Le nouveau projet européen du chef de l’Etat est désormais autant resserré sur le fond que sur la forme.

En quatre pages, le président français décline son projet de « renaissance européenne » en une dizaine de propositions regroupées en trois thèmes : « la liberté, la protection et le progrès ». Ces propositions doivent se concrétiser lors d’une « conférence pour l’Europe » que le président français espère réunir d’ici la fin de l’année 2019. A cette occasion, la possibilité d’une « révision des traités » ne doit pas être un « tabou ». Mais la grande ambition « d’une Europe souveraine, unie et démocratique » prononcée à la Sorbonne, dont la terminologie même pouvait évoquer une volonté de saut fédéraliste, a été remisée.

Propositions plus intergouvernementales

Désormais, les propositions les plus marquantes sont de nature plus intergouvernementale. Surtout, elles tournent en priorité autour de la sécurité et de la défense. Le mot « zone euro » n’est par exemple pas cité une seule fois, alors qu’il l’était 18 fois à la Sorbonne. Le président français semble donc se contenter de la maigre ébauche de budget de la zone euro dont les contours ont été actés en décembre mais dont le fonctionnement exact est toujours en discussion. Il ne parle plus non plus de « convergence fiscale » au sein de l’Europe, malgré le peu d’avancées sur cette question depuis son élection.

La « renaissance européenne » passe en priorité par un renforcement de la protection face aux menaces extérieures de tous types. Il appelle ainsi à une réforme en profondeur de l’espace Schengen, cette zone de libre circulation qui regroupe vingt-deux Etats-membres de l’Union européenne, qu’il n’avait même pas mentionnée en 2017. « La frontière, c’est la liberté en sécurité », affirme-t-il, en liant la « remise à plat » de ce traité appliqué de manière erratique depuis la crise des réfugiés de 2015 à un accord sur une amélioration de la gestion des flux migratoires. Il réclame ainsi de ceux qui veulent continuer d’en faire partie de « remplir des obligations de responsabilité (contrôle rigoureux des frontières) et de solidarité (une même politique d’asile, avec les mêmes règles d’accueil et de refus) ».

Lundi soir, l’entourage du président laissait clairement entendre qu’il serait par exemple prêt à conditionner le maintien de la liberté de circulation des personnes et des marchandises hongroises à un engagement du premier ministre ultraconservateur Viktor Orban à recevoir des demandeurs d’asile. Une telle conditionnalité devrait inévitablement braquer les Etats d’Europe centrale. S’il évoque, comme à la Sorbonne, une « police des frontières commune » et un « office européen de l’asile », deux projets déjà sur les rails, il veut désormais les placer sous le contrôle d’un « Conseil européen de sécurité intérieure » aux contours flous, mais qui pourrait de facto être composé de représentants des Etats, plutôt que de la Commission ou du Parlement européen.

Prise de distance avec les Etats-Unis

L’autre proposition forte concerne la défense. En mettant sur la table un « traité de défense et de sécurité », il propose un saut d’ampleur. A la Sorbonne, le locataire de l’Elysée avait proposé une simple « initiative européenne d’intervention » qui avait pour but de renforcer la coordination entre armées. Le traité proposé passerait lui à l’étape « des obligations » en matière notamment d’« augmentation des dépenses militaires » ou de « défense mutuelle rendue opérationnelle ». Par ailleurs, cet embryon de défense européenne ne se ferait plus en « complément de l’OTAN », mais simplement « en lien » avec l’organisation transatlantique. Une manière d’acter la prise de distance avec les Etats-Unis de Donald Trump. Le président français souhaiterait même y associer le Royaume-Uni dans le cadre d’un « Conseil de sécurité européen ».

Cette promesse de protection face au monde extérieur se retrouve dans ses propositions en matière de politique commerciale. M. Macron veut « sanctionner ou interdire en Europe les entreprises qui portent atteinte à nos intérêts stratégiques et nos valeurs essentielles ». Une proposition pas très éloignée de la sanction de « toute pratique déloyale » déjà évoquée à la Sorbonne.

Mais aussi en matière de démocraties puisqu’il propose une « Agence européenne de protection des démocraties » destinée à protéger les élections « des cyberattaques et des manipulations » et d’interdire « le financement des partis politiques européens par des puissances étrangères ». Même si elle n’est pas explicitement mentionnée, la menace d’une ingérence russe est clairement sous-entendue. Il n’est en revanche fait nulle part mention des menaces démocratiques venues de l’intérieur alors que les atteintes à l’Etat de droit se sont multipliées un peu partout en Europe ces dernières années, sans que l’UE parvienne à s’y opposer.

Ceux qui chercheront dans la partie « progrès » des propositions plus sociales devront se contenter de sa proposition d’un assez flou « bouclier social » des travailleurs européens destiné à leur garantir « la même rémunération sur le même lieu de travail » partout sur le continent, un principe normalement déjà acté dans la réforme du travail détaché adoptée en 2017. Le président français évoque aussi un « salaire minimum européen adapté à chaque pays », une vieille préoccupation française qui peine toujours à être mise en place.

L’environnement est aussi brièvement mentionné avec une ambition « zéro carbone en 2050 » et la création d’une « Banque européenne du climat » pour financer la transition. Dans cette partie, la tribune propose également de renforcer le budget du nouveau Conseil européen de l’innovation et de « créer une supervision européenne » des géants du numérique. Mais là encore, ce serait pour, en priorité, « sanctionner les atteintes à la concurrence ». On l’a donc bien compris : les piliers « liberté » et « progrès » du triptyque de la « renaissance » sont réduits à la portion congrue face à celui sur la « protection », qui transpire en réalité dans tout le texte. « Dans cette Europe, les peuples auront vraiment repris le contrôle de leur destin », promet en conclusion le président français.

Publicité
Commentaires
Publicité