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Jours tranquilles à Paris
30 juillet 2019

La pénétration est-elle devenue réac ?

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Toute relation sexuelle serait fondée sur l’introduction d’un pénis dans un vagin… Un dogme ancestral, symbole de domination hétéro, qui est aujourd'hui contesté ou revisité. Tour d'horizon des pénétrés et des pénétrants.

Linda se dit féministe depuis le jour de sa naissance, il y a trente-quatre ans. “Le sexe, ça a toujours été comme les hommes l'ont décidé, c’est-à-dire un pénis dans un vagin. Notre culture est phallocentrique, tout tourne autour de la bite“, déclare cette native de Finlande où l'égalité entre les sexes est un prérequis culturel. “On ne comprend pas vraiment le corps féminin. Notre organe sexuel, ce n'est pas le vagin, c'est la vulve, qui est complètement oubliée.”

Les luttes féministes ont beau être passées par là, elle déplore que le sexe féminin ait encore du mal à être séparé de sa fonction reproductrice. “Les hommes hétéros ont beaucoup de travail à faire, soupire-t-elle en résumant le rapport sexuel type : si on a de la chance, on a le droit à des préliminaires, ensuite une pénétration, et puis le mec jouit et c'est fini.”

“En tant que femme, on attend de toi de satisfaire l'autre, au prix même de ne pas être satisfaite toi-même”

Confessant une libido très active, elle a longtemps eu le sentiment de ne pas être satisfaite. Un soir, elle rencontre un jeune mec de 24 ans, elle en a dix de plus. Ils rentrent chez elle, et alors que se dessine la promesse d'un rapport, il lui dit d'un ton rassurant qu'ils ne sont pas obligés de pratiquer la pénétration. D'abord surprise, elle réfléchit : “Bah oui, pourquoi ne devrait-on faire que ça ? En tant que femme, on attend de toi de satisfaire l'autre, au prix même de ne pas être satisfaite toi-même.”

Test du refus de la pénétration

Suite à cette rencontre, elle décide de faire le test et de refuser désormais la pénétration avec ses partenaires. “Je l'ai fait pendant un an, pas de façon absolument systématique, quand je le sentais, je le faisais. C'était aussi un test pour moi car je suis parfois tellement pressée de le faire que je ne prenais pas de plaisir lors des préliminaires. Avant, le mec commençait à me lécher, et comme je savais que ça allait durer trente secondes, je n’arrivais pas à me laisser aller, alors que là, je savais qu'il n'y allait avoir que ça.” Les réactions se révèlent la plupart du temps positives, “même si parfois des mecs s'énervaient parce que tout d'un coup leur bite n'était plus au centre du truc”. Elle répand la bonne parole, convertissant garçons et filles à sa nouvelle religion, leur assurant béatitude et sublimation.

Une sexualité sans pénétration ? Si certaines peuvent lui trouver des charmes théoriques, en pratique, le projet est loin de faire l'unanimité chez toutes les filles. Marie*, Parisienne de 34 ans, ne se l'imagine pas une seconde. “Etre pénétrée, ça me fait penser à quand je suis à la plage et que je rentre entièrement dans l'eau. C'est un soulagement et aussi une excitation. J'ai l'impression que le reste c'est du touche-pipi, je m'emmerde très vite avec les préliminaires.” La perspective d'une sexualité sans pénétration et les promesses libératrices de Linda la laissent perplexe.

 “Je ne suis pas d'accord avec cette terminologie actif, passif. Quand tu es pénétrée, tu n'es pas si passive que ça”

Mais si elle se fait la défenseuse de la bonne vieille pénétration, s'excusant presque d'avoir une sexualité conventionnelle, après plusieurs années en couple avec le même mec, elle dit cependant baiser parfois avec des filles. “J'ai déjà pénétré des meufs. D'ailleurs, je ne suis pas d'accord avec cette terminologie actif, passif. Quand tu es pénétrée, tu n'es pas si passive que ça.” Les filles n'auraient-elles pas envie parfois de faire voler en éclats le bon vieux schéma pénétré-pénétrant assigné d'un côté aux filles, de l'autre aux garçons ? Techniquement, tout est possible. “Quand je n’ai pas envie, je me dis que j'aimerais inverser les rôles avec mon mec”, lâche Charlène, songeuse.

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Inversion des rôles

Inverser les rôles, c'est un jeu que connaissent bien les gays et les lesbiennes. Même si Pedro, gay trentenaire qui a grandi au Chili, nuance le tableau : “En Amérique du Sud, la société est beaucoup plus conservatrice, et même dans la communauté gay, il y a une redistribution hétéronormée des rôles. Au Chili, sur les applis de rencontres type Grindr, les mecs mentionnent très souvent qu'ils sont soit passifs, soit actifs. Et pour ceux qui sont versatiles, certains emploient le terme 'moderno'. Comme si la redéfinition des rôles était liée à la modernité. Mais beaucoup de gays en Europe restent aussi sur le vieux schéma.”

Les vieux schémas, quels qu'ils soient, sont assez étrangers à Laura, “gouine assumée”, millennial à l'aise avec son corps et qui sait en faire profiter les autres. “Je suis un très bon coup, on me le dit souvent.” Elle parle donc de sexualité comme si c'était le sujet de son doctorat. “Je n'ai jamais rencontré de lesbiennes qui disaient qu'elles étaient uniquement 'actives' ou 'passives'. On a été éduquées à être passives vu qu'on est des femmes, mais les rôles s'inversent très souvent au cours d'une relation. J'avais un rejet de la pénétration en tant que jeune lesbienne, peut-être parce que les plus vieilles y étaient farouchement opposées, alors que maintenant j'adore me faire pénétrer.”

Lesbienne et pénétration

Elle déplore le cliché selon lequel les lesbiennes ne s'intéresseraient pas à la pénétration. “Moi-même, plus jeune, je n’explorais pas trop le vagin, parce qu'on ne parlait que du clitoris. Après, tu apprends que le plaisir vient d'un savant mélange des deux.” Elle s'arrête pour faire un point bibliographie et nous parler de l'Instagram clitoclit. Une série de planches anatomiques qui compare les organes génitaux masculins et féminins et révèle leurs similitudes plus que leurs différences. “C'est un mystère pour les femmes elles-mêmes, leur sexe.”

Dans son discours revient souvent l'idée de jeu, et surtout de jeu de pouvoir, du même ordre qu'un jeu de rôle. C'est à ça que servent les strap-on (ou gode ceinture comme disait mamie). “On joue avec, on se fait des fellations. La première fois que j'ai pris une meuf avec, j'ai joui direct avec le frottement du strap-on. Quand j'étais plus jeune, j'avais un déni de ma sexualité et je ne voulais pas de toys, parce que c'était comme si on avait besoin d'une bite.”

Réciprocité pénétré-pénétrant

La réciprocité pénétré-pénétrant apparaît souvent au cœur des discussions avec les filles qui veulent inventer une autre sexualité. Alice est hétérosexuelle, mais sexuelle avant tout, du type prêtresse érotique qui souhaite initier tous ses nouveaux partenaires au plaisir prostatique. “Moi, je ne peux plus aujourd’hui coucher avec un homme qui me dit qu’il n’est pas ouvert à ça. Les mecs, tu leur dis : 'Bonjour, le paradis, c'est par ici.' Ils répondent : 'Ah non, pas possible pour moi, impossible de mettre quelque chose dans mes fesses.' Ce n’est pas de la discrimination, juste que cette répartition des rôles est boring. Par contre, après, quand ils sont au lit avec toi, ce sont les premiers à vouloir te sodomiser… En toute logique.”

Dans la Grèce antique, pour les hommes, se faire enculer était un rite initiatique pour entrer dans l'âge adulte et éprouver le féminin avant d'y renoncer à jamais. Pourtant, une fois qu'il y eut goûté, François n'a pas voulu retourner en arrière. Il a longtemps été hétéro et se définit désormais comme pansexuel. En couple pendant douze ans avec une fille – “le seul truc qu'on avait refusé du schéma hétéronormé était de faire des enfants” –, il a butiné après sa rupture pour finalement se mettre en couple avec une fille qui s'est affirmée lesbienne lors de leur relation, de quoi lui permettre d'ouvrir son champ de vision.

Dominant et dominé

“Ma sexualité a commencé au moment où j'ai été pénétré. Peu importe l'intensité de ton désir homosexuel. Jusqu'à ce moment-là j'avais une sexualité banale, voire triste. Je ne faisais jamais de préliminaires, quasiment jamais de cunnilingus. Une sexualité qui reposait sur mon sexe triomphant. La seule nuance, c'est que je pouvais mettre ma bite dans son cul.” Comme il aime expérimenter, il se retrouve une fois à baiser un mec. Il le recontacte un peu plus tard et, par besoin de réciprocité, lui propose un deal : “Vu que tu es le premier mec que j'ai pris, je veux que tu sois le premier mec qui me prenne. C'est bien d'être dominant et dominé, pénétré et pénétrant.”

Quand on interroge des mecs hétéros qui se font pénétrer par leur copine, eux n'ont pourtant pas tant l'impression de renverser les jeux de pouvoir. “Ne pas pénétrer une meuf, ça peut être aussi un outil de domination. Tu comprends que le jeu est plus long sans pénétration”, nous confesse Maxime, qui se définit comme quelqu'un d'ouvert d'esprit et de curieux. Les adeptes du plaisir prostatique ont tous une âme d'explorateur. C'est aussi le cas de Rémi, qui a essayé très tôt avec une fille avec laquelle il est toujours en couple. “Je suis très dominant, même quand je suis pénétré”, avoue-t-il. Plutôt grande gueule et provocateur, il aime en parler autour de lui. “Tu as quand même une influence sur les gens. Tu en parles avec des potes qui disent qu'ils sont contre et deux ans après ils te disent qu'ils ont essayé. J'ai l'impression que les mecs ont peur surtout.”

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“Etre considéré comme une femme ou un gay reste la grande peur des hétérosexuels”

Martin Page

Il y a quelques mois, Martin Page publiait un petit essai qui a su faire parler de lui, Au-delà de la pénétration (éditions Monstrograph), où il essayait de repenser la pénétration depuis sa position d'homme hétérosexuel. “Le but de la pénétration, au fond, n’est pas vraiment le plaisir des deux partenaires, mais en premier lieu celui de l’homme, puis éventuellement celui de la femme (d’ailleurs, la pénétration cesse généralement quand l’homme a atteint son plaisir). C’est l’instauration d’une relation inégalitaire comme modèle”, écrit-il. “C’est bien ça l’enjeu pour certains : ils pénètrent pour ne pas risquer de mettre à jour leur propre désir d’avoir un doigt ou un gode dans l’anus, pour ne pas devenir un être pénétrable, c’est-à-dire, dans leur stupide esprit macho : une femme ou un homosexuel. Donc un dominé, un faible. Etre considéré comme une femme ou un gay reste la grande peur des hétérosexuels.”

Repenser sa sexualité

L'essai se veut une ode aux sexualités différentes. Il s'aventure à une analogie entre “l’animalisme (plus généralement la critique de la suprématie humaine) et la critique de la suprématie de la pénétration. Manger de la viande et pénétrer sans se soucier de l’autre est l’attitude d’un être qui profite de son statut de dominant sans se penser dominant”, mettant dans le même sac “les hommes hétérosexuels omnivores, les fanas de barbaque et de pénétration. Ceux qui dominent la planète et la détruisent.”

Il est amusant de constater que la métaphore culinaire est constamment revenue dans la bouche des personnes interrogées pour parler de pénétration, comparée presque toujours au plat principal d'un repas. La plupart, fins gourmets, ne pourraient se passer de l'entrée, du café et du dessert. Pour Linda, notre prospectrice sexuelle finlandaise, le renoncement temporaire à la pénétration n'a pas été vécu comme un jeûne. “C'est plutôt comme si les haricots verts remplaçaient l'entrecôte.” Alors que les scientifiques s'accordent à dire que nous devrions passer à un régime végétarien pour sauver la planète, peut-être pourrait-on prolonger l'analogie et imaginer un défi aussi insurmontable : est-ce que “papa dans maman” restera longtemps le modèle hégémonique de sexualité ? Ou l'être humain, pour la survie de son plaisir, va-t-il aussi devoir repenser sa sexualité ?

*Le prénom a été modifié

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