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Jours tranquilles à Paris
18 mars 2019

Reportage - En Algérie, le réveil de la génération anti-Bouteflika

Par Ali Ezhar

Qui sont-ils, ces jeunes, modestes ou aisés, sans travail ou actifs, qui font vaciller le système politique algérien depuis plusieurs semaines ? D’Oran à Annaba en passant par Alger ou Tizi Ouzou, « Le Monde » est allé à leur rencontre.

Il commande un « café jetable », un serré comme toujours. Il y verse plusieurs cuillères de sucre et commence à le savourer. « Chez nous, tout est sucré, il n’y a que la vie qui est amère », lâche Youssef, 22 ans. Pourtant, nous ne lui avons pas demandé de commenter l’actualité, pas même d’évoquer son quotidien. Mais c’est ainsi : les Algériens ont le sens de la métaphore, l’art du jeu de mots. Ce vendredi, ce jeune Oranais sans diplôme ni emploi vient de marcher avec des milliers d’autres personnes en entonnant un slogan devenu depuis un mois l’autre hymne national : « Makach elkhamssa ya Bouteflika » (« Pas de cinquième mandat Bouteflika »). Il s’accorde une pause-café au comptoir, le temps de fumer une garo (une cigarette), et le voici qui file déjà rejoindre ses compagnons de manif, enroulés dans des drapeaux verts et rouges. En route vers le boulevard Emir-Abdelkader, ils parleront de tout et de rien, de filles et de politique surtout.

D’Oran à Annaba en passant par Alger ou Tizi Ouzou, qui sont-ils, ces jeunes, modestes ou aisés, sans travail ou actifs, qui ont fait vaciller le pouvoir en quelques semaines ? Leur premier point commun est peut-être d’aimer l’Algérie. Ils en parlent avec une dévotion démesurée, un amour irrationnel tant ce pays leur « a fait du mal », comme le concède l’un d’eux. « Mais nous n’en avons pas un autre de rechange », ajoute un autre.

Mahdi, lui aussi oranais, a bien failli échanger le sien contre la France. Après y avoir passé deux ans, il est rentré au bled en 2014. De l’autre côté de la Méditerranée, il éprouvait comme un manque. « Je me voyais vivre ici, en Algérie, à construire quelque chose, et pourquoi pas générer de l’emploi », raconte cet ingénieur qui travaille dans le tourisme local. Mais quand il a vu son pays « régresser d’une manière phénoménale », il s’est mis à regretter « à 80 % » le choix du retour. « Et encore, heureusement que je ne suis pas une femme, je n’aurais pas été libre », ajoute-t-il.

Le pouvoir de l’homme invisible

Près de lui, ses amis l’écoutent en silence. Il y a là Hind, 25 ans, une architecte d’une extrême timidité ; la grande Lina, 20 ans, qui rêve de devenir universitaire, comme sa mère ; Amine, un doctorant en gestion d’entreprise. Ils boivent un thé au Casino de Canastel, un complexe touristique défraîchi posé sur les hauteurs de la cité, avec vue sur les falaises oranaises. Un lieu vénéré aussi par les couples, libres de s’y prendre la main en paix. Amine comprend Mahdi : « On est tous un peu perdus », lâche-t-il. Mais les deux autres, Hind et Lina, se veulent moins pessimistes, rappelant que les récentes manifestations sont la promesse d’un espoir de changement. Mahdi ne cherche qu’à être convaincu. En les écoutant discuter ainsi, on se demande si ces étudiants ont vraiment conscience d’avoir ouvert une nouvelle voie à l’Algérie.

Ces jeunes d’une vingtaine d’années n’ont connu qu’un président, sa « clique » et le système corrompu qu’ils incarnent. « Connaître » est un bien grand mot… Ces six dernières années, depuis qu’il a été victime d’un AVC, Abdelaziz Bouteflika, 82 ans, au pouvoir depuis 1999, n’est plus qu’un vieillard malade « que même la mort ne veut pas », apparaissant devant le peuple en fauteuil roulant, ceinture bouclée, ne s’exprimant qu’à coups de missives reprises par les médias publics. Certains ont même oublié sa voix.

Pourquoi avoir attendu si longtemps pour le pousser à se retirer ? A les entendre, le déclic date du 9 février, à Alger, lorsque les dirigeants du FLN ont annoncé la candidature du patriarche à la prochaine élection présidentielle (alors prévue le 18 avril), en présentant un… cadre à l’effigie de M. Bouteflika. « L’humiliation » de trop. L’ultime hogra, un terme signifiant à la fois « mépris », « injustice » et « misère ».

Dans ce pays dont plus de la moitié de la population (42 millions d’habitants) a moins de 30 ans, le pouvoir a pensé durant des décennies que la jeunesse était coincée entre la Méditerranée, le Sahara, la zetla (le cannabis) et la prière. Il la croyait désorganisée, dénuée de sens politique, trop occupée à étudier ou à tromper l’ennui, résignée et inoffensive, incapable de se mêler de la destinée nationale. C’est tout le contraire qui s’est produit. Coupables d’avoir sous-estimé le « ras-le-bol » général, les autorités n’ont pas vu poindre la rébellion, le refus d’être gouverné par une photo officielle, incarnation d’un homme invisible et quasi mourant.

« Non à la fatalité du silence »

Voilà pourquoi, depuis le 22 février, jour de la première grande manifestation, ces jeunes ont rejoint le reste du peuple pour dire « Dégage ! » à ce pouvoir, bientôt qualifié d’« assassin ». Voilà dix ans, et un match de foot contre l’Egypte synonyme de qualification pour la Coupe du monde, qu’ils n’avaient pas vibré ainsi. Tous disent leur fierté d’avoir montré à la planète qu’il était possible de se faire entendre dans la joie et l’humour, sans verser une goutte de sang ou presque, sans casser du flic et des vitrines, tout en ramassant les détritus après chaque rassemblement. « Cette marée humaine m’a bouleversée ! Voir des femmes, des jeunes, des familles, des anciens marcher ensemble dans le respect le plus total, je n’y croyais pas », assure Mahdi. « Nous avons dit non à la fatalité du silence », ajoute Lina. Comment la contredire ? Sa génération a grandi avec la peur d’être arrêtée à la moindre contestation publique. Tout rassemblement était officiellement interdit depuis 2001 dans la capitale, la moindre tentative rapidement empêchée ailleurs dans le pays.

Une autre peur, plus ancienne, leur a été transmise par leurs parents, toujours traumatisés : celle de revivre les atrocités de la décennie noire des années 1990, qui fit 200 000 morts au cours de la guerre civile contre le terrorisme islamique. Chacun est capable de raconter une scène insupportable vécue à l’époque par un proche : des histoires de têtes coupées, de bébés jetés dans de l’eau bouillante… Et si ça recommençait ? « Mais ce n’est pas notre histoire ! », tranche Flora, 21 ans, étudiante en littérature francophone, qui expédie la question en une phrase. Avec sa copine Marwa, 21 ans, passionnée de sciences politiques, elles prennent un milk-shake au chocolat à Kouba, un quartier de la classe moyenne d’Alger. Quand on leur demande de résumer leur vie, elles la disent limitée aux études, gratuites jusqu’au doctorat. « Khlass [“c’est tout”] » , lance Flora. Qu’il y a-t-il d’autre à faire ?

Pour cette génération ayant grandi sous Bouteflika, le fait d’avoir entre 20 et 30 ans, c’est être « dans le vide », soupire Amine, l’Oranais. Lorsque ce garçon assez distant mais joyeux parle à son tour du pays, il évoque un sentiment de gâchis, l’impression que tout s’est dégradé aussi vite que la santé de « Boutef ». Difficile de lui donner tort quand on sait que le chômage frappe 26,4 % des 16-24 ans, sans épargner les diplômés (18 %). Des données qui ne font pas l’unanimité et seraient sciemment sous-évaluées par les agences officielles. Comment ne pas évoquer également le choix désespéré des diplômés de devenir « clandé », autrement dit chauffeur de taxi non déclaré, pour avoir au moins la certitude de percevoir quelques dinars ?

« Partir, c’est abandonner son pays »

En Algérie, l’emploi informel représente 45 % du PIB. Sans compter que ce pays très étendu, le plus grand d’Afrique, souffre d’un autre handicap : l’emprise du népotisme. La méritocratie est mise à mal par le « piston », qui permet à des personnes bien installées de placer leurs proches, même sans les compétences requises, où bon leur semble. « Nous avons tout de même appris à être relativistes », assène Amine. Une façon de dire que l’Algérien « ordinaire » finit toujours par se débrouiller. Cette génération a dû mûrir vite. Trop, peut-être.

« J’ai essayé de détester l’Algérie et les Algériens. J’ai voulu, et puis je trouve le pays si beau que je veux aider à le reconstruire », raconte Ferial, 24 ans, étudiante en architecture, cheveux noirs interminables, pantalon moulant et pull en laine bouffant. Nous la retrouvons à l’Atelier, un restaurant branché d’Annaba, dans l’extrême est du pays. Un lieu paisible où certains jeunes peuvent flirter à l’abri des racontars. Ferial vit confortablement avec sa sœur, dans un appartement luxueux au loyer (60 000 dinars, 442 euros) trois fois supérieurs au salaire moyen. Comme tous ceux de sa génération, elle ne lâche jamais son portable, même au volant, toujours à envoyer des messages sur Facebook. Depuis quelques jours, elle participe chaque matin à des réunions avec ses camarades de l’université Badji Mokhtar. Jamais elle n’aurait cru pouvoir parler politique avec ses professeurs, dans ce temple de l’enseignement. « C’était interdit », dit-elle.

Par deux fois, Ferial a voulu quitter l’Algérie pour la France. Sa dernière demande date d’il y a quelques semaines, juste avant le début du grand bouleversement. Mais comme elle le reconnaît dans un soupir, « partir, c’est abandonner son pays, c’est le trahir un peu ». Pour elle, les manifs ont tout changé. Depuis, elle souhaite voir son dossier… refusé. Il y a un « truc à faire ici », espère-t-elle. A une condition : que l’on fasse confiance à la jeunesse, que l’on ose la responsabiliser. Car rien ne va, notamment dans son domaine d’activité, l’architecture.

« Problème de mal vie »

L’actuelle Annaba, née sur les ruines de l’ancienne Hippone, est un immense chantier. Le littoral, qui n’a rien à envier à celui de Monte-Carlo, commence à être défiguré par d’innombrables constructions en béton, surplombant avec insolence la cité côtière, au détriment des collines verdoyantes. D’après Ferial, les jeunes architectes du pays seraient souvent exclus au profit des étrangers. Les promoteurs préféreraient leur confier les « boîtes d’allumettes », ces immeubles sociaux sans charme qui s’étirent de manière anarchique et sans aucune logique urbaine, sur des kilomètres à El Bouni, en périphérie de la ville. Les Algériens ont d’ailleurs trouvé un surnom à ces édifices bâtis à la va-vite : « l’anarchitecture ». « On peut reconstruire notre pays, mais qu’on nous laisse faire », conclut Ferial.

Annaba est aussi la ville symbole des harraga, ces gamins prêts à prendre le large à bord de radeaux pour tenter de rejoindre l’Europe. Ils sont des centaines à être partis, ces dernières années, des côtes de la région. Beaucoup sont morts dans les eaux internationales. La Méditerranée est devenue une tombe qui recueille le désespoir d’une partie de la jeunesse algérienne, notamment parmi les plus défavorisés. A chaque marche contre Abdelaziz Bouteflika, les manifestants ont une pensée pour les harraga et leur dédient un slogan implorant Dieu de prendre soin de leur âme. Récemment encore, vingt-trois fugitifs ont été interceptés par les gardes-côtes : ils étaient partis d’une plage de Seraïdi, une commune voisine d’Annaba.

Est-ce seulement ce désespoir économique qui pousse à l’exil ? Pas toujours. Dans son bureau enfumé où la poussière est devenue pour ainsi dire un élément de déco, Kamel Belabed, 69 ans, connaît tous les visages des jeunes disparus en mer. Comme s’ils partageaient le même cercueil invisible que son fils Merouane, un harrag dont le corps n’a jamais été retrouvé. Pourtant, ce garçon d’à peine 25 ans ne manquait de rien : il travaillait avec son père dans son agence de communication. Il voulait seulement rejoindre ses amis en France, histoire de faire la fête et de dragouiller aussi.

« On lui a refusé cinq fois sa demande de visa alors qu’il avait toutes les garanties. Quand la France a colonisé l’Algérie, a-t-elle demandé un visa ? », peste-t-il. Ce qui a poussé Merouane à partir, le 17 avril 2007, avec neuf autres passagers, c’était déjà le « problème de mal vie », comme l’appelle son père, l’épidémie qui, aujourd’hui encore, fait des ravages. Il n’y a pas grand-chose à faire en Algérie et Kamel Belabed en veut pour preuve ces deux millions de compatriotes ayant passé leurs vacances en Tunisie, en 2018. Depuis plus d’une décennie, lui-même s’épuise à alerter les autorités pour qu’elles prennent conscience de la situation. « A mon époque, au début des années 1970, nous avions encore le droit de rêver, se souvient-il. Désormais, on ne donne plus la possibilité aux enfants de rêver ».

« Nous n’avons pas besoin de pardon »

Hind, Amine, Ferial ou Marwa, eux ne veulent pas s’expatrier. Pas comme Fayçal, 21 ans, étudiant en Master 1 finance d’entreprise. Quand il n’a pas cours, ce brun toujours bien coiffé, engoncé dans son similicuir, enfourche son scooter pour livrer des repas commandés sur Food Beeper, une application lancée à Annaba l’an dernier. Les bons jours, ce fils de chauffeur de taxi arrive à gagner jusqu’à 2 000 dinars. Il vient de déposer un dossier pour aller étudier en Turquie et espère, pourquoi pas, se rendre un jour au Canada. Pour l’instant, il n’a pas assez d’argent. Et la France ? « Pas question », lance-t-il.

De fait, l’ancienne puissance coloniale ne fait plus trop rêver. A priori, l’histoire et le ressentiment n’y sont pas pour grand-chose. Simplement, ces jeunes ont conscience que le pouvoir actuel puise sa légitimité dans la guerre d’indépendance pour continuer à exercer son emprise. Alors, lorsqu’on leur demande s’ils souhaitent que la France s’excuse pour ses crimes passés, une exigence formulée en 2006 par Abdelaziz Bouteflika, Marwa l’Algéroise se met à rire : « On a déjà répondu à cette question, non ? Nous avons repris la liberté par nos propres moyens, en gagnant la guerre. Nous n’avons pas besoin de pardon. C’est du passé. » Sa copine Flora acquiesce, en ironisant sur le fait que le nombre de moudjahidine (combattants de la guerre d’indépendance) ne cesse « d’augmenter d’année en année ». Toutes les deux considèrent qu’en réalité elles vivent toujours dans un pays colonisé, cette fois par le FLN. « Mais on est en train de se libérer », assurent-elles.

Bon nombre de jeunes Algériens ne parlent même plus le français. La faute, à la fois, de la politique d’arabisation et du fait qu’ils soient davantage séduits par l’Amérique du Nord. Leur rêve ? Voyager à travers les continents, acquérir de l’expérience à l’étranger, et revenir à la « maison » pour rebâtir le pays. Mais ils se heurtent alors à une autre difficulté : les pouvoirs limités du passeport national. Avec l’accès à seulement cinquante pays sans formalités de visa, l’Algérie occupe, cette année, la 88e place (sur 104) au classement des passeports les plus « puissants » (la France est 3e).

« Les larmes aux yeux »

Athmane Bessalem a la chance, lui, de traverser les frontières sans trop d’encombres, même si l’Espagne vient de lui refuser l’accès à son territoire pour participer à une conférence. Cet avocat de 29 ans, à l’élocution digne d’un comédien, est presque gêné de constater que beaucoup de ses amis n’ont pas pu « brûler » leur jeunesse comme ils l’entendaient. « Avoir 20 ans en Algérie, c’est avoir les larmes aux yeux », lance-t-il avec lyrisme en parlant de cette « jeunesse de deuxième classe » empêchée de « bouger librement ».

Athmane commence à devenir une figure de Tizi Ouzou. Dans cette partie de la Kabylie, il se réunit régulièrement avec d’autres jeunes, dans un modeste local, pour confectionner des pancartes ou définir un plan d’action afin que l’Algérie puisse adopter une nouvelle Constitution. Autour de lui, voici Yazid, 23 ans, redoutable débatteur, tout comme Micipsa. Sont également présentes Melissa et Samia, deux passionnées d’anglais, ainsi que Katia et Manissa, deux militantes du MAK, le parti qui revendique l’autonomie de la Kabylie.

Le plus frappant, chez eux, est de découvrir à quel point ils sont critiques envers la France, jugeant son rôle « néfaste » en Algérie. Ils la perçoivent comme la complice du système en place et d’une élite corrompue, à l’opposé des intérêts du peuple. Une preuve ? A la suite de la rencontre, en 2015, entre François Hollande et le président Bouteflika, le chef de l’Etat français avait salué « l’alacrité » de son homologue algérien. « Alacrité, ça veut dire vivacité, commente Yazid, étudiant en micro-électrique. A ce moment-là, la jeunesse a vraiment compris qu’elle ne pouvait compter que sur elle-même et pas sur les grandes puissances démocratiques. »

Katia et Manissa ne sont pas intéressées par une discussion sur le rôle que doit tenir la France. Seul le sort de la Kabylie les préoccupe. La fierté d’être berbère emporte tout, et se perçoit jusque dans leurs habits aux couleurs éclatantes du drapeau amazigh. Katia, 23 ans, étudiante en génie civil, et Manissa, 28 ans, en master réseau électrique, ne croient pas aux changements que peuvent engendrer les manifestations sur la société. Certes, elles se disent soulagées de voir qu’« enfin » le reste du pays conteste le pouvoir central – ce que la Kabylie fait depuis 1963 –, mais elles craignent par-dessus tout que leur région soit marginalisée une fois le pouvoir tombé au nom d’une Algérie nouvelle et unie. Elles redoutent aussi un retour en force des islamistes. Leurs amis tentent de les rassurer : ils ne croient pas en cette dernière hypothèse. « Politiquement, ils ont perdu, mais culturellement, c’est autre chose », note Sonia, médecin dans la région de « Tizi ».

Maturité et humour

Les Algériennes ont toujours été actives dans les mouvements de revendication nationale. Cette fois encore, elles le sont. Notamment pour dénoncer les promesses non tenues. M. Bouteflika ne s’était-il pas engagé à les sortir d’un « statut mineur » ? Ce « statut » se mesure souvent à l’attitude de certains hommes à leur égard. Bien des jeunes filles affirment souffrir de ce qu’elles appellent une « masculinité toxique ». Celle-ci se manifeste par des harcèlements incessants, parfois même en présence des parents, par des insultes ou des caresses volées.

« Cette frustration, nous en sommes les réceptacles », se désole Melissa. « Oui, le sexe demeure un tabou, mais notre jeunesse ressemble à celle des Occidentaux, elle est juste peut-être sexuellement moins active que la vôtre », ajoute Marwa. Certains, garçons et filles, regrettent ainsi de devoir encore se cacher pour faire l’amour. L’islam n’est pas en cause, plutôt le poids des traditions. Dans le même temps, un portail porno surnommé ici « le site bleu », connaît un gros succès, reconnaissent quelques garçons en rougissant.

Sur ces questions de société, comme sur d’autres, plus politiques, les réseaux sociaux, en particulier Facebook, leur ont permis de communiquer entre eux. De Batna à Mostaganem, de Ghardaïa à Béjaïa, de Constantine à Tindouf, les préjugés qui pouvaient exister entre les différentes régions du pays sont peu à peu tombés. Grâce à la Toile, cette jeunesse a le sentiment de s’être enfin retrouvée, avec une maturité et un humour déroutants. La voici maintenant au milieu de deux histoires : ni totalement libérée d’un système politique et social pesant, ni vraiment rassurée sur l’avenir, elle veut tout de même garder l’espoir.

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