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Jours tranquilles à Paris
17 mars 2019

Vie de famille - Repasser, c’est dépassé

Par Maroussia Dubreuil

Fini le temps où l’on usait sa planche pour défroisser tee-shirts, draps et gants de toilette. Les nouvelles habitudes et les matières infroissables ont remisé le fer au placard. Aujourd’hui, le bonheur est dans le pli.

Sortir sa planche du placard, se pincer les doigts en la dépliant, attendre que son fer chauffe, repasser un par un ses vêtements, savoir manier la pattemouille… Depuis l’invention du fer à vapeur, en 1963, le repassage n’a pas connu sa révolution.

Calor a beau promettre « un équilibre parfait de confort et d’efficacité », Philips garantir « la perfection sans effort », Rowenta assurer une séance « super rapide », les Français rechignent à repasser. Alors que les fibres synthétiques réputées infroissables ont largement dépassé le coton ou le lin dans nos armoires, les ventes de fers ont chuté de 9 % en 2018 – une décroissance amorcée il y a dix ans, selon GfK, pour la revue ­professionnelle de la grande ­consommation LSA.

« Je repasse d’un côté, ça se froisse de l’autre, c’est sans fin !, se désole Hortense, comédienne de 37 ans, bien décidée à mettre le holà. Je ne repasse plus qu’occasionnellement. Je fais mes draps avant de louer mon appartement sur Airbnb et mes fringues pour les vendre sur Vinted. En clair, je repasse pour gagner de la thune. »

Pourtant, la jeune femme ne peut pas se permettre d’arriver mal fagotée aux castings. Aussi a-t-elle développé comme de nombreux Français l’art de l’étendage (ou de l’autorepassage). « Je mets mon uniforme sur la chaise comme si la chaise, c’était moi ! », se félicite ­Jérôme, livreur et père de famille, installé dans la campagne nantaise. Julie, son épouse, conseille quant à elle de faire sécher le linge « au chaud mais sous un parasol ».

Méthode DSK

Le « non-repassage » serait même salutaire pour notre santé. Dans son cabinet, la psychiatre Aurélia Schneider, auteure de La Charge mentale des femmes… Et celle des hommes (Larousse, 2018), conseille à ses clientes en burn-out – les femmes consultent ­davantage – de calculer au minimum leur investissement ménager : « Je leur demande par exemple de “saboter” la tâche du repassage : “Ne laissez pas croupir le linge dans votre machine à laver, vous réduirez ainsi votre temps de repassage.” »

Une solution plus écologique que la méthode DSK filmée dans une chambre d’hôtel, deux mois avant l’affaire du Sofitel. L’ex-patron du Fonds monétaire international (FMI) avait mis au point une technique qu’il pensait imparable : laisser couler l’eau chaude et suspendre ses costumes au-dessus de la baignoire.

« Le repassage fait partie du top 3 des tâches qu’on nous ­délègue le plus », assure François-Xavier Gérault, chef de marché entretien du domicile de la société de services O2 Care. Dans 25 % à 30 % des cas, ses intervenants ménage constatent chez les clients un matériel obsolète ou inadapté. « Comme la mini-table à repasser, évoque Jean-Louis Melois, salarié chez O2, à Angers. Je l’appelle “la table de Barbie”. » Un peu comme ce plan de travail dans la cuisine qui remplace souvent nos planches pour un petit coup vite fait.

« DANS LE TEMPS, LA ­MÉNAGÈRE ÉTAIT RECONNUE SOCIALEMENT. QUAND NOS ENFANTS ÉTAIENT CONVENABLEMENT REPASSÉS, CELA ­SIGNIFIAIT QU’ON ÉTAIT DES GENS BIEN. » SÉBASTIEN DUPONT, PSYCHOLOGUE

« Le repassage a toujours été la tâche domestique la plus ­contraignante avec le lavage de ­ vitres. Car, contrairement à la préparation des repas, l’obligation de le faire reste floue et ce n’est pas très personnalisable, explique ­Sébastien Dupont, psychologue et auteur de La Famille aujourd’hui (Sciences humaines, 2017). A cela s’ajoute l’évolution des mœurs. Dans le temps, la ­ménagère était reconnue socialement. Quand nos enfants étaient convenablement repassés, cela ­signifiait qu’on était des gens bien, tandis qu’on associait les mauvais garçons aux fripons. Cela a commencé à changer avec Mai 68, qui a prôné l’anticonformisme et l’authenticité des êtres. »

Aujourd’hui, les femmes ne se reconnaissent plus dans l’image d’une ménagère au panier à linge. « Elles ont bien compris qu’à leur mort, on n’allait pas ouvrir leurs placards pour montrer aux voisins à quel point elles avaient bien repassé leur linge, comme on le faisait dans la ­Bretagne profonde au XIXe siècle », ­rebondit Aurélia Schneider, en s’appuyant sur un exemple du ­sociologue Jean-Claude Kaufmann, auteur de La Trame conjugale. Analyse du couple par son linge (Nathan, 1992).

Assumer le style débraillé

« Le critère du “bien repassé” est devenu celui de la bonne marque, constate Sébastien Dupont. C’est plus cruel. » De fait, le jogging rétif au repassage est ­devenu le nouveau chic depuis que la star du hip-hop Kanye West a lancé sa collaboration avec Adidas, en 2015. Quant aux jeans, bruts, délavés ou rapiécés, Levi’s, Mother ou Joe’s, ils s’ajustent aisément à nos silhouettes.

Reste un point de crispation : la chemise pour homme. Il faut glisser le fer entre les boutons, enfiler les manches sur une jeannette et ­respecter les plis… Compter au moins six minutes pour les plus expérimentés. Pour conjurer le sort, certains assument un style débraillé.

« Il y a une forme de dandysme à ne pas repasser sa chemise, commente Marc Beaugé, ­rédacteur en chef de L’Etiquette et collaborateur de M, le magazine du Monde.C’est un grand truc d’Edouard Baer ! Il fait faire ses chemises sur mesure chez Charvet, place Vendôme, avec des cols souples sans triplure qu’il ne repasse pas particulièrement. Et puis, il y a les mecs à sensibilité écolo qui, eux, s’en foutent sincèrement, type Nicolas Hulot ou Cohn-Bendit. »

Dans sa boutique parisienne Jonas & Cie, le tailleur Jean-Claude Touboul se creuse la tête pour satisfaire l’obsession d’infroissabilité de son client le plus célèbre : « On propose à Emmanuel Macron un costume de la griffe anglaise Holland & Sherry avec un tissage pas trop mou, explique-t-il. C’est assez spectaculaire : après quatre heures de vol, le costume est froissé mais il suffit d’attendre cinq minutes un taxi pour qu’il se défroisse. »

fer

La « non-iron shirt  »

Quant aux cadres impec, ils rivalisent d’astuces pour s’éviter la corvée. Nombreux sont ceux qui ont essayé la « non-iron shirt » lancée en 1953 par la marque américaine Brooks Brothers, reprise récemment par le géant japonais Uniqlo. Mais elle gratte et favoriserait la dermatite.

« Et les chemises en polyester, n’en parlons pas, soupire Jean-Claude Touboul. C’est chaud l’été et froid l’hiver. » Si bien que bon nombre de chemises en coton sont « repassées » à la va-vite au défroisseur (ou steamer) sur roulettes ou portatif, qui projette de la vapeur à la verticale (+ 45 % de ventes en 2018, selon GfK). « Quand j’ai acheté mon appartement, je me suis juré d’entrer dans le repassage du XXIe siècle, confie Renaud, photographe trentenaire installé en banlieue parisienne, qui a déboursé 250 euros. Mais ça ne marche pas très bien sur les cotons épais, et mes vitres sont pleines de buée. »

Marc Hervez, trentenaire toujours tiré à quatre épingles, ­repasse tout, lui. Chemises, tee-shirts, sweats, pantalons, jeans… « Je n’y prends pas de plaisir mais je me sens obligé de le faire. Même quand je croise des gens avec des trucs froissés, je ne peux pas m’empêcher de leur faire la remarque. »

Sa planche est toujours sortie dans sa chambre, il a même essayé les sprays – « ça sent bon, c’est pas mal pour accélérer le travail, mais cela fait des gouttelettes par terre… C’est dangereux quand tu es en chaussettes. » Il a acheté un plieur de vêtements, « un truc en plastique à 8 euros avec des espèces de rabat. » Mais il attend avec impatience le lancement, prévu courant 2020, de la machine anglaise Effie, à 999 euros,la seule à pouvoir repasser un lot complet de douze vêtements en une seule fois. « Ça a l’air extraordinaire ! »

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