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Jours tranquilles à Paris
28 juillet 2019

Fantasmes : et si on changeait de répertoire ?

Par Maïa Mazaurette

La chroniqueuse de « La Matinale » Maïa Mazaurette invite chacun à trouver l’imaginaire qui lui correspond le plus intimement et à éduquer ses préférences comme on éduque son palais.

LE SEXE SELON MAÏA

A quoi pensez-vous dans vos moments de rêverie érotique ? A quel imaginaire avez-vous recours pour déclencher vos orgasmes ? Peut-être invoquez-vous d’adorables nymphes sautillant dans un pré… peut-être s’y mêle-t-il des pratiques violentes, dégradantes, aliénantes. Ces catégories ne sont pas étanches : le répertoire fantasmatique occidental s’étend de la nuit de noces sur pétales de rose aux coups de cravache dans un donjon. A priori, vous avez hérité de cette amplitude.

Seulement, elle peut nous rendre mal à l’aise, voire nous placer dans des états de dissonance cognitive. Puis-je être un bon féministe quand j’entretiens des fantasmes de viol ? Puis-je être une bonne citoyenne quand je me masturbe sur des vidéos pornographiques piratées, tournées sans contrats, dans des circonstances douteuses ? C’est compliqué.

Si vous posez ces questions, on vous accusera d’être prude. Considérer ses fantasmes sous le prisme de l’éthique passe pour de la sensiblerie – exactement comme se préoccuper du sort des animaux. Pas envie de parler de cul, bite, chatte, pour désigner le désirable ? Vous voilà une oie blanche. Protester quand vous entendez un ami se vantant de « déglinguer » ses partenaires ? Vous voilà automatiquement relégué(e) du côté des censeurs (notons que dans ce paradigme, la censure vient en un bloc : on peut soit tout dire, soit ne rien dire).

En l’occurrence, se poser des questions ne produit pas un assèchement ou une moralisation de la fantasmatique. Personne ne va créer une police de la pensée (nous nous polissons très bien tout seuls). Il s’agit seulement de pouvoir aligner la théorie et les pratiques, ses valeurs et ses orgasmes : une reprise de puissance plutôt qu’une abdication (et s’il faut abdiquer, au moins aurons-nous opéré un choix conscient, et non un choix par défaut).

Les jeux ont des conséquences

Cependant, pour contrebalancer nos entre-deux fantasmatiques, notre culture a inventé un passe-droit formidable : cette idée que le sexe n’obéirait pas aux règles habituelles. Ah, bon. La chambre à coucher serait comme un autre monde, chimérique, où l’on grimpe aux rideaux pour monter au septième ciel tout en jouant la bête à deux dos, cul par-dessus tête. Il s’y jouerait un carnaval, un moment de suspension du réel – fondamentalement, ça ne serait pas la vraie vie, d’ailleurs on ferait ce qu’on veut, sans tabous, sans entraves, et ce serait beaucoup mieux comme ça. (Mieux pour qui ?).

Le problème, c’est que cette joyeuse optique a pour effet principal de nous faire serrer les dents. Nous sommes encouragés à accepter ce qui nous semblerait inacceptable : s’exaspérer des violences policières, conjugales ou parentales, mais se taper dessus à domicile. Oui, d’accord. Bien sûr qu’entre adultes consentants, on peut ritualiser, on peut contextualiser. Mais il s’agit quand même de se taper dessus. C’est pour de faux… avec de la vraie douleur. On peut se consoler en inventant une sexualité « par essence » transgressive mais, franchement, si vous avez besoin de transgresser pour maintenir la ligne de flottaison de votre libido, je vous adresse toutes mes condoléances.

Bien sûr, ce ne sont que des jeux – nous nous jouons des codes. Cependant, les jeux ont des conséquences. Ont des règles. Ont des cadres. Nous laissons advenir certains jeux et pas d’autres (preuve que tout de même, nous ne faisons pas n’importe quoi).

A l’arrivée, ce système nous enferme : parce que nous tolérons au lit des fantasmes et des pratiques qui nous répugneraient hors de la chambre à coucher, nous estimons que le sexe est répugnant (ce dont nous nous accommodons, parce que dans le monde inversé du sexe, la répugnance devient un mode de communication aussi valide que le désir). En retour, parce qu’on a dégradé notre sexualité, elle nous paraît moins importante à préserver : le cycle s’auto-entretient.

Changer de crémerie

Pourtant, nous pouvons changer de route – si nous sommes en souffrance, ou lassés, ou dégoûtés, ou que nous préférerions désirer autrement. Si vous vous êtes masturbé(e) toute votre vie sur des fantasmes qui, in fine, vous laissent une amertume en bouche, pourquoi ne pas essayer de changer de crémerie ? Ce discours, on l’entend peu. Nous nous pensons comme des victimes de nos fantasmes : « moi, mon truc, c’est la domination », « je suis ulcérée par les vulves, c’est comme ça ».

Cette rigidité d’esprit (sans mauvais jeu de mots), nous ne l’appliquons qu’à la sexualité. Vous avez certainement été un enfant fuyant les choux de Bruxelles, puis vous avez éduqué votre palais. Après avoir été jeune anarchiste, vous avez voté Macron. Vous avez détesté les polars scandinaves, avant de découvrir Jo Nesbø. Vos goûts évoluent parce que vous êtes en vie et que vous les questionnez de temps en temps – parfois, parce que vous êtes obligé(e) de les questionner.

En l’occurrence, vous pouvez changer de fantasmes, en vous exposant à d’autres imaginaires, qui vous correspondent plus intimement. On peut par exemple changer de regard sur des types physiques qui nous laissent indifférents (comme des types ethniques ou morphologiques), changer de média (laisser tomber le porno pour retourner au musée ou en librairie), changer de paradigme (laisser tomber le porno mainstream mais passer au porno féministe). On peut aussi découvrir de nouvelles niches : garder la même esthétique (celle des mangas hentaï) mais sans les pratiques potentiellement problématiques (hop, voici du wholesome hentaï).

Vous vous êtes habitué(e) à ce qui vous excite actuellement : vous pouvez donc vous déshabituer, et vous habituer à autre chose. Il suffit d’un peu de temps (et ce n’est pas grave si vous n’y arrivez pas systématiquement, les fantasmes ne font pas de victimes).

Réinvestir sereinement notre sexe et nos désirs

Deuxième possibilité : vous pouvez créer votre propre fantasmatique, précise et personnalisée. Si vous n’en avez pas le temps ou les moyens, pourquoi ne pas essayer les plates-formes collaboratives ? La sexualité est plus riche quand on est plusieurs : sur Wattpad comme sur Reddit, dans les multivers des fanfictions comme sur les sites vous mettant en relation directe avec des performeurs et performeuses, vous pouvez penser à des scénarios en commun… et les faire advenir.

Notre culture sexuelle nous fait croire que nous sommes impuissants face à elle. Ce n’est pas vrai. Nous ne sommes pas plus condamnés au malaise que nous ne sommes condamnés au capitalisme, à la pénétration ou aux fraises espagnoles. Nous pouvons nous extraire.

Nous pouvons aligner le cerveau et le clito, le pénis et l’oasis, la raison et la passion. Il ne s’agit pas de mettre nos désirs en ordre, mais de réinvestir sereinement notre sexe et nos désirs… en réservant l’art du grand écart aux positions du Kamasutra.

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