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Jours tranquilles à Paris
26 mars 2019

Emmanuel Macron impose un front commun européen à Xi Jinping

Par Brice Pedroletti, Marc Semo - Le Monde

Le contexte des tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis donne à Bruxelles un levier pour mieux négocier face à Pékin.

Pour sa seconde rencontre à l’Elysée le 26 mars avec le président chinois Xi Jinping au dernier jour de sa visite d’Etat en France, Emmanuel Macron a convié la chancelière allemande Angela Merkel et le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. Par cette configuration surprise – elle fut annoncée vendredi à la presse – qui réunit les trois plus puissants personnages de l’Union européenne (UE) face au numéro un chinois, le président français entend impulser une approche plus « coordonnée » des Européens dans les relations avec Pékin.

Un front commun qui jusqu’à présent se dérobait au niveau suprême des décisions politiques : « Au-delà de la relation bilatérale, nous avons placé au centre de nos discussions la question du partenariat entre la Chine et l’Europe », a précisé M. Macron lors d’une allocution prononcée à l’Elysée, en fin d’après-midi lundi 25 mars au côté de son homologue chinois. Un partenariat qui « doit être défini sur des bases claires, exigeantes et ambitieuses », a-t-il précisé.

« On ne peut pas mieux symboliser l’idée d’une Europe coordonnée que cet effort d’engagement, au moins ponctuellement, du numéro un chinois, explique au Monde François Godement, conseiller Asie à l’Institut Montaigne. C’est un moyen de le faire sortir de son système de relation pays par pays : M. Xi peut bien se charger du détail des relations bilatérales jusqu’à Monaco [où il était en visite d’Etat après l’Italie le 24 mars], mais c’est le premier ministre Li Keqiang qui est chargé des relations avec Bruxelles. » Or, ce dernier est largement marginalisé au sein de l’Etat-parti dirigé par Xi Jinping.

C’est bien sûr le président chinois qui a signé en grande pompe, à Rome, à la veille de son arrivée en France, un protocole d’accord pour les « nouvelles routes de la soie » (ou la Belt and Road Initiative, BRI), avec l’Italie, troisième économie de l’Union européenne, dirigée par un gouvernement populiste eurosceptique. Emmanuel Macron n’a pas manqué de souligner que son hôte effectuait sa tournée européenne « à un moment ou l’UE est à l’heure des choix ». « Vous arrivez de Rome, nous étions hier dans un monument historique inspiré de la Grèce antique », a -t-il déclaré au sujet de la villa Kerylos à Beaulieu-sur-Mer (Alpes-Maritimes) où le couple présidentiel a reçu dimanche M. Xi Jinping et son épouse, la chanteuse Peng Liyuan. M. Macron y a offert au président chinois une traduction de Confucius en latin et en français dans un grimoire datant du XVIIe siècle.

Durcissement de la stratégie

Le 21 mars, M. Macron s’était exprimé dans des termes plus directs à l’issue du sommet européen où les Vingt-Huit avaient discuté d’un durcissement de la stratégie de l’UE face à la Chine. « Le temps de la naïveté européenne est révolu », avait-il lancé. Véritable point d’orgue politique du séjour hexagonal de l’homme fort de Pékin, la rencontre dans « un format » pour le moins inédit du 26 mars coïncide avec un tournant dans la perception de la montée en puissance chinoise. Après l’adoption en février par le Parlement européen d’un outil de filtrage des investissements dans les secteurs stratégiques, les Etats membres se sont attelés à la mise au point d’un instrument capable d’assurer une réciprocité d’accès aux marchés publics. Car Bruxelles n’hésite plus à présenter la Chine comme « un rival systémique » et un « concurrent stratégique ».

« Pour défendre le multilatéralisme, la discussion doit se passer au niveau de l’Europe et non pas de la France seule », fait valoir l’Elysée. Berlin est au diapason. Dans un entretien à l’édition dominicale du quotidien Die Welt, Welt am Sonntag, le ministre des affaires étrangères allemand Heiko Maas appelait aussi à l’unité de l’UE et soulignait que « si certains pays croient pouvoir faire de bonnes affaires avec les Chinois, ils seront surpris quand ils s’apercevront qu’ils sont devenus dépendants. »

Pékin a en outre démontré jusqu’alors son peu d’intérêt pour les propositions de collaboration de l’UE : « La Commission avait essayé de faire participer la Chine à des financements européens, mais celle-ci avait accepté des engagements extrêmement réduits, par crainte d’avoir à souscrire aux critères d’appels d’offres », poursuit François Godement. « Il y a une frustration concrète dans l’UE sur le caractère très limité des projets communs. »

Pourtant, Pékin ne cesse, comme l’a fait M. Xi lors de son allocution lundi, d’assurer chacun des pays européens qu’il visite, de « la grande importance que la Chine attache aux relations sino-européennes ». « Nous voulons que notre développement profite aux autres aussi », a-t-il assuré, reproduisant les éléments de langage distribués à l’envi dans des tribunes ou des publireportages par la diplomatie chinoise sur les « routes de la soie ».

Séduction et fermeté

Le contexte des tensions commerciales entre la Chine et les Etats-unis donne-t-il cette fois à l’Europe un certain levier ? Emmanuel Macron semble miser dessus, qui ne cesse, dans son rapport avec la Chine, d’alterner séduction et fermeté. « J’avais commencé ma visite en Chine à Xi’an [en janvier 2018] sur le chemin des anciennes routes de la soie que la Chine propose de retracer et que nous voulons double sens. Je crois qu’il existe là la possibilité d’une rencontre utile pour le monde » a-t-il argué lundi.

Pour la France, signer un protocole d’accord sur les routes de la soie comme l’a fait l’Italie n’a pas de sens – dans la mesure où, dit-on à l’Elysée, il s’agit d’un « projet chinois ». Mais Paris avait exprimé dès les débuts de l’initiative chinoise en 2013-2014 son souhait de collaborer sur des « projets concrets en pays tiers le long des routes de la soie » – sous condition, notamment en Afrique. Une collaboration qui serait près de se concrétiser « dans le respect des pays traversés, et des normes internationales que nous définissons au G20… », a assuré le président français. Son homologue chinois a précisé que « trois listes de projets pilotes ont été définies ».

Quant aux droits de l’homme, M. Macron a assuré lundi avoir transmis à son interlocuteur « les préoccupations qui sont les nôtres et celles de l’Europe sur la question du respect des droits fondamentaux en Chine et sur plusieurs cas individuels sur lesquels nous avons discuté ensemble ». Près d’un demi-millier de manifestants s’étaient rassemblés lundi après-midi sur le Parvis des droits de l’homme au Trocadéro pour protester contre le traitement par Pékin de ses minorités ethniques ouïgours et tibétaines.

Brice Pedroletti et Marc Semo

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Les principaux accords économiques annoncés entre France et Chine. Les présidents français Emmanuel Macron et chinois Xi Jinping ont annoncé lundi une série de contrats et d’investissements réciproques représentant une quarantaine de milliards d’euros. Parmi ces derniers, l’entreprise chinoise CASC (China Aviation Supplies Holding Company) va commander 300 Airbus, soit bien plus que les 184 appareils prévus par un accord préliminaire annoncé il y a plus d’un an. Airbus a, par ailleurs, signé un contrat avec l’exploitant chinois de satellites 21AT pour coopérer sur le développement de services d’imagerie à haute résolution. EDF va investir environ un milliard d’euros dans deux projets de parc éolien en mer de Chine au large de la province du Jiangsu, au nord de Shanghaï pour une capacité totale de production de plus de 500 mégawatts. EDF a en parallèle signé un contrat pour l’exploitation du réseau de chaleur et de climatisation d’un quartier de la ville de Wuhan (centre du pays). Selon l’Elysée, ce contrat s’élève à environ 100 millions d’euros.

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