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Jours tranquilles à Paris
13 mars 2019

Theresa May en sursis et le Brexit dans l’impasse après un nouveau veto des députés

Par Philippe Bernard, Londres, correspondant

Dès mercredi, les élus devraient voter pour exclure une sortie de l’UE sans accord le 29 mars, puis pour demander un report de la date du divorce. Mais la classe politique est toujours aussi divisée.

L’accord sur le Brexit laborieusement négocié avec Bruxelles depuis deux ans est mort, et Theresa May, qui l’a conclu, n’est, politiquement, guère en meilleur état. L’ampleur du rejet de ce texte par les députés britanniques, mardi 12 mars au soir, a le mérite de la clarté : 391 l’ont rejeté tandis que seuls 242 l’ont approuvé ; par ailleurs 75 des 314 élus conservateurs ont défié leur première ministre.

Le résultat est moins cinglant que celui enregistré le 15 janvier lors d’un premier vote négatif. Mais il est sans appel. A nouveau, il résulte du rejet conjoint par les députés europhobes – qui considèrent que l’accord ferait de leur pays un « vassal » de l’Union européenne (UE) –, et par les élus proeuropéens – qui le trouvent moins avantageux que le maintien dans l’UE.

« Ce qui est extraordinaire est que personne ne sait ce qui va se passer après », a résumé Nick Robinson, vétéran du commentaire politique de la BBC, alors que la sortie de l’UE est programmée pour le 29 mars.

Métaphorique ou non, la quasi-extinction de voix dont a souffert Theresa May toute la journée de mardi symbolisait l’état d’un pays réputé pragmatique mais restant sans voix faute d’avoir su accepter des compromis avec ses voisins.

Prise des commandes du Brexit par le Parlement

« Je regrette profondément la décision prise par la Chambre [des Communes] ce soir », a déclaré la première ministre sur un ton caverneux à l’issue du vote. Feignant d’ignorer que son avenir à la tête du gouvernement est en question, et, fidèle à sa réputation d’opiniâtreté, elle a exclu de démissionner et pris acte du fait du jour : la prise des commandes du Brexit par le Parlement.

Dès mercredi, les députés devraient voter pour exclure une sortie de l’UE sans accord (« no deal ») le 29 mars, considéré comme catastrophique pour l’économie du Royaume-Uni. Le lendemain, un second vote, qui s’annonce lui aussi positif, devrait donner mandat au gouvernement pour obtenir des vingt-sept Etats de l’UE un report de la date du divorce prévu deux semaines plus tard.

Mais Theresa May, tout en avertissant les députés qu’ils se trouvent désormais face à « des choix peu enviables », s’est déclarée prête à jouer le jeu, quitte à avaler un certain nombre de couleuvres. Elle qui a tout fait pour court-circuiter le Parlement se dit désormais prête à obéir à ses injonctions. Alors que depuis plus de deux ans, elle s’est entêtée, pour satisfaire les ultras du Brexit, à brandir la menace d’un « no deal » sous prétexte de faire plier l’UE, elle a annoncé que les députés conservateurs seraient déliés de la discipline de leur parti lors du vote de mercredi à ce sujet.

Un geste d’apaisement mais aussi de faiblesse, porteur d’un risque d’implosion des tories, s’agissant d’un choix vital pour l’avenir du pays. Plus encore, probablement pour améliorer ses chances de survie, Theresa May a laissé entendre qu’elle-même voterait pour exclure ce « no deal » dont elle a jusque-là tant usé. « Je suis déterminée à mettre en œuvre le résultat du référendum [du 23 juin 2016], a affirmé la première ministre. Mais tout aussi convaincue que la meilleure façon de le faire est de sortir [de l’UE] en bon ordre avec un accord. Je crois toujours qu’il existe une majorité dans ce sens à la Chambre. »

brexit

Le « no deal », scénario par défaut

Elle a cependant mis en garde les députés : à moins qu’un autre accord sur le Brexit ne recueille une majorité parlementaire, le « no deal » reste le scénario par défaut.

C’est d’ailleurs là-dessus que les ultra-Brexiters comme Boris Johnson misent : une sortie sans accord propice à leur projet de rupture nette avec l’UE en vue d’une nouvelle révolution ultralibérale transformant le pays en Singapour européen. Nouvelle coupe de cheveux mais europhobie inchangée, l’ancien ministre des affaires étrangères, candidat à la succession de Theresa May, a ainsi qualifié le « no deal » de « seule route de sortie sûre ».

La veille de cette nouvelle Berezina, la première ministre avait pourtant cru sortir par le haut de son calvaire. Les « réassurances juridiquement contraignantes » qu’elle avait obtenues lors d’un voyage éclair à Strasbourg sur le caractère provisoire du maintien dans l’union douanière prévu dans l’accord pour garantir le non-retour de la frontière entre les deux Irlandes, devaient permettre aux députés pro-Brexit de surmonter leurs réticences. Grâce au coup de main de l’UE, un vote positif paraissait possible.

Cinq mots ont suffi, à 11 heures, mardi matin, pour tuer cet espoir. Après dix-huit paragraphes encourageants, l’avis de l’attorney general (conseiller juridique du gouvernement) Geoffrey Cox s’achevait par un verdict sans appel : « Le risque légal demeure inchangé. » Plus attaché à sa réputation de grand juriste qu’à sa solidarité de député conservateur avec Theresa May, M. Cox n’a pas tourné autour du pot : les « instruments juridiques » concédés par l’UE contenaient certes des interprétations rassurantes du texte de l’accord, mais ils ne permettaient pas de jurer aux députés, comme ils l’exigeaient, que Londres pourrait quitter unilatéralement l’union douanière, ni que la Cour de justice de l’UE n’aurait pas son mot à dire en cas de contentieux.

Une atmosphère de malaise

« L’affaire va être difficile à vendre », remarquait alors un haut responsable gouvernemental cité par le Financial Times. Devant les Communes, la voix de stentor et les effets de manches de Geoffrey Cox n’ont effectivement pas suffi. L’attorney general redevenu homme politique, s’est retrouvé dans l’intenable position de soutenir son avis juridique négatif sur l’accord, tout en recommandant le vote en faveur du texte.

Lorsque Theresa May a ensuite ouvert le long débat préalable au vote, elle savait que l’affaire était cuite. Les députés tories ultra pro-Brexit comparaient l’UE à l’« Hotel California » de la chanson, dont on ne peut sortir. Sur son ton suave et désolé, leur chef de file Jacob Rees Mogg recommandait de « ne pas approuver la motion du gouvernement ». Il était bientôt suivi par les extrémistes nord-irlandais du DUP dont Theresa May a un besoin impératif des voix.

« Ce n’est pas vous mais le peuple britannique qui a décidé de quitter l’UE », a mis en garde la première ministre en enjoignant les députés de respecter le résultat du référendum. En cas de vote négatif, a-t-elle ajouté, « le Brexit pourrait passer par pertes et profits ».

Face à elle, dans une atmosphère de malaise liée à la voix éraillée de la première ministre, Jeremy Corbyn a eu beau jeu de rebondir sur le diagnostic négatif de l’attorney general. « Rien n’a changé », a-t-il répété en insistant sur les promesses non tenues de Theresa May et sur la nécessité pour le Parlement de se substituer à une cheffe de gouvernement déficiente.

May, sans voix mais pas sans aplomb

Peu après 19 heures, les députés livraient leur verdict couperet. « Game over » pour Theresa May, se sont pris à penser certains commentateurs. Mais la première ministre, toujours sans voix mais pas sans aplomb, est remontée au front pour envisager la suite devant une assemblée presque déboussolée par sa propre audace et la nouvelle période d’incertitude qu’elle ouvre.

Le rejet de l’accord négocié avec l’UE sur la base des « lignes rouges » dures imposées par Theresa May (sortie de l’union douanière et du marché unique, fin de la libre entrée des Européens) peut annoncer un tournant vers un Brexit plus léger.

Un maintien permanent dans une union douanière, comme le souhaite le Labour, voire un statut proche de celui de la Norvège qui a accès au marché unique sans appartenir à l’UE, sont envisageables. Une majorité inter-partis, jamais recherchée par Theresa May, pourrait se dégager autour de l’une de ces formules.

Mais les Vingt-Sept n’accorderont de délai supplémentaire que si une sortie de l’impasse actuelle est en vue. Et le temps presse, car le Brexit doit être effectif avant les élections européennes du 26 mai sauf pour Londres à devoir en organiser au Royaume-Uni, ce qui n’est guère possible politiquement.

Si le blocage persiste, on ne voit guère que le « no deal », un arrêt de la procédure de Brexit ou un référendum pour en sortir. Curieusement, la première ministre a mentionné cette dernière hypothèse, mais pas le chef du Labour ; 80 % des membres de son parti y sont pourtant favorables mais il y est personnellement hostile. M. Corbyn préférerait tirer parti de l’extrême faiblesse de Theresa May et du désarroi des tories pour provoquer de nouvelles élections.

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