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Jours tranquilles à Paris
15 mai 2019

SOS-Homophobie constate une hausse des témoignages de lesbiennes victimes de harcèlement et de violences

Par Solène Cordier

Le rapport annuel de l’association, présenté mardi, enregistre une augmentation de 42 % des cas de discrimination rapportés par des femmes homosexuelles.

En dix-huit ans de grande distribution, Céline avait certes entendu des remarques liées à sa sexualité. Quelques blagues salaces, des sourires entendus, mais guère plus. Pour cette quadragénaire, mère de deux enfants, qui assume depuis son adolescence son orientation homosexuelle, les vrais ennuis ont commencé en 2015, peu après son mariage et un changement de rayon : « Tous les jours, un de mes responsables et un autre collègue me lançaient des insultes, comme “lèche-moulasse”, “clitorine”... On me demandait qui faisait l’homme et qui faisait la femme. »

A plusieurs reprises, quand des jeunes filles sont embauchées dans son magasin, on les prévient : « Si tu bosses avec Céline, fais gaffe, elle aime les moules. » Le harcèlement dure plus de trois ans. Ses collègues, quand ils ne rient pas de concert, « plongent la tête dans les yaourts ». Céline, qui a un caractère bien trempé, ne se démonte pas et répond souvent en termes fleuris.

« N’empêche qu’au bout d’un moment, ça abîme. J’avais l’impression de ne plus être moi, mais une espèce de bête sexuelle, homosexuelle. C’est comme si j’étais dépossédée de mon identité. » Elle encaisse, en parle peu, même à la maison.

Augmentation « spectaculaire » des cas de lesbophobie

Céline fait partie des quelques centaines de femmes qui ont contacté SOS-Homophobie en 2018 et rapporté au final 365 cas de « lesbophobie », soit un par jour. Une proportion en hausse de 42 % par rapport à l’an dernier, relève l’association dans son rapport annuel, présenté mardi 14 mai. En 2018, l’association a reçu en tout 1 905 témoignages (+ 15 %), au sujet de 1 634 actes anti-LGBT (lesbienne, gay, bi et trans). Bien que plus des deux tiers concernent des hommes, le bond du nombre de cas de discriminations signalés par les femmes interroge. « Ces chiffres traduisent très vraisemblablement une prise de parole des femmes plus forte, conséquence des mouvements comme Metoo et Balance ton porc, même si beaucoup ne témoignent toujours pas », estime Véronique Godet, coprésidente de SOS-Homophobie.

De l’insulte à l’agression physique, tous les types de lesbophobie ont augmenté de manière « spectaculaire », relève le rapport. Les exemples cités parlent d’eux-mêmes, qu’il s’agisse de menaces : « Vous êtes gouines ? Car si c’est le cas on n’accepte pas ça ici. Ici c’est ma plage et c’est fait pour les familles. Il y a des enfants », dit l’un. Ou, dans la bouche d’un couple de sexagénaires : « Je n’ai rien contre les couples comme vous mais vous devriez avoir honte. » Sans oublier le « Sale gouine ! », lâché par une voisine, parmi d’autres insultes, devant la fille de 10 ans d’une dame vivant en couple lesbien. Femmes et homosexuelles, les lesbiennes sont aussi particulièrement la cible de menaces ou de violences d’ordre sexuel.

« Elles se retrouvent au croisement du sexisme et de l’homophobie, elles questionnent donc doublement une société qui repose, encore aujourd’hui, sur la domination masculine et l’hétéronormativité », analyse Joce Le Breton, membre de SOS-Homophobie et corédactrice du rapport cette année. Malgré la hausse constatée, leur dénonciation reste encore rare, la faute à « une forme d’autocensure très forte », relève la militante.

Dans les espaces publics, le rapport pointe que les actes anti-lesbiennes passent de 9 % à 13 %. Les agressions physiques qui s’y déroulent concernent, en proportion, autant les lesbiennes que les gays, respectivement 38 % et 36 % des agressions. Zoé, 35 ans, en couple depuis deux ans et demi, en a fait l’expérience. Un soir, elle se trouve dans un bar de La Rochelle avec sa compagne. L’ambiance est festive, les deux jeunes femmes dansent, s’embrassent. Quelques instants plus tard, alors qu’elle fait la queue devant les toilettes, elle est violemment frappée au visage par un homme à la stature imposante, sans qu’aucun échange ait précédé le coup.

Séquelles considérables

« Je suis tombée en arrière et j’ai perdu connaissance quelques instants. Très choquée, j’ai rejoint ma compagne en lui disant qu’on devait partir. » Ses séquelles sur les plans physique et psychologique sont considérables : « J’ai eu la mâchoire tuméfiée, et des douleurs récurrentes qui continuent de me faire souffrir. Un médecin a constaté une entorse cervicale, un œdème sur le bras causé par la chute et sur la mâchoire. Il m’a prescrit six jours d’ITT [incapacité totale de travail]. J’ai porté une minerve pendant deux mois. »

Plusieurs mois après son agression, malgré les somnifères et les anxiolytiques, elle souffre encore de problèmes de sommeil. Après avoir porté plainte dès le lendemain des faits, puis contacté une avocate, elle a de nouveau été convoquée par la commissaire, pour compléter sa déposition. « A chaque fois j’ai expliqué que c’était clairement une agression homophobe, parce que rien d’autre ne justifie la violence, mais on m’a opposé que comme il n’a rien dit, aucune preuve ne permet de l’affirmer. C’est très difficile. J’ai besoin de savoir pourquoi j’ai été frappée. Si ce n’est pas pour ça, pour quelle raison ? », interroge-t-elle.

Céline, elle, s’est finalement décidée en octobre 2018 à déposer deux plaintes, devant les prud’hommes et au pénal, contre son ancien employeur, qui l’a licenciée pour inaptitude après des années de tourments. « J’ai mis très longtemps à me dire que j’étais une victime, je ne voulais pas qu’on puisse penser que j’étais faible. Mais je fais ça pour que la honte change de camp. Si on n’est pas en sécurité au travail, au sein d’un grand groupe, on ne le sera pas dans la rue », explique-t-elle.

Lors de l’audience de conciliation qui a eu lieu il y a quelques semaines devant le conseil de prud’hommes, elle a pris la parole. « Je m’appelle Céline, pas “lèche-moulasse”, pas “clitorine”. Je suis une maman de deux enfants, et je viens témoigner devant vous pour toutes celles qui n’osent pas le faire. Quand je travaillais, et que j’entendais le bip de la pointeuse, c’est comme si on me mettait un triangle rose au bras. » Après avoir dit ça, elle a enfin pleuré.

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