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Jours tranquilles à Paris
10 mars 2019

Le vote blanc plébiscité lors du grand débat

Par Patrick Roger

En décembre, Emmanuel Macron s’est dit ouvert à l’idée de la prise en compte des bulletins blancs. Une idée régulièrement évoquée par les « gilets jaunes ».

C’est un thème plébiscité tant chez les « gilets jaunes » que dans les réunions du grand débat : la reconnaissance du vote blanc.

Dans le questionnaire « Démocratie et citoyenneté » proposé sur le site du grand débat, la question est explicitement formulée et il est probable que le sujet soit abordé à l’occasion de la conférence qui se tiendra sur ce thème lundi 11 mars au ministère de la justice avec les représentants d’associations représentatives de la société civile, d’associations d’élus et d’organisations syndicales et patronales.

Certes, depuis la loi du 21 février 2014, « les bulletins blancs sont décomptés séparément et annexés au procès-verbal » mais, pour autant, « ils n’entrent pas en compte pour la détermination des suffrages exprimés ». Concrètement, cela se traduit par un seul ajout de ligne dans la présentation des résultats électoraux : là où, auparavant, bulletins blancs et bulletins nuls étaient comptabilisés ensemble, ils le sont désormais séparément. Sans que cela ait quelque conséquence que ce soit sur l’affichage des résultats.

Faut-il considérer les votes blancs comme des suffrages exprimés ? Lors de son allocution télévisée du 10 décembre 2018, Emmanuel Macron s’est dit ouvert au débat, ce qui n’engage à rien. Lui-même, lors de la campagne présidentielle, n’était pas partisan de la reconnaissance du vote blanc. « Je veux que soient posées les questions qui touchent à la représentation ; la possibilité de voir les courants d’opinion mieux entendus dans leur diversité, une loi électorale plus juste, la prise en compte du vote blanc et même que soient admis à participer au débat des citoyens n’appartenant pas à des partis », déclarait-il lors de son intervention.

Procéder à une nouvelle élection

Jusqu’à la promulgation de la loi du 21 février 2014, les bulletins blancs étaient assimilés aux bulletins nuls : une règle qui remonte au décret du 2 février 1852, mais qui est régulièrement contestée depuis. Dès 1880, deux députés du Vaucluse, Alfred Naquet et Jean-Baptiste Saint-Martin, déposaient une proposition de loi visant à mettre fin à cette assimilation.

En vingt ans, entre 1993 et 2012, pas moins de vingt-six propositions de loi ayant pour objet la reconnaissance du vote blanc ont été enregistrées à l’Assemblée nationale, sans plus de succès, jusqu’à ce que la proposition déposée le 24 juillet 2012 par François Sauvadet, député (Union des démocrates et indépendants, UDI) de la Côte-d’Or, parvienne à son terme, sous une forme édulcorée. Le texte proposé par M. Sauvadet comptait en effet reconnaître les bulletins blancs comme des suffrages exprimés, mention supprimée par un amendement en séance à l’Assemblée nationale pour rendre possible son adoption.

Pourquoi de telles réserves sur la reconnaissance du vote blanc comme un suffrage exprimé ? Le premier argument est d’ordre constitutionnel. L’article 7 de la Constitution prévoit que « le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés ». La prise en compte des bulletins blancs comme suffrages exprimés pourrait conduire à une situation où aucun des deux candidats du second tour n’obtiendrait la majorité absolue. Dans un tel cas, il faudrait alors procéder à une nouvelle élection. Sauf à modifier préalablement la Constitution.

L’hypothèse n’est pas farfelue. En 2012, en incluant les bulletins blancs et nuls, qui n’étaient pas encore décomptés séparément et s’élevaient à 5,82 % des votants, François Hollande n’aurait recueilli au second tour que 48,62 % des suffrages et Nicolas Sarkozy 45,54 %. Même cas de figure en 1995, où Jacques Chirac n’aurait obtenu que 49,5 % des suffrages, blancs et nuls représentant alors 5,97 % des votants. Lors de l’élection présidentielle de 2017, la première où les bulletins blancs ont été décomptés séparément, ils représentaient à eux seuls 8,52 % des votants. Le score d’Emmanuel Macron au second tour aurait été alors de 60,29 % des suffrages exprimés au lieu de 66,10 %.

Ce ne serait pas la seule conséquence de la reconnaissance du vote blanc comme suffrage exprimé. En premier lieu, un projet soumis à référendum ne pourrait être adopté que si le nombre de bulletins « oui » était supérieur à celui des « non » et des blancs réunis. En l’espèce, un non-choix équivaudrait à un vote contre. Il faut aussi tenir compte du fait que de nombreuses règles électorales reposent sur un seuil de suffrages exprimés.

Durcissement des conditions d’accès au second tour

Ainsi, pour pouvoir se maintenir au second tour, il faut obtenir au premier 10 % aux régionales et aux municipales, le seuil étant fixé à 5 % pour pouvoir fusionner.

La prise en compte des bulletins blancs durcirait donc les conditions d’accès au second tour. Idem pour l’accès au remboursement des frais de campagne dans la plupart des scrutins. Ce qui est présenté comme une avancée démocratique aurait donc comme effet paradoxal de restreindre l’expression pluraliste au détriment des formations politiques minoritaires.

CE QUI EST PRÉSENTÉ COMME UNE AVANCÉE DÉMOCRATIQUE AURAIT DONC COMME EFFET PARADOXAL DE RESTREINDRE L’EXPRESSION PLURALISTE AU DÉTRIMENT DES FORMATIONS POLITIQUES MINORITAIRES.

Plus généralement, cela conduit à s’interroger sur le sens du vote. Fondamentalement, celui-ci a pour objet de désigner des représentants ou de répondre à une question posée dans le cadre d’une consultation. A quoi correspond le non-choix exprimé par le vote blanc ? Expression d’un mécontentement, d’une contestation de basse intensité, refus ou crainte de se prononcer par manque d’information ou par désintérêt ? Les motivations sont diverses. Comment, dès lors, leur donner sens ? Faudrait-il prévoir une représentation des votes blancs et sous quelle forme ?

Les rares exemples étrangers où les votes blancs sont reconnus montrent la difficulté de l’exercice. Le système italien est à peu près équivalent à celui instauré en France depuis 2014. En Espagne, le vote blanc est considéré comme valide et pris en compte pour le seuil de suffrages à obtenir pour participer au partage des sièges à pourvoir. En revanche, ce partage s’effectue uniquement sur la base des suffrages exprimés. De même aux Pays-Bas où, en sus, pour qu’une option l’emporte à l’occasion d’un référendum, il faudra qu’elle recueille la majorité absolue des suffrages exprimés, incluant les bulletins blancs. En Suède aussi, les votes blancs sont considérés comme valides pour les référendums. En Suisse, les votes blancs sont comptabilisés dans certains scrutins locaux.

Il faut traverser l’Atlantique pour trouver des pays où le vote blanc peut avoir une influence décisive. A commencer par la Colombie, où les votes blancs, reconnus comme « une expression de la dissidence politique, d’abstention ou de désaccord avec les politiques », sont comptabilisés dans les suffrages exprimés pour tous les scrutins, y compris présidentiel. Et si les votes blancs obtiennent la majorité absolue dans le cadre d’un scrutin uninominal majoritaire, il est procédé à une nouvelle élection à laquelle les candidats précédents ne peuvent pas se représenter. Le Pérou est encore plus précautionneux : l’élection est annulée si les deux tiers des électeurs votent blanc, ce qui rend l’hypothèse hautement improbable.

La seule question qui vaille, en définitive, est de savoir si la reconnaissance du vote blanc est de nature à remédier aux maux dont souffre la démocratie représentative en France, et au-delà. D’évidence, la crise est trop profonde pour s’en satisfaire.

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